Agnès Thill : « Si je n’avais pas été élue député, je serais Gilet jaune » [interview]

Exclue le 26 juin dernier de la République en Marche, en raison de sa liberté de ton et de son opposition au projet d’extension de la PMA, Agnès Thill, députée de la 2e circonscription de  l’Oise (Beauvais), nous a accordé une interview. Décapant.

Breizh Info : Agnès Thill, vous avez été exclue de LREM, qu’allez-vous faire maintenant ?  

Agnès Thill : Je contesterai la décision à la rentrée. Pour l’heure, je suis non inscrite, ce qui signifie que je n’ai plus que 50 minutes de temps de parole à partager avec les 15 non-inscrits, autant dire rien. J’irai donc dans la rue, notamment le 6 octobre. 

Breizh Info : Allez-vous rejoindre un groupe ?

Agnès Thill : Non, notamment car le nouveau règlement de l’Assemblée nationale prévoit que s’il y a dix amendements semblables, une seule personne doit parler pour tous. Comme on voit, ils font tout pour bâillonner les voix, surtout si elles sont discordantes.

Breizh Info : Que pensez-vous du projet de loi bioéthique ? 

Agnès Thill : Je préférerais qu’il ne soit pas là du tout. En attendant il est là, et c’est un projet pas du tout cadré, où on laissera les députés mettre tout ce qu’ils veulent dedans, et le gouvernement fait comme s’il n’y était pour rien. Par exemple, pour la PMA il n’y aura aucune enquête, alors qu’en Belgique, ils en font une sur les demandeuses, lorsque ce sont des femmes seules. Ce n’est pas du tout cadré, et ce n’est pas au médecin d’être le gendarme.

Breizh Info : Vous êtes une des rares catholiques de l’Assemblée à le revendiquer et à défendre les valeurs morales catholiques. Pourtant il y en a d’autres, mais pourquoi se taisent-ils ?

Agnès Thill : Chez LR il y a Xavier Breton, mais on ne l’entend pas beaucoup non plus. Le problème, c’est que dès qu’il y a quelqu’un qui fait entendre de réserves ou une opposition sur la loi bioéthique, il est immédiatement taxé d’homophobe, d’extrémiste LMPT, ça en décourage beaucoup.

Breizh Info : Pensez-vous qu’il existe un tabou sur cette loi pour LREM ?

Agnès Thill : Clairement. Il y a une pensée unique sur la loi bioéthique, et quand on m’a exclue, cela l’a prouvé. On m’a exclue soi-disant pour des propos homophobes, mais il n’y a rien, rien ne justifie mon exclusion. Il y a une ambiance délétère au sein de LREM, et en me virant, ils ont bâillonné une voix dissidente. J’ai été harcelée auparavant avec une violence inouÏe, en fait, je pouvais penser ce que je voulais, mais en silence.

Breizh Info : Ambiance délétère qu’on retrouve dans votre circonscription, où vos anciens soutiens sont les premiers à vous taper dessus. 

Agnès Thill : Celui qui tape le plus fort a candidaté à la candidature, mais n’a pas été retenu. J’ai fait campagne sans lui, et comme j’ai réussi, je m’en tape complètement de ce qu’il peut raconter. Les Marcheurs de la première heure, ceux de 2016, sont tous partis. Il ne reste que ceux qui veulent des postes, des carrières. 

Breizh Info : Vous avez approuvé les réformes d’En Marche jusque là ?

Agnès Thill : Pendant les deux ans, par discipline de parti, j’ai tout approuvé, sauf la bioéthique. La discipline de parti ne s’applique d’ailleurs pas aux causes éthiques. Mais les 9 LREM qui ont voté contre le CETA [dont Yves Daniel, député de la 6e circonscription de Loire-Atlantique, ex-PS], pourquoi ne sont-ils pas exclus, eux ? Pour ma part, j’ai toujours respecté les statuts. Donc je me suis abstenue sur les mutuelles et la loi Notre-Dame.

Breizh Info : Pourquoi Notre-Dame ?

