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Les Juifs et les Palestiniens ont-ils les mêmes ancêtres ?

Après la Shoah, il peut sembler paradoxal d’étudier les gènes de ceux qui professent la religion juive. Malgré ce frein éthique, plusieurs études ont été menées par des équipes espagnoles, françaises ou israéliennes ; elles sont détaillées et scientifiquement vérifiables. Mais les conclusions qu’on en tire sont parfois accusées d’être partiales ou orientées. Le problème est en effet idéologique : les juifs qui ont immigré en Palestine ont-ils un lien historique avec cette contrée ? Descendent-ils des Hébreux ? Israël tire-t-il sa légitimité de l’Histoire ou est-il une création de type colonial ?

Des activistes israéliens, dont récemment le fils du Premier Ministre, vont très loin dans la justification morale de leur pays en niant l’existence d’un peuple Palestinien autochtone. Pour eux, les musulmans qui habitaient en 1947, le territoire du mandat Britannique seraient les descendants de Syriens, d’Irakiens ou des Égyptiens venus dans les années 1930 profiter de la prospérité de la Palestine induite par l’arrivée de migrants Juifs. Certes des Arabes originaires des pays voisins ont bien immigré en Terre Sainte entre les deux guerres mondiales, mais leurs descendants ne forment pas la majorité des musulmans palestiniens, loin de là !

Si on s’en tient aux seules sources historiques et archéologiques en négligeant l’Ancien Testament, l’origine des Hébreux est controversée. Le récit de la Bible semble légendaire, l’exil en Égypte problématique. Selon la majorité des archéologues, vers 1200 avant JC des populations autochtones de la Palestine se seraient singularisés de leurs voisins en ne mangeant plus de porc et se seraient dotées d’un Dieu nommé El. Ce dernier n’était pas alors unique, mais était la divinité tutélaire des protos-Hébreux. La présence de ces derniers en Palestine est continue : ils n’auraient donc jamais émigré sur les bords du Nil. David dont on retrouve le nom dans des stèles était sans doute un chef local à la tête d’un modeste territoire et la puissance du roi Salomon n’est qu’une fable. A-t-Il même construit un temple à Jérusalem ? Par la suite deux royaumes pratiquant un proto judaïsme ont émergé : Juda au Sud et Israël au Nord. Israël a été à un moment une puissance régionale avant d’être détruit par les Assyriens. Juda qui était jusqu’alors pauvre et peu peuplé a été renforcé par une immigration venue du Nord. Pendant un siècle il a essayé de maintenir son indépendance face à l’Égypte et aux états Mésopotamiens. Il a été finalement détruit par Nabuchodonosor et ses élites ont été déportées à Babylone. Pendant l’exil, la religion juive a pris sa forme actuelle en multipliant les emprunts à la vieille culture mésopotamienne et au mazdéisme perse. Elle est devenue notamment monothéiste. L’empereur Cyrus a permis à une poignée de notables exilés de revenir et avec l’appui des Perses ceux-ci ont imposé une théocratie à une population indigène qui professait un proto judaïsme.  Les Samaritains qui descendaient des anciens habitants du royaume d’Israël et de colons installés par les Assyriens sont restés à l’écart de cette évolution. Ils ont été rejetés pour des raisons raciales par les exilés de retour à Jérusalem.

Néanmoins, sous l’influence des nouveaux venus, les Samaritains sont devenus à leur tour monothéistes ; ils ont prospéré et étaient à un moment plus nombreux que les habitants de la Judée. Les Juifs sous passés de la domination des Perses à celles des Grecs en 320 avant JC. Ils n’ont reconquis leur indépendance qu’en 140 avant JC après la révolte victorieuse des Macchabées contre les Séleucides. Les Macchabées ont créé alors un état théocratique puissant qui a connu une expansion territoriale foudroyante. De nombreuses populations, notamment les Galiléens et les Iduméens (qui habitaient dans le Néguev et étaient d’origine Arabe et Phénicienne), ont été alors contraintes d’embrasser le judaïsme. À l’époque de Jésus, les descendants des Hébreux ne constituaient qu’une fraction des Juifs, mais la plupart de ceux qui adoraient Jéhovah étaient originaires du Proche Orient. Les Juifs étaient certes majoritaires à l’époque du Christ sur le territoire actuel d’Israël, mais de peu et il existait dans cette région des communautés grecque, samaritaine et Philistine (les Philistins sont des migrants originaires de l’Europe du Sud). Très tôt les juifs ont émigré et sont répandus dans le bassin méditerranéen. Il est remarquable qu’ils n’aient pas été assimilés et qu’ils aient conservé intacte leur foi et leurs coutumes. Le judaïsme a longtemps été une religion prosélyte et a été en concurrence avec le christianisme naissant. Après les rébellions de 66 et de 132 écrasées par les Romains, la Palestine et la Galilée se sont vidées de leur population juive, par déportation, par immigration volontaire, mais aussi par conversion d’une grande partie des fidèles de Jéhovah (la majorité ?) au christianisme. En 620 lors de la prise de Jérusalem par les Perses, les Juifs n’étaient plus qu’une minorité en Palestine, à peine capable de fournir une aide armée aux envahisseurs Sassanides. Ceux-ci d’ailleurs ont préféré rapidement se passer d’eux pour se concilier les Chrétiens Palestiniens.

