Sécurité sociale : la fraude documentaire aussi coûteuse que la reconstruction de Notre-Dame de Paris

La fraude documentaire à la Sécurité Sociale inquiète le Sénat. Celui-ci vient de publier un rapport parlementaire consacré au Sandia, qui gère les numéros d’immatriculation des personnes nées à l’étranger. Soit 21.054.984 dossiers très exactement, sur 113 millions de numéros de sécu (18,6%). Pour rappel, d’après une étude Eurostat, 8.177.000 personnes nées à l’étranger vivent en France au 1er janvier 2018.

2011 : 10 à 14 milliards d’euros de fraude sur la base d’une extrapolation mal bâtie ?

En 2011, un premier rapport de la délégation nationale de lutte contre la fraude avait étudié un échantillon de 2.103 « dossiers représentatifs du stock de dossiers du SANDIA ». Parmi eux, 10,6% avaient créés indûment. Un chiffre important, mais incomplet. En effet, 33,9% des dossiers étaient classés comme « indéterminés » car fondés sur des documents d’état-civil délivrés à l’étranger, or les deux tiers d’entre eux étaient « invérifiables », faute de disposer des modèles ou références des documents délivrés.

Sur la base de cette estimation incomplète de 10,6% extrapolée à l’ensemble des fichiers et multipliée par un montant de prestation moyenne de 7.700 € annuels, le magistrat Charles Prats estimait que 10 à 14 milliards d’euros sont versés chaque année à des personnes nées à l’étranger ayant frauduleusement obtenu un numéro de sécurité sociale.

2018 : il n’est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir

Un nouveau rapport en 2017/18 révèle « une anomalie critique de 3,5% » sur – une fois de plus – un échantillon représentatif de 1.300 dossiers. Selon ce rapport, « le risque associé aux faux numéros de sécurité est compris entre 200 et 802 (!) millions d’euros en terme de prestation. » Or, surprise : « cet ordre de grandeur de quelques centaines de millions d’euros n’est pas un sujet hors normes en matière de fraude sociale ». On se dispensera donc de vérifier tout le SANDIA. Bref, circulez, il n’y a rien à voir.

Pour ce rapport de 2018, seuls 4,2% des dossiers (55 sur les 1.300 de l’échantillon) sont considérés « en anomalie critique », 12% (156) « en anomalie mineure », c’est à dire que le formalisme de certaines pièces n’a pas été respecté pour des raisons historiques ou locales, notamment en Algérie, Afrique, Espagne… Sur les 55 dossiers critiques, « seuls 13 ne sont pas régularisés », chiffre incomplet s’il en est puisque le rapport en cite encore 8 où le destinataire n’habite pas à l’adresse indiquée et 5 où « les échanges sont toujours en cours ». Sur les 13 non régularisés, 7 font l’objet de prestations dont 2 seulement ont donné lieu à des plaintes pour fraude… ce qui permet au ministère d’affirmer que le taux de fraude ne représente que 0,15% (2 sur un échantillon de 1.300). Bref, on fait dire aux chiffres ce qu’on veut.

2018 : 3% de fraudeurs qui valent Notre-Dame de Paris ?

Les rapporteurs du Sénat ont demandé un nouveau contrôle, sur 1.575 dossiers cette fois. Encore un échantillon « représentatif ». Là-dessus, 246 (15,6%) sont indéterminés, 376 (23,9%) en anomalie mineure, régularisables par présentation de nouvelles pièces, 57,5% favorables et 3% seulement (47) en anomalies critiques pour un total de 93.806 prestations en toute nature, dont 2.447 au RSA pour un allocataire. Encore une fois, circulez, il n’y a rien à voir ? L’extrapolation donne cependant, dans le rapport, « un risque total de 247 à 987 millions d’euros », soit l’ordre de grandeur envisagé pour la reconstruction de Notre-Dame de Paris.

En réalité, personne n’en sait rien car, une fois de plus, la vérification de tous les dossiers du SANDIA a été écartée. Peut-être parce qu’elle aurait pu provoquer trop de découvertes dérangeantes ? Comme le déclarait la sénatrice Patricia Schillinger (En Marche, Strasbourg) lors de la présentation du rapport : « les dentistes qui constatent qu’une carte vitale est partagée par toute une famille, y compris ses membres vivant en Suisse ou Allemagne, font part de leur suspicion au préfet ou à la Sécurité sociale et n’ont pas de réponse ». Cela risque de durer quelque temps encore.

Louis-Benoît Greffe

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