Jersey. Un paradis fiscal très proche de Saint-Malo et de la Bretagne

Il n’y a pas que les touristes à fréquenter l’île de Jersey. Car, officiellement, 58 % de l’économie locale repose sur les flux financiers. En réalité, toute l’économie de l’île repose sur la finance.

Jersey est un des nœuds névralgiques de la finance mondiale. Maxime Renahy raconte comment et pourquoi.

Pour les Bretons, il est facile de quitter la République française. Il suffit d’aller à Saint-Malo. Là, on monte dans le Condor rapide, et 1 h 25 plus tard, on débarque au port de Saint-Hélier, dans les États de Jersey (dénomination officielle du territoire). Plusieurs raisons peuvent justifier ce petit voyage.

  • D’abord le souci de faire du tourisme
  • Ensuite, de se plonger dans une ambiance britannique, puisque, maintenant, les iliens d’origine — les Normands — ne constituent plus qu’une petite minorité et que le Jersiais — un dialecte normand — n’est plus parlé.
  • Mais surtout, « l’homme d’affaires » a des raisons plus solides de s’y rendre.

En effet, en décembre 2016, l’île hébergeait 30 banques disposant de 126 milliards et 231 fonds d’investissement pesant 268 milliards d’euros — ce qui est beaucoup pour une île de 119 kilomètres carrés. On l’aura compris, Jersey, comme les autres îles Anglo-normandes, est un paradis fiscal où règne une fiscalité très attractive. Surtout pour les sociétés étrangères dont les revenus sont taxés à 0 %.

Dans son ouvrage « là où est l’argent » (Les Arènes, avril 2019), Maxime Renahy nous explique comment fonctionnent les multinationales à Jersey. Bien placer pour en parler puisque, pendant plusieurs années, il fut administrateur de fonds d’investissement dans un cabinet d’avocat d’affaires.

Pour agrémenter son séjour dans l’île, il décida d’alimenter la DGSE en informations exclusives, et de bonne qualité puisque pompé à la source — le cabinet d’avocats d’affaires dans lequel il travaille : le fiduciaire Mourant Ltd. Une fiduciaire est un cabinet d’avocats qui s’occupe de gérer les biens d’entreprise et la fortune de personnes privées. Quant aux fonds d’investissement, basés dans les paradis fiscaux, ils servent tout simplement à pratique l’évasion fiscale.

Crainte de l’effondrement du système bancaire international et d’une nouvelle crise du type de celle des subprimes

Parmi les dossiers que Maxime Renahy eut à connaitre, figure la liquidation de l’entreprise Samsonite, située à Hénin-Beaumont. À la manœuvre se trouve le républicain Mitt Romney, mormon de son état, qui fût l’adversaire d’Obama à l’élection présidentielle américaine. Romney est surtout le patron du fond d’investissement Bain capital Inc, domicilié dans l’Etat du Delaware, un paradis fiscal américain. Un bol d’investisseurs est propriétaire de Samsonite, Bain capital, Ares Management, Ontario Teach’s Private Capital et Artémis (François Pinault, investisseur passif restant dans l’ombre).

M. Renahy raconte par le menu les différentes manœuvres qui permirent de liquider l’entreprise, de délocaliser la production en Asie, d’enrichir Bain capital, Ontario Teachers et Ares Management : en effet ces trois compagnies d’investissement empochèrent 950 millions de dollars pour une mise initiale de 106 millions de dollars.

Travaillant pour la DGSE qui lui fournissait régulièrement des « listes de course », M. Renahy eut la possibilité de se faire une petite idée sur les préoccupations du renseignement français, donc du pouvoir en place. Rapidement, il découvrit que « la plupart des sociétés sont surendettées et qu’elles ne pourraient pas rembourser les dettes qu’elles contractent entre elles et auprès des banques centrales ». C’est pourquoi la DGSE s’intéresse de près aux fonds propres des banques et aux fonds de solvabilité. Car le gouvernement vit dans la crainte de l’effondrement du système bancaire international et d’une nouvelle crise du type de celle des subprimes. C’est la grande peur des États qui redoutent, en permanence, les dérapages du système financier et bancaire.

Mais DGSE et Renahy ne sont pas toujours sur la même longueur d’onde ; car les officiers traitants ne s’intéressent pas aux affaires franco-françaises, mieux ils cherchent à défendre les intérêts des multinationales françaises, des banques et autres assureurs français implantés à Jersey. Il regrette également que « le secteur de l’intelligence économique est le parent pauvre de la DGSE, toutes les forces étant concentrées sur l’antiterrorisme ».

Mais les membres de cette institution ont une haute idée de leur activité : « la DGSE se considère comme le dernier rempart en cas d’effondrement de l’État. On ne lira pas ça dans la presse ou les livres spécialisés, mais sa rhétorique tend à montrer qu’elle n’est pas seulement un rouage silencieux et invisible, mais bel et bien l’ultime recours de la République, de l’Etat, de la nation française ».

Renahy a décelé chez eux une « croyance romantique, mais infondée juridiquement, que l’institution serait le dernier recours en cas d’effondrement de l’État ».

Bien entendu, dans cet ouvrage, l’auteur décortique d’autres dossiers que Samsonite. Il accorde également une place aux politiques qui font commerce de l’argent. François Fillon et Gérard Longuet, par exemple.

Bernard Morvan

Photos d’illustration : DR
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