Syrie : l’Etat Islamique renaît dans le camp de djihadistes d’Al-Hol

Le 15 juillet dernier, un drapeau noir de l’Etat Islamique (EI) était à nouveau hissé au-dessus d’une foule en Syrie. Pas par n’importe qui : c’est un enfant qui est monté l’accrocher sur un mat. Et pas n’importe où : au-dessus du camp de Al-Hol, véritable poudrière à ciel ouvert au nord-est de la Syrie, où s’entassent près de 80.000 membres des familles de djihadistes, dont 11.000 étrangers.

Plusieurs manifestations autour de l’étendard noir des djihadistes ont eu lieu depuis le 15 juin. Elles attestent de la présence de supporters de l’État Islamique dans de nombreux pays : Turquie, Inde (au Cachemire), Mali, Philippines, Libye, Égypte, Somalie, Yémen, Mozambique, Cameroun.

L’EI relève la tête en Syrie et ailleurs

Des cellules de l’EI existent par ailleurs au Congo (Zaïre), dans la région du Lac Tchad, en Tunisie, en Palestine et dans d’autres pays. En Libye, l’EI a attaqué une milice à Zila fin mai (17 morts), puis début juin des troupes du maréchal Haftar à Jufra et Fukaha près de Sabha, tuant des hommes et s’emparant d’armes ; le 2 juin un attentat à la voiture piégée à Dern, dans un camp de l’armée de Haftar (LNA) aurait fait 19 morts ; le 10 mai une autre embuscade sur un camp d’entrainement de la LNA à Sabha dans le Fezzan a fait 9 morts, dont un a été décapité, et 7 blessés graves.

Fin juin dernier, les forces spéciales russes ont mis hors d’état de nuire un terroriste de l’EI qui préparait un attentat à Saratov, une ville du sud de la Russie située sur la Volga. En Somalie, le 8 mai dernier, un drone américain a tué 13 combattants de l’EI dans le Puntland.

Un attentat dans le quartier Al-Qadam, au sud de Damas, a été revendiqué ce 23 juillet par l’EI, pour la première fois depuis le printemps 2018. L’EI est aussi très active depuis deux mois dans la province de Hassakah, au nord-est de la Syrie, notamment à Qamishli (quatre explosions de véhicules piégés, deux attaques terroristes), Hassakah (quatre explosions de véhicules piégés) et sur les routes entre Shaddadi et Deir-Ezzor (quatre attaques à main armées). L’un de ces attentats visait une église – le 12 juillet à Qamishli et trois autres, le même jour à Hassakah, ont été commis avec des motos piégées. Le 28 juin, une embuscade a tué ou blessé dix combattants kurdes à Hajjin, non loin de Baghouz, dernier bastion de l’EI.

« On peut constater qu’une part importante de la population arabe locale soutient encore l’EI », relève le canal russophone loyaliste Vestnik Damaska. Les impôts levés par les kurdes sur la population arabe, la conscription forcée et l’absence de reconstruction des villes détruites par les combats ne font certainement qu’aggraver le phénomène. Al-Qaim, ville frontalière de la Syrie, a beau avoir été reprise en novembre 2017, elle est toujours en ruine et les soldats irakiens ne s’y sentent absolument pas en sécurité face aux combattants insaisissables de l’EI, soutenus et ravitaillés par une part de la population locale.

Par ailleurs l’Etat Islamique détiendrait encore plusieurs centaines de millions de dollars sur des comptes bancaires dans le monde, ainsi qu’une tonne d’or. (L’essentiel des 40 tonnes d’or en lingots récupérées dans des banques en Syrie et Irak lors de l’âge d’or du Califat aurait en revanche été remis aux États-Unis en échange de la vie sauve pour les derniers milliers de partisans de l’EI retranchés à Baghouz, affirment des sources russes.)

AL-Hol, poudrière à ciel ouvert

À Al-Hol s’entassent, mal gardées par des kurdes débordés, 80.000 personnes, en majorité des femmes et des enfants proches des derniers djihadistes de l’EI. Au milieu d’un désert brûlant, le camp est en surcapacité d’au-moins 30.000 personnes. Près de 11.000 étrangers dont 7.000 mineurs de moins de 12 ans sont gardés dans une partie distincte du camp. Actuellement, 29.000 enfants étrangers de djihadistes sont bloqués en Syrie, dont 20.000 irakiens et 9.000 de soixante autres pays. Douze cents enfants étrangers se trouvent aussi en Irak dans des conditions humanitaires aussi catastrophiques.

