Iran. Crise entre Washington et Téhéran : pourquoi la diplomatie française ne trouve pas sa place

Nader Nouri est un ancien diplomate iranien basé à Paris, il est secrétaire général de la Fondation d’Études pour le Moyen-Orient (FEMO). Il nous adresse une tribune à propos de la crise entre l’Iran et les USA, que nous reproduisons ci-dessous.

Avec le retrait des États-Unis de l’accord nucléaire iranien (JCPOA) en mai 2018, la France a pris l’initiative de prévenir une crise ouverte sous haute tension dans la région. Jean-Yves Le Drian, s’est rendu à Téhéran les 4 et 5 mars 2018 pour persuader les autorités iraniennes de négocier sur leur programme balistique et leurs ingérences dans la région, notamment en Syrie. Cela aurait pu servir de levier dans des négociations afin de faire revenir Trump sur sa décision. L’initiative française a échoué, la tension n’a cessé de monter avec le déploiement, dans la région du Golfe persique, d’un groupe aéronaval américain autour du porte-avions USS Abraham Lincoln.

Pourquoi l’Iran s’est placé dans un face-à-face si dangereux, alors qu’il pouvait prendre un chemin différent en saisissant la perche tendue par la France ?

Pour comprendre, revenons en arrière. Il y a dix ans, les villes d’Iran ont été le théâtre de grandes manifestations à la suite de la réélection frauduleuse de Mahmoud Ahmadinejad. Les manifestations se sont rapidement transformées en une révolte populaire contre les fondements du pouvoir aux cris de « mort au dictateur ». Ces manifestations ont été réprimées de manière impitoyable sur l’ordre direct du « guide suprême ». Pourtant, ces événements ont secoué la théocratie au moment où les pressions internationales pour empêcher la République islamique de se doter de l’arme nucléaire s’accentuaient, poussant le régime vers la table de négociation. Les décisions prises par le Guide suprême, Ali Khamenei, montrent clairement qu’il avait compris que les sanctions internationales conjuguées au mécontentement populaire pourraient être l’étincelle dans la poudrière iranienne et dont la première victime serait la dictature religieuse. Le pouvoir s’est trouvé face à un dilemme : poursuivre le programme nucléaire militaire ou prendre le risque d’un effondrement imminent du système en place.

Le guide suprême a fini par se résigner. Cependant il a fixé deux lignes rouges pour sa survie : la sauvegarde de « l’axe de résistance », à savoir le maintien de la politique d’ingérence dans les autres pays en renforçant des milices, et le développement du programme de missiles balistiques.

Au lieu de satisfaire les revendications économiques et culturelles d’une population de 80 millions d’habitants, ce régime anachronique a toujours cherché à remédier à sa faiblesse inhérente en créant des crises extérieures et en poursuivant une politique belliqueuse.

Des sources concordantes y compris à l’intérieur du pouvoir estiment à 150 milliards de dollars les avoirs iraniens débloqués à l’étranger avec la levée des sanctions internationales à la suite de l’accord de juillet 2015 sur le nucléaire. Cela s’ajoute aux recettes de la vente du pétrole depuis trois ans avant le rétablissement récent de l’embargo pétrolier. Mais tout indique que ces sommes ont été dépensées pour sauvegarder les deux lignes rouges du pouvoir, alors même que plus de 75 % de la population vit en dessous du seuil de la pauvreté.

La situation intérieure est aujourd’hui bien plus grave qu’en 2009. Tout au long de l’année 2018, de multiples manifestations ont éclaté dans le pays, les ouvriers ou les enseignants réclament les salaires non payés depuis des mois. Des slogans : « Laissez tomber la Syrie ; pensez plutôt à nous », ou « À bas la dictature » sont lancés plus fréquemment. Cette fois, le régime ne peut se permettre le luxe de négocier au risque de perdre ses propres troupes.

En persistant sur une vision religieuse rétrograde, le guide veut garder dans les rangs des milices fanatisées dans la région sous la bannière d’un « islam » obscurantiste aux cris de « mort à Israël » et « mort à l’Amérique ». Le programme de missiles est exhibé, comme un dernier signe de puissance.

C’est pourquoi la France n’a pu persuader Téhéran de consentir des concessions dans ces deux domaines. Ce que la communauté internationale exige de la théocratie en Iran sous la formule de « changement de comportement », est l’abandon de ces lignes rouges existentielles. Khamenei a souligné maintes fois que le « changement de comportement » reviendrait au « changement de régime ».           

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Photos d’illustration : Breizh Info
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