Après la conquête de la Jérusalem par les Arabes en 634, les Chrétiens, les Samaritains et les Juifs sont longtemps restés majoritaires en Palestine. Ils l’étaient probablement à l’époque des croisades, même si on ne dispose pas de statistiques ethniques. Les chrétiens locaux ont aidé Godefroid de Bouillon et ses hommes à s’emparer de Jérusalem. Les Juifs étaient nombreux (25 000 ?)  dans la ville Sainte et ils l’ont défendue face aux Francs. Furieux de leur résistance, les croisés les ont exterminés. Les mêmes scènes de carnage se sont reproduites lors de la prise de Caïffa (Haïfa) ville entièrement juive dont les habitants ont refusé de capituler. Une émigration hébraïque de faible ampleur, mais continue vers la Terre sainte a existé à toutes les époques et la communauté juive s’est lentement reconstituée après la saignée provoquée par les croisés. En 1553, les Juifs formaient 17% de la population de Jérusalem. Ils constituaient la communauté la plus importante de la Ville Sainte en 1844 et à partir de 1893 étaient plus nombreux que les musulmans et les chrétiens hiérosolymitains réunis.

On estime qu’il y avait en 1914 en Palestine entre 60 000 et 90 000 juifs, 525 000 musulmans, 70 000 chrétiens et une poignée de Samaritains. En 1947, on dénombrait 630 000 juifs, 1 181 000 musulmans et 110 000 chrétiens.

Si depuis l’époque du Christ le pourcentage de Juifs en Palestine a toujours oscillé entre 5 % et 10 %, la communauté actuelle est en grande partie issue de l’immigration. Les Chrétiens et les Samaritains du Grand Israël sont les descendants des habitants de l’époque de Jésus avec une petite immigration occidentale à l’époque des croisades. Les musulmans palestiniens ont été renforcés par une petite immigration arabe au VI ième une autre originaire du Maghreb au XVI ième siècle (cf. le quartier des Maghrébins de Jérusalem) et une vague plus importante venue des pays voisins entre les deux guerres mondiales, mais descendent pour la grande majorité d’entre eux de Samaritains et de Chrétiens autochtones qui avaient eux-mêmes pour ancêtres des Juifs, des Grecs ou des Philistins.

Quant aux Juifs de la diaspora, certains sont descendants de convertis. Il existe toute une polémique sur l’origine des Juifs d’Afrique du Nord : sont-ils des immigrants Palestiniens ou sont-ils en partie des Berbères séduits par Jéhovah ? Les partisans des deux thèses assènent des arguments prétendument décisifs alors que l’absence quasi totale de sources historiques empêche de trancher.  De même les Juifs d’Europe Centrale descendent-ils pour une grande part d’entre eux des Khazars, des Turcs qui avaient fondé un Empire sur les bords de la Mer noire et qui d’après des auteurs musulmans se seraient convertis au Judaïsme. La controverse fait rage : selon l’écrivain Arthur Koestler et l’historien Shlomo Sand la part des Khazars serait prépondérante chez les Ashkénazes tandis que d’autres auteurs vont jusqu’à qualifier de pure légende la conversion des Khazars. Néanmoins, il existe en Crimée une petite communauté Juive de moins de 1000 âmes les Krymtchaks dont la langue est issue du turc. Il est tentant de voir en eux les descendants des Khazars. De même en Russie et en Lituanie vivent de petits groupes de Quaraïtes des juifs qui refusent le Talmud et qui revendiquent une ascendance Khazar. Celle-ci leur a permis d’échapper à l’extermination pendant la seconde guerre mondiale, car Hitler a affirmé qu’il combattait le peuple juif, mais n’avait rien contre la religion juive.

