Nighthawks est un tableau dont vous avez surement déjà vu des représentations, la mode du « vintage » aidant. Les Gilets jaunes en avaient même diffusé une version détournée l’hiver dernier, mais leur dénonciation du monde moderne n’était en fait pas en décalage avec le sens que lui avait donné son auteur à l’origine…
L’histoire d’un tableau, témoignage d’une époque
Nighthawks, que l’on peut traduire en Français par « Les faucons de la nuit » mais que certains ont rebaptisé Les rôdeurs de nuit est une peinture réalisée en 1942 par Edward Hopper. Celui qui fut l’une des figures du réalisme américain avait par ailleurs une grande connaissance de l’art européen et particulièrement français, son voyage à Paris au début des années 1900 l’ayant profondément marqué, tant artistiquement que personnellement.
Son œuvre parle d’elle-même : elle met en avant la solitude du monde moderne – un sentiment qui existait donc déjà au milieu du XXe siècle – et la mélancolie qui s’en dégage. La composition de Nighthawks est particulière puisqu’il ressemble davantage à un plan de cinéma qu’à un tableau traditionnel.
Qui est déjà allé aux États-Unis reconnaîtra l’aspect du restaurant, un « diner », restaurant populaire, généralement bon marché et accueillant tout un chacun, de la famille en vacances au routier solitaire en passant par l’ouvrier au repos ou l’ex-taulard sans emploi. Bien qu’il en existe encore, on peut considérer ces restaurants comme les ancêtres des fast-foods d’aujourd’hui. Ce n’est donc pas le plus prestigieux des décors que Hopper a voulu donner à son tableau. Une certaine sérénité s’en dégage, à moins que le terme le plus approprié soit celui de résignation. Pour ce décor, le peintre affirmait s’être inspiré d’un restaurant new-yorkais.
La journée est finie pour cette femme et ces hommes. Sont-ils des bandits ou des banquiers (si l’on estime qu’il s’agit de deux fonctions différentes) ? Assiste-t-on à un rendez-vous galant ennuyeux ou à une « rencontre rémunérée » ? Qui sont-ils, d’où viennent-ils, où vont-ils ?
Quoi qu’il en soit, leur tenue a un peu plus d’allure que celle des habitués du McDo !
La rumeur prétend que cette peinture fut inspirée par une nouvelle intitulée Les Tueurs et écrite par Ernest Hemingway à la fin des années 20, à l’époque où Edward Hopper et lui travaillaient tous deux pour le Scribner’s Magazine. Dans cette histoire, deux tueurs attendaient une victime dans un bar… mais celle-ci n’arrivait jamais.
D’autres voient davantage un lien avec Le café de nuit, peint par Vincent Van Gogh en 1888.
Nighthawks et l’Art Institute of Chicago
Depuis mai 1942, Nighthawks est exposé à l’Art Institute of Chicago, l’un des musées les plus prestigieux des États-Unis. Il avait été acheté pour 3 000 dollars quelques mois après qu’il soit achevé, un véritable coup de maître de la part de Daniel Catton Rich, le directeur de l’époque !
À l’image du Louvre, l’Art Institute of Chicago possède des collections aussi nombreuses que variées, de l’art impressionniste français à l’Antiquité. Le réalisme américain y a bien sûr sa place.
C’est un musée ouvert, les œuvres sont disposées au fil des allées, pas au sein d’une salle spécifique, et il est possible de s’en approcher au plus près. Nighthawks est évidemment très prisé du public et des jeunes étudiants en arts !
Dans une allée parallèle se trouve Nightlife, peint en 1943 et véritable réponse de la part de son auteur Archibald John Motley Jr à Edward Hopper.
On y voit l’ambiance afro-américaine des clubs des quartiers sud de Chicago, la musique remplace le silence, la proximité et la chaleur de l’atmosphère contrastent avec la solitude et la mélancolie, même si quelques personnages semblent avoir consommé un ou deux verres de rhum de trop.
La disposition des deux tableaux et la possibilité donnée de les observer en même temps est un vrai plus.
Les « remakes » et parodies de Nighthawks
Les hommages, remakes et parodies de Nighthawks participent grandement à sa popularité et à sa postérité.
Fidèlement mis en scène dans le film Tout l’or du ciel en 1981, qui s’attarde sur la Grande Dépression des années 30, période propice à une scène aussi pesante que celle de Nighthawks, il fut plus récemment « moqué » à deux reprises par Les Simpsons.
D’autres films et séries reproduisent le tableau, tout comme une publicité de 2017 pour la marque automobile LEXUS, qui reprenait plusieurs œuvres iconiques.
En décembre dernier, en pleine révolte des Gilets jaunes, un montage détournant Nighthawks avait rencontré un grand succès sur les réseaux sociaux, prouvant que cette œuvre de plus de 75 ans continue d’inspirer et d’interloquer.
On imagine qu’Edward Hopper apprécie cela plus que nul autre de là où il est.
Alexandre Rivet
Crédit photos : Breizh Info
[cc] Breizh-info.com, 2019, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine – V