Les gouvernants et médias d’aujourd’hui ont l’habitude de sabrer les héritages nationaux, qu’ils se nomment histoire de France, peuple, patrie, etc. La sauce « française » n’est plus guère appréciée qu’accolée au terme « cuisine » ou à la fameuse expression « exception culturelle ». Pour le reste, elle prendrait des relents par trop nationalistes pour les palais délicats des seuls accrédités à décider des goûts et des couleurs des 67 millions de Français restant.
Paradoxalement, l’un de ces héritages est leur arme de prédilection, qu’ils manient à merveille – s’en rendent-ils seulement compte ? Véritable trésor patiné par les siècles, amoureusement caressé par des fidèles aux yeux étincelant de sa contemplation, patiemment veillé par les gardiens de sa pérennité, il s’agit de la langue française.
Elle est française. Elle est enracinée. Elle est historique. De quoi faire frémir les thuriféraires de la société ouverte à tous les vents, née de la dernière pluie. Ironie de l’histoire, la belle est pourtant celle qui sert le mieux leurs desseins. Imaginez un peu un monde dans lequel le champ du vocabulaire ne serait pas assez vaste pour permettre de jouer sans gêne à saute-moutons de « clandestin », en « immigré », en « sans-papier », en « migrant » et, aux dernières nouvelles, en « exilé » (merci Ouest-France) ? Un monde dans lequel les subtilités aériennes du langage ne permettraient pas de cacher, sous les mille nuances de sens des mots, le vide sidéral de l’absence de sens ? Un monde dans lequel la richesse, la variété et la précision des concepts, signe d’une profondeur de pensée, n’auraient pas été assez solides pour permettre d’y tailler gaillardement une authentique langue de bois ?
D’aucuns craindront que la belle ne se réveille à la fin de l’Histoire avec une amère gueule de bois. Gageons plutôt que l’Histoire n’a pas dit son dernier mot, et que la belle continuera d’écrire les lendemains qui chantent. Après tout, les mots à l’usage falsifié n’engagent que les faux-monnayeurs qui les prennent pour argent comptant.
Isabelle Lainé
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