L’affaire de l’agression homophobe de la place Napoléon, à La Roche-sur-Yon, s’est dégonflée, comme une baudruche. Exit le saccage de stand, les violences et les injures. Un dossier vide, des témoignages de victimes présumées embarrassants, des débats sans fin autour d’un slogan de pacotille : en dépit des efforts des parties civiles à sur-qualifier l’événement, les faits sont têtus. Un chahut étudiant reste une potacherie, fut-elle blessante. Y compris les points Godwin les plus grossiers n’y feront rien.
Les distingués avocats de la Ligue des Droits de l’Homme et d’ADHEOS sont allés convoquer la nuit de cristal et « les heures les plus sombres de notre histoire » pour assurer le frisson dans une salle d’audience archicomble, suffocante, où les magistrats relevaient les manches de leurs robes noires. Vains raccourcis grossiers.
C’est qu’il fallait, de l’imagination, pour visualiser, au cœur du débat, la troupe para-militaire, marchant au pas cadencé décrite par les plaignants. Il en fallait d’autant plus que la présidente avait décidé de ne pas diffuser les images des vidéos des faits, au grand dam des défenseurs qui les ont réclamées à plusieurs reprises.
Entrave à une manifestation achevée
Deux préventions concernaient l’ensemble des 12 étudiants yonnais cités à comparaître. En premier : « entrave concertée avec voies de fait et dégradations à l’exercice de la liberté de réunion et de manifestation ». Et surtout : « injures publiques en raison de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre par paroles rendues publiques ». Les faits d’agression et de violences sur personnes, plus un larcin hautement symbolique, étaient reprochés à juste deux des manifestants.
La Cour s’est efforcée de déterminer la préméditation. Trois des prévenus ont déjeuné dans leur colocation ce 18 mai. Ils ont discuté examens et actualité locale. Un village associatif occupait une berge du marais artificiel et du zoo mécanique qui entourent désormais la statue équestre de Napoléon. Quelques barnums, des associations investies en faveur de la cause LGBTQIA+, des ballons et des étendards arc-en-ciel, des photos, des panneaux exposant des revendications interminables pour un monde plus gay-friendly. Toute cette propagande titille les convictions des jeunes gens en désaccord profond avec ce battage militant. Naît alors l’idée d’aller exprimer son point de vue…
Une bande d’étudiants en goguette pas très inspirés
Les prévenus ne se souvenaient plus bien des détails. La partie civile et la présidente les ont poussés dans leurs retranchements sans parvenir à en tirer d’aveux : il n’y a pas eu conjuration, tout juste une manifestation improvisée, pas vraiment réfléchie. C’est une bande de copains/copines de fac qui a pris le chemin de la place Nap’ en fin de journée, rameutant les amis des amis par SMS et les potes croisés en chemin. La préparation est inexistante, l’objectif assez vague et même les slogans seront à improviser.
La « horde fasciste » a déboulé sur une manifestation qui était en train de lever le camp, la clope au bec, les mains dans les poches. Deux trois slogans anti PMA-GPA plus tard, une poignée de « Homo-Folie, ça suffit ! », il s’est écoulé à peine trois minutes. Ni sang sur le pavé, ni gueule cabossée, tout juste quelques débris de baudruches colorées et une grille jonchent-ils le sol.
C’est mince pour qualifier une « entrave concertée avec voies de fait et dégradations à l’exercice de la liberté de réunion et de manifestation ». Les avocats de la défense ont eu beau jeu de pulvériser ce point de l’accusation façon puzzle. Jurisprudence à l’appui, la main sur le code pénal. « Comment nos clients auraient-ils pu entraver une manifestation qui était finie ? Pour qu’il y ait entrave, il faut qu’il y ait empêchement ! »
Homo-folie ou folie homo ?
Au moment d’examiner les griefs d’injures homophobes, les avocats de la partie civile avaient l’œil qui frise. Échange de regards entendus avec quelques supporters de la cause LGBT présents dans la salle, geste d’apaisement vers le banc de leurs clients.