Quelques conversions sont avérées : 100 000 juifs israéliens sont des descendants des Subbotniks, des Slaves orthodoxes qui se sont éloignés progressivement du christianisme et ont judaïsé au point de se convertir. De même nombre de spécialistes estiment que les falashas, les Juifs éthiopiens, auraient principalement pour ancêtres des coptes qui auraient accentué la tendance de leur église à pratiquer des rites Juifs jusqu’à revenir à l’ancien Testament. Ils se seraient mélangés avec les descendants des Juifs exilés à l’époque du Christ dans le royaume d’Aksoum. Enfin, les juifs yéménites sont en grande partie les descendants d’Arabes convertis au judaïsme entre le quatrième siècle et le sixième siècle de notre ère. En 545 Dhu Nuwas, un roi arabe devenu disciple de Jéhovah a entrepris de convertir les chrétiens de son royaume au judaïsme pour se venger des persécutions de Justinien contre ses coreligionnaires. Notamment, Il a fait brûler vifs 340 chrétiens qui refusaient d’abjurer dans l’Oasis de Najran. Selon le Coran les martyrs seraient 20 000. Les Abyssins aidés par les Byzantins ont envoyé au Yémen une armée conduite par Abraha qui vainquit et tua Dhu Nuwas.

L’étude génétique est donc intéressante pour trancher entre les diverses hypothèses. Il n’existe pas de gène spécifiquement juif même si un haplotype modal est présent sur le chromosome Y de tous les Juifs portant le nom de Cohen. Ils auraient donc un ancêtre commun. Celui-ci était-il Aaron le frère de Moïse ? On peut légitimement le penser. Les Cohen ont conservé le droit de bénir la foule des fidèles à la synagogue.  Lorsqu’on étudie les chromosomes Y des Juifs qui ne sont pas Cohen, on trouve le plus souvent un marqueur commun aux populations issues du Moyen-Orient. En revanche l’Adn des mitochondries transmises par la mère révèle que dans le passé les Juifs ont pris des épouses parmi les populations au sein desquelles ils vivaient. Les Juifs de Kaifeng en Chine, ne se distinguaient pas des Hans, car ils avaient épousé pendant plusieurs siècles des Asiatiques. La génétique confirmerait donc l’histoire d’hommes, pratiquant le judaïsme, exilés il y a deux millénaires hors du Moyen Orient. Les apports berbère et turc (Khazar) seraient marginaux. Comme le marqueur génétique trouvé chez les Juifs est également présent chez les Palestiniens chrétiens et musulmans, presque tous les habitants d’Israël partageraient donc des ancêtres communs. Mais toutes ces conclusions sont à manier avec prudence.

Qu’ils soient des descendants des Juifs qui à l’époque de Jésus habitaient la Palestine ne donnaient aux Juifs actuels aucun droit particulier à s’installer dans le pays de leurs ancêtres. Néanmoins, leur implantation en Palestine est désormais ancienne et cette présence leur confère des droits. Celui qui estime qu’ils doivent absolument partir, devrait en toute bonne logique exiger que tous les musulmans sans exception et tous ceux dans les ancêtres soient venus d’Afrique noire quittent la France. Heureusement, personne ou presque n’est partisan d’une telle horreur raciste ! Pourquoi traiter différemment les Israéliens et les descendants d’immigrés français ? En outre, les antisionistes feignent de considérer que les Juifs israéliens sont tous des Occidentaux alors que 60% d’entre eux ont été chassés des pays Arabes et ont perdu tous leurs biens lors de leur exil forcé. L’Irak, l’Algérie, la Tunisie, le Maroc, le Yémen, l’Iran, l’Égypte sont-ils prêts à accueillir et à dédommager les descendants de ceux qu’ils ont expulsés ?  Bien sûr que non ! D’une certaine façon, les séfarades vengent sur les Palestiniens des brimades que leur ont fait subir leurs anciens voisins Arabes, C’est bien entendu injuste et cynique puisque les musulmans et les chrétiens palestiniens ne sont pas responsables de leur situation.

Pour régler le conflit israélo-palestinien, le mieux serait sans doute de revenir au partage de 1947. Pour obtenir la paix, Israël devrait évacuer la plus grande partie de la Cisjordanie ainsi que la moitié du Néguev. Dans les régions de Galilée où ils sont majoritaires, les Musulmans et les Chrétiens seraient consultés par referendum serait organisé pour savoir s’ils préfèrent rester Israéliens ou rejoindre le nouvel état Palestinien. Bien entendu, ce dernier serait désarmé, voire occupé militairement par Israël afin de garantir une totale sécurité aux Juifs. Des compensations généreuses seraient versées aux réfugiés et ils seraient soit implantés dans le nouvel État soit installés dans les pays où ils vivent.

Christian de Moliner

( Auteur de « Juste après ma mort » publié aux éditions Jean Picollec et de « Islamisme radical, comment sortir de l’impasse ? » « La guerre de France «  publiés aux éditions Pierre Guillaume de Roux)

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