Agnès Thill : Comment peut-on expliquer aux petites communes qu’elles doivent suivre scrupuleusement les règles en ce qui concerne les monuments historiques et autoriser qu’on s’en passe pour Notre-Dame ? Et puis c’est un lieu de culte, pas un endroit où on peut se permettre de faire un geste architectural pour laisser une petite trace de son passage.

Breizh Info : Avez-vous conscience que ces réformes ont mis une partie de la France dans les rues, notamment les Gilets jaunes ? 

Agnès Thill : À gauche ils ont confondu le social avec le sociétal, et ont fait des réformes économiques prises à la droite. En quoi le sociétal serait de gauche d’ailleurs ? J’approuve les combats écologiques, mais quelle cohérence il y a à s’opposer à l’OGM pour les végétaux ou les animaux mais à l’accepter pour l’homme ? Avec la PMA, on choisit tout, on en arrive à un eugénisme permis par l’Etat, quand on touche à la GPA, on trie l’être humain. 

Breizh Info : Rejoindrez-vous le combat porté par la Manif pour Tous ?

Agnès Thill : Non. Il y a les associations de familles chrétiennes, de pères etc. Déjà, on me traite de LMPT et de Sens commun dès le début, alors que je n’ai rien à voir avec. Je ne suis pas une bourgeoise de Versailles. Si je n’avais pas été élue, je serais Gilet jaune. J’ai donné des cours particuliers car je ne m’en sortais pas en étant institutrice, puis directrice d’école, en élevant ma fille et en ayant mon père âgé à charge. Pas sûr que cela soit le cas de beaucoup de députés LREM…

Breizh Info : Pensez-vous qu’il y a un clivage de classe à LREM ? 

Agnès Thill : LREM est devenu le PS des années 1990-2000, avec des médecins, des cadres, des avocats. Ce n’est plus le mouvement citoyen que j’ai rejoint, celui d’un candidat qui disait que la société civile devait être représentée, et pour lequel je me suis investie et j’ai gagné. En fait, ce n’était que du discours, on a eu à la place un PS dirigé par Mignard et Touraine, avec de la gauche caviar, des bobos à tous les étages, un cercle des 30-40 ans très parisien qui gravite autour des ministres et qui impose des questions très parisiano-parisiennes. 

Breizh Info : Allez vous rejoindre un autre parti ?

Agnès Thill : Non, je vais rester libre. Quand j’ai quitté le PS en 1990, je m’étais jurée de ne plus rejoindre un parti. Si j’avais su que LREM deviendrait le PS, je n’y serai pas allée. Je défends mieux mes idées en restant libre – j’ai voté contre le CETA par exemple. 

Breizh Info : Dans votre circonscription, que pense-t-on de la loi bioéthique ?

Agnès Thill : C’est très décalé avec les enjeux et préoccupations des gens, les problèmes de transports et de services publics, les personnes – anciennes femmes d’artisans par exemple – qui vivent avec 200 à 300 € de retraite, celles qui sont à trois générations sous le même toit, les chômeurs de très longue durée… Il y a même une personne qui vit sans eau courante ni électricité, et on est à peine à 80 km de Paris !

Breizh Info : Récemment, la mort de Vincent Lambert a relancé les questionnements éthiques. Qu’en pensez-vous ?  

Agnès Thill : Il était impossible de hiérarchiser les confidences des proches, son cœur battait seul, il respirait seul. Par ailleurs, pouvons-nous décréter « ceci n’est pas une vie, ce n’est pas ça la vie, ce n’est pas ça vivre », car dans ce cas, on peut le décréter pour bien des gens et cela s’appelle aussi le totalitarisme.

Breizh Info : Un dernier mot pour la route ?

Agnès Thill : Une question plutôt. Est-ce que tout désir a vocation à être assouvi ? Doit-on absolument laisser l’État valider officiellement un comportement privé, détourner la médecine en faisant de la procréation une technique parmi d’autres ? Est-ce le rôle du législateur de priver un enfant de père ? Ne risque-t-on pas au passage d’entrer dans une société totalitaire et effrayante ?

Propos recueillis par Louis-Benoît Greffe

Crédit photo : DR
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