Associé à Debout la France aux dernières européennes, mais ayant soutenu le FN à la dernière présidentielle, le CNIP (centre national des indépendants et paysans) est l’un des plus vieux partis de France, viscéralement anti-communiste et pour l’Algérie française. En 1958, c’était le second plus gros de la toute nouvelle Ve République, et il a connu dans ses rangs Antoine Pinay, Valéry Giscard d’Estaing, ou encore… Serge Dassault. Retombé dans un relatif anonymat, il reste un réseau d’influence, et une volonté de peser dans l’union des droites. Nous interviewons Bruno North, son président.
Breizh-Info : Bruno North, à votre avis, pourquoi la campagne de Nicolas Dupont-Aignan a-t-elle échoué ?
Bruno North : Je fais preuve de solidarité, mais il y a cependant des raisons pour lesquelles on n’a pas fait 5 % alors que les sondages nous les promettaient. Notamment au sujet des Gilets jaunes. Pour moi, dans la crise des Gilets jaunes il y a plusieurs périodes. Une originelle, où le CNIP est en accord avec les demandes d’origine, mais pas par la suite quand c’est parti dans tous les sens. Notre électorat profond, les indépendants, les professions libérales, les paysans, en avait assez de cette crise. Or la réorientation de la campagne de Nicolas Dupont-Aignan sur les Gilets Jaunes n’a clairement pas été salvatrice.
Breizh-Info : N’y a-t-il pas eu des raisons liées aux évictions successives de colistiers, comme Charles Gave et sa fille ?
Bruno North : Ça a suscité de la médiatisation dans un Landerneau très parisien. Dans la France profonde, les électeurs n’ont jamais entendu parler ni de Charles Gave, ni de sa fille.
Breizh-Info : Il y a aussi eu l’éviction de M. Poisson, ce qui a pu décourager une frange de l’électorat catholique de voter pour Dupont-Aignan ?
Bruno North : On semble dire partout que son éviction est liée à des raisons politiques, alors que ce sont des histoires humaines. Quand il y a de l’homme il y a de l’hommerie, il y a des querelles d’ego et de comportements.
Breizh-Info : Mais encore ?
Bruno North : Quand on se répand dans la presse qu’on va être n°3 alors que ce n’est pas encore décidé, qu’il va y avoir 20 colistiers du PCD sur la liste, à force de tirer sur la corde, elle casse.
Breizh-Info : La campagne a été marquée par le duel Macron-Le Pen qui semble vous avoir pénalisé, comme le reste de la droite ?
Bruno North : En ce qui me concerne j’ai fait campagne sur les enjeux européens, les valeurs, le combat civilisationnel, j’ai essayé de revenir sur le nœud du débat et non le duel surmédiatisé entre Marine Le Pen et Macron, duel qui ne changera rien. À installer ce binôme ou duel, c’est Macron le grand gagnant de l’opération. Certes, le FN a eu 500 000 voix de plus qu’en 2014, mais son groupe ne sera pas central – ce sont les libéraux qui feront ou déferont les majorités au Parlement européen – et je pense aussi que le programme du RN reste une sorte de ravalement de façade d’un Frexit déguisé.
Breizh-Info : Que pensez-vous de l’avenir de la droite parlementaire, LR ?
Bruno North : S’il y a une dérive centriste, elle sera phagocytée par Macron. Au-delà de la question de l’union des droites, il faut surtout réinventer la droite, car cela ne se limite pas aux problèmes sociétaux, au clivage entre mondialistes et nationalistes qu’on veut imposer partout. Le clivage gauche-droite demeure. Soutenons nous l’excellence ? Le dirigisme ou la liberté d’entreprendre ? Le travail ou l’assistanat ? À l’intérieur du mondialisme ou du nationalisme, il y a des clivages profonds.
Breizh-Info : Que pensez-vous de l’union des droites, décriée par Pécresse – partie depuis de LR – et Gérard Larcher ?
Bruno North : Le CNIP s’est créé en 1949. L’union des droites, je la prône depuis des années. Il faut mettre de côté les ego. Cependant la proportionnelle c’est une mauvaise idée, c’est donner les clés du gouvernement aux partis, donc aux ego et non aux compétences. Au CNIP on construit autour des valeurs et non des hommes. Pour ma part, je suis au service du CNIP, après moi le parti demeurera.
