Qui était Anne de Bretagne ? Dans un ouvrage dédié, Frédéric Morvan apporte de nouvelles réponses [Interview]

Les éditions Gisserot viennent de publier « Anne de Bretagne » ouvrage rédigé par Frédéric Morvan, que les lecteurs assidus de breizh-info connaissent déjà.

Anne de Bretagne, née en 1477 et morte en 1514, est la souveraine certainement la plus célèbre de Bretagne, et sans doute une des plus connues de l’Histoire. Duchesse de Bretagne à titre personnel à l’âge 11 ans et demi, mariée une première fois à moins de 14 ans à Maximilien d’Autriche, roi des Romains, une seconde fois au roi de France, Charles VIII, dix mois plus tard, et une troisième fois à 22 ans au successeur de Charles VIII, Louis XII. Sa vie aurait pu être celle d’une reine vivant dans le luxe, entourée de centaines de serviteurs, remplissant son seul devoir : celui de donner un fils et donc un héritier à son mari et à la Couronne de France. Elle fut mère la première fois à 15 ans et enfanta plus d’une quinzaine de fois. Bien sûr, elle fut sacrée, cas exceptionnel, deux fois reine de France. Avec elle, la Cour de France quitta le Moyen-âge pour la Renaissance. Mais Anne de Bretagne ne fut pas que cela.

Il existe des dizaines de biographies d’Anne de Bretagne. Grâce à la révolution de l’Internet, l’accès à l’information est rapide, vaste et efficace. Il a été possible de vérifier, de corriger, de trouver afin de mieux comprendre qui fut Anne de Bretagne, qui furent les gens qui l’entourèrent, comment se déroulèrent les évènements qui agirent tant sur sa vie. Bien sûr, dès sa naissance, princesse de Bretagne, elle fut un instrument politique : l’épouser signifiait pour l’heureux élu acquérir la riche Bretagne. Les plus puissants de l’époque s’entredéchirèrent autour d’elle. On peut se demander si durant les vingt premières années de sa vie, elle fut maîtresse de son propre destin. À partir de la mort de Charles VIII, même si les obstacles furent très nombreux, elle devint une véritable souveraine ayant un double but : conserver intacte la souveraineté de la Bretagne et faire de ses deux seuls enfants survivants, Claude et Renée, nées difficilement de son union avec Louis XII, les princesses de l’Europe.

Frédéric Morvan a 53 ans. Il est natif de Brest et de famille bretonne « depuis des générations et des générations » nous confie-t-il. « J’ai fait toutes mes études à Brest. Je suis agrégé d’histoire et docteur en histoire, spécialité histoire de la Bretagne médiévale. J’ai écrit quelques livres : les Bretons de 1870 à 1970 aux éditions Michel lafon, Bretagne, histoire confisquée aux éditions du cherche midi, les souverains de Bretagne aux éditions Encyclopédie de la Bretagne, etc. J’enseigne actuellement dans un lycée brestois où je rencontre des difficultés avec ma hiérarchie, car je souhaite profiter de la  réforme et des nouveaux programmes pour y intégrer un peu d’histoire de Bretagne. »

Nous l’avons interrogé suite à la sortie de cet ouvrage.

Breizh-info.com : Avec cet ouvrage sur Anne de Bretagne, qu’apportez-vous de plus que les biographies déjà sorties ?

Frédéric Morvan : En fait, énormément, trop même. Je croyais faire une œuvre seulement de compilation, j’ai eu à corriger dates, faits et idées reçues. Je pensais faire une étude thématique d’Anne et j’ai été contraint et forcé de la suivre au jour le jour pour identifier ses faits et gestes, pour comprendre qui étaient les membres de son entourage, le pourquoi, le comment et les conséquences. Aujourd’hui, on peut le faire, car avec un simple clic nous accédons à des livres en ligne (gallica et autres sites) introuvables il y a dix ans ou très très difficiles d’accès. Même des archives sont accessibles directement.

Breizh-info.com : Pourquoi ce choix des éditions Gisserot ?

Frédéric Morvan : C’est une commande de la part des éditions Gisserot qui n’avait pas de Anne de Bretagne dans leur catalogue. Par ailleurs, Gisserot est une maison d’édition bretonne (Plouédern-Quintin) qui diffuse très bien et très massivement, à prix accessible à tous. Si je ne me trompe pas, le livre sort à 5000 exemplaires, ce qui est de nos jours tout à fait exceptionnel.

Breizh-info.com : Parlez-nous un peu de quelques anecdotes marquantes sur la vie d’Anne de Bretagne ?

