Luc Pauwels est né à Anvers en 1940. Vieux routier du Mouvement flamand, il se passionne depuis toujours pour l’Europe des Ethnies (Guy Héraud) et l’Empire européen (Alain de Benoist), cette Europe irremplaçable « pourvue qu’elle se réveille » (Peter Sloterdijk). « Je veux y contribuer en tant que historien et essayiste » nous dit-il, au cours d’une interview à propos de son nouveau livre intitulé « Histoire du Kurdistan, le point de vue kurde » paru aux éditions Yoran Embanner (un tome 2 est à suivre)
Un entretien qui va, à coup sûr, vous donner envie de vous procurer un livre passionnant pour découvrir un peuple que finalement, nous connaissons très mal.
Breizh-info.com : Pourquoi vous êtes-vous intéressé, après l’Ukraine, à la question du Kurdistan ?
Je m’intéresse à tous les peuples en quête à leur autodétermination et en révolte contre un (ou plusieurs!) jacobinismes oppresseurs qui veulent effacer leur identité, leur langue et leur culture. Cela se fait toujours selon le même schéma, si bien formulé par l’historien tchèque Milan Hübl (1927-1989): « Pour liquider les peuples, on commence par leur enlever la mémoire. On détruit leurs livres, leur culture, leur histoire. Puis quelqu’un d’autre leur écrit d’autres livres, leur donne une autre culture, leur invente une autre histoire. Ensuite le peuple commence lentement à oublier ce qu’il est, et ce qu’il était. Et le monder autour de lui l’oublie encore plus vite ».
La tâche des jeunes, des intellectuels d’aujourd’hui c’est d’empêcher que cela se fasse: « No pasaran! »
Breizh-info.com : Pourriez-vous nous définir géographiquement et historiquement le Kurdistan ?
Les Kurdes sont un très vieux peuple de souche indo-européenne qui descend des Mèdes. Aujourd’hui ils sont quelque 40 millions, établis à quelque 90 % sur quatre pays différents: la Turquie, l’Iran, l’Irak et la Syrie. Pendant des siècles les Empires ottoman et perse ont plus ou moins laissé faire les Kurdes dans leurs différentes principautés montagnardes. En même temps ils sont tenus en état de division et, de plus, instrumentalisés dans une lutte géopolitique permanente entre les Turcs et les Persans. Valeureux combattants ils s’usent et saignent sur les champs de batailles, mais ils n’en tirent aucun profit pour eux-mêmes, pour leur propre peuple.
Vint alors le grand écrivain kurde Ehmedê Xanî (1650-1706) qui, un siècle avant Herder (1744-1803), prône que l’unité politique ne peut exister que si elle est l’émanation d’une unité ethnoculturelle: « Pourquoi les Kurdes dans ce monde sont-ils tous expropriés ? Pourquoi sont-ils tous condamnés ? » se demande Xanî. C’est le début du nationalisme populaire kurde qui se révoltera en permanence contre les nationalismes d’abord impérialistes, puis jacobins des Turcs et des Persans.
Après la Grande Guerre, le Traité de Sèvres (1920) garantit aux Kurdes enfin leur propre État à eux. Hélas, les Grandes Puissances cèdent aux pressions d’Atatürk et renient leur signature.
Breizh-info.com : Qu’est-ce qui explique que contrairement aux Arabes, aux Turcs et aux Iraniens, les Kurdes n’aient pas réussis à s’imposer, militairement, dans l’histoire, et aient toujours été persécutés finalement ?
Coincés entre deux énormes Empires, l’un turc-ottoman, l’autre persan, les Kurdes ont toujours été victime de leur situation géopolitique. Leur territoire montagnard n’ayant aucun accès à la mer, ils ont été coupés de l’évolution qu’a connue l’Europe. En même temps cette situation géographique a garanti leur survie, comparable à l’histoire de la Suisse. Un second élément important, surtout en Turquie, a été l’islam. Le sultan fut jusqu’en 1922 en même temps le calife, c’est-à-dire le chef religieux suprême de tous les musulmans sunnites. Une révolte contre le sultan turc fut donc à la fois un délit politique et un crime religieux. Les Kurdes étant en majorité musulmans – quoique souvent contre leur gré – cela a été un frein important à leur émancipation.
Breizh-info.com : A l’heure actuelle, les perspectives pour le Kurdistan s’améliorent-elles ?
Oui, les perspectives pour le Kurdistan s’améliorent, mais le contexte actuel est totalement différent de l’un pays à l’autre. En Iran la situation est totalement gelée, à cause du régime des ayatollahs. La persécution des Kurdes et de leurs aspirations culturelles y est institutionnalisée.
En Turquie le fond est identique, mais à la surface le régime d’Erdogan se soucie des apparences. Les partis kurdes ou pro-kurdes se succèdent au parlement d’Ankara, l’une interdiction suivant l’autre depuis des décennies. En Syrie le territoire kurde a réussi une autogestion difficile dont personne ne sait si elle survivra à la guerre civile. Reste l’Irak où le nationaliste kurde Jalal Talabani (1933-2017), a été de 2005 à 2014 le président de ce pays difficile et où la Région autonome kurde tient toujours bien, malgré l’hostilité de Bagdad lors du référendum sur indépendance du Kurdistan irakien.
Breizh-info.com : On assimile souvent le peuple Kurde au communisme, à la révolution d’ultra gauche. Est-ce faire des généralités ? Pourquoi cette assimilation ?
Les régimes turques et iraniennes étant perçus comme étant de « droite », pas de quoi s’étonner que la résistance radicale kurde se réclame de la « gauche »…
Breizh-info.com : Y’a t »il des films, des livres, que vous conseilleriez sur le Kurdistan, autre que le vôtre ?
Je vous conseille le site web www.institutkurde.org de l’Institut kurde de Paris qui nous tient au courant de toutes les nouvelles publications sur le Kurdistan. L’institut dispose d’une importante bibliothèque, organise des conférences, des cours de langue etc. Si l’on veut être informé, c’est là qu’il faut commencer.
Propos recueillis par YV
Crédit photo : DR
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