Breizh Info : Justement, le CNIP, combien de divisions ?
Bruno North : Autant que le Vatican aux yeux de Staline : ce n’est pas beaucoup de puissance militaire, mais un réseau d’influence et d’élus. Nous avons des élus de terrain, des maires, des conseillers régionaux…
Breizh-Info : Que pensez-vous de la campagne de LR et de leurs 8 % ?
Bruno North : C’est clairement un échec, presque rassurant pour nous : en quelques mois, DLF a fait la moitié du score du LR et de sa machine de guerre qui a 60 ans d’existence politique. Il y a clairement eu une erreur de stratégie de leur part, et les sondages se sont plantés, ils ont surcoté l’envie électorale malgré les qualités non négligeables de Bellamy. Et puis dans leur campagne, il y avait l’être et le paraître.
Breizh-Info : Certains à droite veulent recréer l’UMP.
Bruno North : C’est une mauvaise idée, qui maintiendra le problème de cohérence politique de la droite. Il faut un centre et une droite libérale-conservatrice assumée qui soit le cœur intellectuel du programme de notre famille politique. Il faut que les Français s’y reconnaissent, car LR a vocation à être un parti de gouvernement.
Breizh-Info : Dans nos colonnes, Charles Gave a appelé à un « programme commun de la droite », qu’en pensez-vous ?
Bruno North : C’est une bonne idée, il y a trop de petites chapelles, la droite est actuellement comme la gauche sous Mitterrand. Il faut donc un programme commun pour rassembler la droite dispersée. Quand on défend des valeurs, il faut les appliquer, regarder ce qui est en commun sinon on ne gagnera plus une élection, car le RN n’est pour l’instant pas en capacité de faire mieux que ce qu’il fait, et il a donc besoin de la proportionnelle.
Breizh-Info : Préparez-vous les municipales ?
Bruno North : C’est l’objectif majeur du CNIP. L’objectif, c’est le réensemencement du CNIP dans les terroirs, la ruralité. Nous espérons avoir un maximum d’élus au cœur de la vie du citoyen, sur le terrain, dans une démarche non pas politique, mais humaine.
Breizh-Info : Allez-vous soutenir le RN pur les municipales ?
Bruno North : Pourquoi pas. Si on est en capacité de prendre une ville à la gauche, pourquoi pas. On ne va pas stigmatiser des gens comme M. Mariani, qui n’a pas changé de personnalité en passant de LR au RN. Il faut sortir de la logique politique, on ne soutient pas des listes RN ou truc mais des listes qui s’occupent des gens et de leur quotidien. C’est plus important que la politique politicienne, la politique des petits pots dans les petits feux. La population a besoin de bienveillance, d’être aimée par ses élus. Elle a besoin d’élus qui aiment les gens, pour lesquels l’engagement est un sacerdoce.
Breizh-Info : Il y en a un qui a réussi l’union des droites et le changement de la vie quotidienne dans sa ville, c’est Robert Ménard à Béziers. Qu’en pensez-vous ?
Bruno North : Prenons quelque chose que je connais, l’immobilier, la politique qu’il mène a remonté la valeur du patrimoine, donc c’est bénéfique aux Biterrois. Les gens sont contents de la politique qu’il mène et ils le rééliront.
Breizh-Info : Béziers est donc le modèle pour les municipales ?
Bruno North : Ménard a su faire l’union des droites à Béziers, et je pense que c’est un bon maire pour Béziers, et la politique qu’il y mène est bonne pour Béziers. Cela dit, l’union des droites, c’est une nécessité. Il faut pour cela que personne ne tire la couverture à soi, que les hommes politiques réapprennent la bienveillance et l’hu-mi-li-té. Il faut un minimum d’esprit de sacrifice et de capacité de se mettre autour d’une table pour discuter, car les gens en ont marre. Et comme ils en ont assez, ils ont fait preuve en 2017 d’un esprit de dégagisme extraordinaire à l’encontre de la droite et des socialistes.
Propos recueillis par Louis-Benoît Greffe
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