Frédéric Morvan : Elle refusa de se marier à Alain d’Albret, un prince de sa famille, car elle le trouvait trop moche. Elle n’avait alors que huit ou neuf ans. Elle fut mariée une première fois à 11 ans à Maximilien d’Autriche, le cousin de sa mère, qui ne vint jamais et qui fut lors du mariage remplacé par son chambellan. Alors qu’Anne était allongée dans son lit, le chambellan dédrapa le lit et y glissa une de ses jambes pour montrer qu’il y avait eu consommation. Elle se maria à 14 ans avec Charles VIII après l’avoir vu et réciproquement, ils ne se trouvèrent pas trop laids. Elle fut dévêtue entièrement afin de constater qu’elle n’était pas difforme. les ministres de Charles VIII eurent si peur qu’Anne soit enlevée par des hommes de Maximilien que son mariage se fit 0 Langeais de nuit dans la plus grande discrétion. Et ce mariage fut illégal, car le pape n’avait pas accordé alors les dispenses, car Anne et Charles étaient cousins. Le pape Alexandre VI les accorda un an après. Charles VIII mourut jeune après que son front eut heurté l’huis d’une porte. Anne le pleura violemment durant une journée puis se rendit à Paris et en Bretagne pour faire l’état de ses biens et retrouver son duché. Elle négocia âprement son mariage avec Louis XII le cousin germain de son père, cousin qui avait tenté de se marier avec elle alors qu’elle n’avait moins de huit ans, cousin qui défendit ses droits sur le champ de bataille de Saint-Aubin du Cormier.

Louis XII semble l’avoir écoutée, mais aussi semble ne  pas l’avoir étoutée. Il accepta le mariage de leur fille Claude de France avec Charles de Habsbourg, petit-fils de Maximilien, et futur empereur germanique. Claude allait avoir en héritage le duché de Bretagne et tout le nord de l’Italie et même la Bourgogne. Les fiançailles eurent lieu en grande pompe à Amboise. À la sortie de la messe, Anne montra à la mère de Charles, Jeanne de Castille, alors l’héritière des royaumes espagnols, qu’elle était la duchesse souveraine de Bretagne et reine de France en passant ostensiblement devant elle.

Le roi Louis XII se ravisa et décida de marier Claude à François d’Angoulême, son cousin et héritier (le futur François Ier). Lors que mariage, Anne fit une tête d’enterrement. Et tout le monde le vit. On crut le roi sur le point de mourir, Anne gouverna alors le royaume pendant plusieurs semaines. La situation fut telle qu’elle prépara son départ vers la Bretagne. Le Premier ministre du roi, le Breton Pierre de Rohan-Gié, arrêta les bateaux qui transportaient ses biens vers la Bretagne. Guéri, Louis XII fut contraint et forcé par son épouse de se séparer de Pierre de Rohan qu’Anne fit poursuivre devant la cour de justice pour haute trahison envers elle : pierre fut sauvé de la potence, car sur ordre discret du roi louis XII personne ne voulait témoignage contre ou pour Pierre de Rohan. Pour montrer son vif mécontentement, Anne fit son fameux tro Breizh qu’elle dut écourter, car son mari, furieux, lui fit croire, pour la faire revenir, qu’il était gravement malade.

Rien n’était prêt pour la naissance en 1510 de sa seconde fille viable, Renée, car Anne perdait tellement d’enfants qu’il ne fallait rien faire au cas où. Anne était alors très dépressive. Sur son lit de mort, quelques jours avant sa mort, elle continuait à tenter de vouloir marier Renée au futur Charles Quint, car selon son contrat de mariage (tous ses contrats de mariage le mentionnèrent) c’est son second fils qui devait hériter du duché de Bretagne, si elle n’avait qu’un fils, c’était sa fille aînée qui héritait du duché, si elle n’avait pas de fils (c’était alors le cas), c’était sa seconde fille, et donc Renée, qui héritait du duché. Toute sa vie fut tournée vers ce but : que le duché de Bretagne ne tombe pas entre les mains des rois de France. Son enterrement dura plus de dix ans et mobilisa plus de 15 000 personnes. La messe d’enterrement eut lieu à Notre Dame de Paris. Et elle fut enterrée dans la basilique de Saint Denis, mais son cœur, sur son ordre, fut envoyé à Nantes pour être placé auprès de ses parents. Il avait été donné aux Nantais et aux Bretons.

Breizh-info.com :  Imaginez-vous, un jour, que sa vie puisse être adaptée au cinéma ?

Frédéric Morvan : Bien sûr, mais le problème est qu’il reste d’importantes zones d’ombre, surtout son intimité. J’ai découvert qu’elle pratiquait un christianisme très moderne pour l’époque et qu’elle fit tout pour réformer l’Église.

Propos recueillis par YV

Crédit photo : DR
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