Al-Hol est une poudrière à ciel ouvert. La situation humanitaire y est déplorable et l’ONU a appelé les divers pays concernés à récupérer leurs ressortissants. On relève des cas de rougeole, leishmaniose, méningite et un risque élevé d’épidémie. Des évasions se produisent régulièrement – six femmes de djihadistes belges dernièrement ‑ et des djihadistes se cachent parmi les femmes et les enfants. Des prisonnières sont violées par leurs gardes ; la photo de l’un d’eux, un couteau entre les omoplates, a fait grand bruit le 4 juillet dernier. « Bagarres au couteau, jets de cailloux et menaces sont monnaie courante entre les détenues : les plus radicales attaquent celles qu’elles jugent «infidèles», écrit Libération (18 juillet).

En mai dernier, des « sœurs du camp d’Al-Hol, sorties parmi les dernières de Al-Baghouz suite à la trêve » [qui permettait la sortie des femmes et des enfants] et originaires de Tchétchénie et d’Ingouchie, deux républiques musulmanes irrédentistes du Caucase russe, ont écrit une lettre ouverte, en russe sur les réseaux sociaux : « Dans ce camp il y a des meurtres, des pillages et des tabassages de nos sœurs et de leurs enfants. A l’intérieur du camp certains ont décidé que notre vie et nos biens sont à leur dispositions et nous attaquent chaque jour […] Aux mères qui essaient de sortir leurs filles de là, leur vie n’est pas en danger : certaines couchent avec les kurdes et même entre elles, d’autres sont enceintes de kurdes ».

Pis, dans ce Guantanamo moyen-oriental, règne une hyper-radicalisation qui risque d’annoncer une renaissance explosive du djihad. De quoi s’interroger sur l’opportunité de faire revenir ces femmes dans les pays d’où elles sont parties. A ce jour, seuls dix-sept enfants sont revenus en France, l’Élysée ayant reculé devant un rapatriement massif à cause de l’hostilité de l’opinion…

« Je reviendrai foutre en l’air tous les kafirs »

Une détenue appelle sa grand-mère dans le Caucase russe, mi-juillet. Elle fait répéter ses phrases à son enfant : « Ne t’inquiète pas pour moi, je vais bien. Je reviendrai bientôt faire mon istichhadiya. Inch Allah je reviendrai, je vais foutre en l’air tous les kafirs. Ne t’inquiète pas, je tiens bon et ne pleure pas, prie pour moi, je suis sur le chemin d’Allah ». L’istichhadiya signifie se faire exploser, quant aux kafirs, c’est le synonyme des kouffars, les infidèles.

Le 16 avril, des journalistes de la chaîne Al-Arabia diffusent un reportage tourné avec les femmes du camp d’Al-Hol : « habillées tout en nor, ces femmes derrière la clôture relatent leur idéologie. L’administration du camp affirme qu’elles sont toujours fidèles aux idées de l’Etat Islamique. L’une de ces femmes nous a dit : personne ne pourra renverser notre foi et nos croyances. Ni Trump, ni les USA, ni les Juifs, ni les infidèles, personne. Ces croyances sont aussi en nos enfants ».

Pis, les journalistes ont été attaqués à plusieurs reprises par ces femmes qu’ils ont trouvées « bien plus fanatiques que leurs maris » djihadistes. Certaines avaient d’ailleurs participé à la résistance du dernier carré de l’EI à Baghouz en tirant sur les assaillants kurdes mi-mars. L’équipe d’Al-Arabia a dû quitter le camp précipitamment sous les jets de pierre. « Dans ce camp il y a une atmosphère de terreur. Toute personne qui est soupçonnée par les femmes de l’EI de ne pas être loyal envers les terroristes peut être tabassé ou même tué ».

Le 22 juillet, des journalistes en reportage dans le camp d’Al-Hol sont accueillis par des femmes vêtues de niqabs noirs et des enfants très jeunes : « l’Etat Islamique tiendra ! On viendra nous sauver ! Abu Bakr al Bagdadi va nous sauver ». Une vidéo montre des enfants qui crient « l’État Islamique tiendra », et se répandent en menace contre les Infidèles et les musulmans qui se convertissent, les murtads ou apostats.

Le retour en Europe des femmes et enfants de djihadistes pourrait être in fine bien plus dangereux encore que celui des djihadistes eux-mêmes.

Louis-Benoît Greffe

Crédit photo : camp de Al-Hol en mars 2019, photo Voice of America, domaine public
[cc] Breizh-info.com, 2019, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

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