L’incendie de Notre-Dame a remis en pleine lumière un autre désastre, la destruction par les Allemands de la cathédrale de Reims, le monument le plus emblématique de l’histoire de France, du moins jusqu’au dernier sacre, celui de Charles X en 1830.
Thomas W. Gaehtgens est un universitaire allemand qui a dirigé le Getty Reseach Institute de Los Angeles. Il est spécialisé dans l’histoire de l’art. Traduite très vite, son étude sur La Cathédrale incendiée est riche d’informations.
Sur les faits eux-mêmes, il souligne le partage des responsabilités. Sur le point d’être prise, Reims est déclarée, par les deux belligérants, ville ouverte et démilitarisée. Mais, le 4 septembre 1914, les Allemands bombardent et touchent la cathédrale. Le 13, les Français reprennent Reims, installent un poste d’observation en haut d’une tour et enferment des prisonniers dans la cathédrale comme « bouclier humain ». Le 19, les Allemands déclenchent un bombardement massif qui incendie la cathédrale. Jusqu’à l’été 1918, elle restera une cible de choix et, à la fin des hostilités elle n’est qu’un squelette, surplombant une ville détruite à 90 %.
Des deux côtés, l’épisode devient un objet majeur de propagande. Très mal à l’aise, le Reich tient à se justifier en invoquant la fatalité. Des écrivains, artistes, scientifiques en vue – Max Planck, Röntgen Hauptmann, von Stuck, Max Reinhardt… – signent un manifeste : « Au monde de la culture ! » Ils récusent l’accusation de geste délibéré, de vandalisme ; ils déplorent la destruction de Reims mais la qualifient d’ «inévitable ». Très vite, la censure s’empare de l’incendie de Reims et fait tout pour l’effacer dans l’opinion allemande.
En France, on ne pardonne pas. Romain Rolland qui avait refusé de s’engager dans le « suicide de l’Europe » (Au-dessus de la mêlée, 1915) est catégorique : « Qui tue cette œuvre assassine plus qu’un homme, il assassine l’âme la plus pure de la race ».
De son côté, Marcel Proust parlant de l’Ange au Sourire au visage mutilé déclare que les « boches » l’ont « vitriolé » par « rage hideuse ». Le gouvernement publie un recueil d’indignations que signent Barrès, Anatole France, Mirbeau, Debussy, Saint-Saëns, Monet, Matisse, Odilon Redon, Signac, Rodin…
Au ras de la propagande, on imprime des centaines de milliers de cartes postales, affiches, on multiplie les caricatures, partout Guillaume II, le nouvel Attila, brisant du marteau de Thor les œuvres d’art françaises.
Après la guerre, tout un débat s’engage : que faire de la cathédrale ? Certains voudraient la garder en ruines mais une majorité se prononce pour sa reconstruction à l’identique, en prenant le temps qu’il faudra.
Effectivement, le chantier n’est achevé qu’en 1938. Le financement est venu de l’État mais aussi de dons, en particulier de la fondation Rockefeller. Durant la Seconde Guerre mondiale, la cathédrale ne subit aucun dégât. En revanche, celle de Cologne, symbole de la germanité, est ravagée par les bombardements anglo-américains. Dès 1950, elle est restaurée.
De quoi comprendre que les polémiques actuelles ont des sources anciennes et qu’un monument aussi symbolique de la nation française ne peut être restauré comme un vulgaire produit marchand.
Jean HEURTIN
La Cathédrale incendiée. Reims, septembre 1914 – Thomas W. Gaehtgens – Gallimard, 326 p. , 88 illustrations, 29 euros, 2018.
Crédit photo : DR
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Une réponse à “D’une cathédrale l’autre, Reims 1914, Notre-Dame de Paris, 2019.”
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