Jean Soler est parti rejoindre le 16 juin dernier Homère et Moïse. Avec ce dernier, l’accueil risque d’être houleux, tant l’œuvre du chercheur catalan a consisté à critiquer le prophète hébreu.
Un parcours sous le soleil de la Méditerranée
Né en 1933 à Arles-sur-Tech, un gros bourg au pied des Pyrénées-Orientales, Jean Soler poussent ses études jusqu’à l’agrégation de lettres, ce qui le rend capable de lire les classiques latins et grecs dans le texte.
Il fait ensuite carrière dans la diplomatie comme attaché culturel, en veillant à ne pas trop s’éloigner de la Méditerranée. Le poste déterminant sera celui d’attaché culturel à l’ambassade de France en Israël, de 1969 à 1973. Le pays vient de remporter la guerre des Six Jours et veut revivre la gloire du royaume décrit par la Bible.
Pourquoi les juifs mangent-ils cacher (et les musulmans halal) ?
C’est l’occasion pour Jean Soler de se confronter à une autre langue antique (l’hébreu, qui ressuscite sous ses yeux) et à un autre texte classique (la Bible hébraïque, attribuée selon la tradition à Moïse). Il la lit avec la même curiosité que s’il déchiffrait l’Iliade ou l’Odyssée en s’attachant au sens de chaque mot. Il en tire un article pointu mais très lisible sur « la Sémiotique de la nourriture dans la Bible », qui est salué par Claude Lévi-Strauss et devient une référence universitaire.
Cette étude se penche sur l’origine des règles alimentaires définies par Moïse. Jean Soler entend démontrer qu’elles n’ont rien à avoir avec des préoccupations hygiéniques (du style : le cochon est interdit parce qu’il communique la trichinose). Non : elles ont pour logique de condamner tout ce qui s’apparente à un mélange de ce que Dieu a séparé au moment de la Création. Et elles ont pour but de mettre ceux qui les suivent à part des peuples environnants.
La retraite : pour Soler, le temps des grandes questions
Fin des années 90, c’est l’heure de la retraite pour Jean Soler, du retour définitif en Roussillon et dans sa maison remplie de livres et d’oeuvres d’art. Pas très loin, une médiathèque baptisée plus tard de son nom.
C’est le début de l’écriture de livres ambitieux. Soler s’engage sur les traces de Voltaire et de son Dictionnaire philosophique (en moins drôle mais tout aussi clair et foisonnant de détails). « Aux origines du Dieu unique », en 3 tomes, est le plus remarquable, « Qui est Dieu ?» le plus concis.
Les Hébreux, dit Soler, sont, au moment où ils rédigent la Bible, des Méditerranéens polythéistes comme les autres. Leur dieu suprême, Yahvé, est aussi anthropomorphique que son voisin grec Zeus. La loi codifiée par Moïse pour Israël, de même que celle de Lycurgue pour Sparte, n’a d’autre ambition que de faire vivre un peuple particulier. Le commandement de l’amour du prochain comme soi-même garde alors son sens littéral : il faut se serrer les coudes entre compatriotes.
Le monothéisme biblique : selon Soler, une idée tardive et pas forcément judicieuse
Ce n’est que quelques générations avant le Christ, après avoir vu leur rêve de royaume indépendant sombrer, que les Hébreux font de Yahvé un Dieu unique pour tous les hommes (2).
C’est là que commencent les problèmes pour Soler : en concentrant tous les pouvoirs, Yahvé, Dieu ou Allah devient un tyran et un modèle pour les tyrans.
Les travaux de Jean Soler lui ont valu le titre de « chercheur controversé » : cela veut dire que la qualité de sa documentation est reconnue, mais que les conclusions qu’il en tire ne sont pas assez nuancées pour être acceptables par toutes les oreilles. D’où quelques polémiques à la sortie de ces livres, mais surtout un silence gêné. (3)
Le polythéisme grec : la belle vie et le progrès
Jean Soler ne s’est pas contenté de critiquer le travail de Moïse ; il a prescrit les antidotes. Au sein de la Bible, c’est la lecture, au plus près de l’hébreu, du Cantique des Cantiques et de l’Ecclésiaste. Même pour le croyant, la Bible sort alors grandie des explications de Soler, comme un livre plein de sagesse et d’humanité.
Mais le meilleur remède pour le Catalan, c’est encore « le Sourire d’Homère » (2014), l’un de ses derniers livres. En bon agrégé de lettres classiques, il décortique les mots et les situations de l’Iliade et de l’Odyssée, en dégage l’intérêt encore actuel dans des explications lumineuses. Pluralité des dieux et pluralisme des idées, goûts des débats et de l’imagination, intérêt pour les mythes mais sans y mettre sa main à couper, exercices sportifs et cérébraux, petites patries charnelles et voyages, sentiment de l’honneur et de la pitié, les contemporains d’Ulysse ont beaucoup à nous dire.
Pour Soler, l’Europe devait le meilleur d’elle-même à ses racines gréco-païennes. Aussi déplorait-il « l’abandon du grec dans nos établissements scolaires » et espérait-il « une nouvelle Renaissance » (4). Ahou, ahou, ahou…aurait entonné Léonidas…
Enora
1 : Aux origines du Dieu unique : l’invention du monothéisme (2002), La Loi de Moïse (2003), Vie et Mort dans la Bible (2004). Editions de Fallois.
2 : Ils ont été précédés par certains philosophes grecs sur la voie du monothéisme : Platon, Aristote, les Stoïciens, qui admettent cependant des petits dieux sous le grand Dieu. Pour Soler, cela reste malgré tout du polythéisme.
3 : Quelques articles sur la polémique Soler : https://laregledujeu.org/2012/06/20/10192/les-bourdes-bibliques-de-monsieur-onfray/ ; https://tobienathan.wordpress.com/lectures/%E2%80%A2-qui-est-jean-soler/ ; https://blogelements.typepad.fr/blog/2013/02/q1-de-quoi-le-scandale-jean-soler-est-il-le-nom-.html#more
4 : conclusion de Qui est Dieu ?, p 113
Photos d’illustration : DR
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