Droits dans leurs mocassins, les présupposés homophobes ont assumé, le slogan phare : « homo-folie, ça suffit ». Quatre d’entre eux ne l’ont toutefois pas clamé. « Nous ne sommes pas d’accord avec la surenchère de revendications des LGBT. Nous n’avons rien contre les personnes : c’est politique », ont-ils expliqué. Une interprétation qu’a déniée la partie civile : « Homo-folie, nous renvoie au temps où l’homosexualité était encore considérée comme une maladie mentale. C’est une injure traumatisante pour tous ceux qui ont connu cette époque. »
« Ce slogan existe depuis une dizaine d’année » ont pu établir les défenseurs. « C’est aussi le titre d’un livre qui figure au catalogue de la Bibliothèque de France, » a étayé l’un des avocats. « Difficile de donner un sens à la phrase « Homo-folie, ça suffit », si on interprète le terme comme « la folie des personnes homosexuelles », a noté un autre. Les escarmouches oratoires passées, la cour affectait d’entretenir le doute. Une posture sans doute nécessaire pour conserver une contenance quand aucun fait concret n’a encore été établi fermement.
Le pire était à venir côté partie civile avec l’analyse des faits de violence. Le seul prévenu concerné aurait pu être en droit de s’attendre à un raz-de-marée, au vu des faits décrits dans les médias les jours précédents. Ce fut un naufrage. Les deux victimes, un couple de septuagénaires à la tête de la Ligue des Droits de l’Homme de Vendée, faisaient état, l’un d’une incapacité de travail de 10 jours, l’autre d’une ITT de moins de 8 jours.
S’il faut des bleus, j’en aurai
Le premier s’est lancé dans une description des faits que les défenseurs ont immédiatement identifiée non conforme à sa déposition. Ce que la présidente a également relevé. Puis son épouse a embrayé sur une histoire, là encore en contradiction avec les procès-verbaux, enjolivée de détails abracadabrants.
Probablement ignoraient-ils que figurait au dossier une pièce comportant deux autres versions des faits, à travers la déposition d’un policier ayant dû rendre des comptes de n’avoir pas enregistré leur plainte le samedi soir. Les avocats des prévenus se sont chargés de leur rappeler.
Immédiatement après le passage des étudiants, la BAC s’est présentée au village associatif. A l’issue d’une rapide enquête, il semblait établi que nulle violence n’avait été subie, que nulle injure n’avait été entendue et que tout allait bien. Au retour de la patrouille au commissariat, le couple de victimes était présent, indiquant souhaiter porter plainte pour violence. .
Le policier, qui avait déjà discuté place Napoléon avec les deux personnes, s’est porté vers elles pour les entendre à nouveau. Il leur a expliqué qu’il était prêt à prendre leur plainte, mais qu’il ne s’agissait que de violences légères et qu’il « fallait un nombre de jours d’ITT déterminés », pour les caractériser comme délictuelles. Ce à quoi l’homme a répondu que s’il fallait des bleus, il en aurait. Il n’était alors pas blessé. Le lendemain, il se faisait prescrire 10 jours d’ITT à l’hôpital.
Les seuls faits qui ont échappé aux caméras
Comble de malchance, tandis que la manifestation a été intégralement filmée, il n’existe pas la moindre image des agressions. Le prévenu a nié, ferme face aux nombreuses relances de ses accusateurs. A l’issue des plaidoiries, son représentant, qui plaidait la relaxe, invitait la cour à ne pas tenir compte de l’ITT de plus de 10 jours au cas où les faits d’agressions seraient retenus, une requête a priori prise en compte.
A l’issue de près de 10 heures de débats, il ne restait plus dans le dossier des parties civiles outre les craquages de ballons et l’insoutenable spectacle d’une grille jetée au sol, que le vol d’un drapeau arc en ciel, trophée malheureux d’un potache désolé d’avoir transgressé un tabou. Les « live tweet » lancés au matin par la presse locale avaient fait long feu, en absence de révélation tonitruante.
Le procureur n’en a pas moins requis de deux à huit mois de prison avec sursis et de 100 à 200 heures de TIG. 3 des étudiants ont déjà été virés de l’ICES pour ces mêmes faits, les autres devront réaliser entre 1 mois et 2 mois de TIG imposé par l’institut s’ils souhaitent y poursuivre leurs études. De surcroît, l’établissement a collaboré activement avec les enquêteurs en identifiant les participants à l’événement et en communiquant leurs coordonnées à la police.
Magnus Latro
Crédit photo : DR
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