Le week-end du 3 mai, dans tous les kiosques français, vont apparaitre, en supplément du journal L’Opinion, des textes provenant du mensuel polonais d’opinion Wszystko Co Najważniejsze. Parmi ces textes, l’un d’entre eux, rédigé par Premier ministre de Pologne Mateusz Morawiecki souligne le rôle de la Pologne dans le remodelage de la carte du continent. « Quand on pense aux problèmes de l’an 2019, nous voyons combien profondément l’Union a changé durant ces 15 dernières années. La crise de l’euro, celle des migrations et le brexit montrent que le projet européen doit être repensé pour devenir attractif aux yeux des Européens. La Pologne est la preuve que l’Europe a du sens » – écrit-il dans sa tribune que nous reproduisons ci-dessous avec l’autorisation de Wszystko Co Najważniejsze
`L’adhésion des pays d’Europe centrale et orientale aux structures de l’Union a été un moment historique pour tout le continent. Le projet européen avait en effet toujours été incomplet sans notre partie de l’Europe. Cet événement venait ainsi modifier les cartes économique et politique de l’Union pour de bon. Dans la perspective d’aujourd’hui, nous comprenons que l’élargissement de 2004 a été l’un des plus grands succès du processus d’intégration européenne après la guerre. Quand on pense aux problèmes de l’an 2019, nous voyons combien profondément l’Union a changé durant ces 15 dernières années. La crise de l’euro, celle des migrations et le brexit montrent que le projet européen doit être repensé pour devenir attractif aux yeux des Européens. La Pologne est la preuve que l’Europe a du sens.
Le succès économique polonais est en grande partie lié aussi au marché commun. Les exportations des biens et services en pourcentage du PIB sont passées de 34% en 2004 à 54% en 2017 selon les données de l’OCDE. L’économie polonaise, après 45 années de communisme et 15 années de transformations, est devenue de plus en plus ouverte et concurrentielle. Dans la perspective de la convergence avec l’Europe, le PIB polonais per capita est passé de 46% en 2004 à 66% en 2017 par rapport à la moyenne de la zone euro. Depuis 2004 la Pologne a attiré des investissements directs étrangers d’une valeur de plus de 200 milliards de dollars, selon les données de la Banque mondiale. Le chômage a baissé de 19% à 4% selon l’Eurostat. La part des biens de haute technologie dans le total des exportations est passée de 3,3% à 8,5%. En même temps, l’indice des inégalités GINI a baissé : de 0,33 en 2005 à 0,28 en 2016. L’élargissement de l’Union a donc véritablement et pour toujours changé les cartes politique et économique du continent. Le projet européen a reçu une injection d’optimisme et d’ambition polonais. L’économie polonaise fait désormais partie intégrante du monde occidental après 45 années de domination soviétique.
Pourtant, l’Europe n’est pas que l’économie. C’est aussi les gens. Plus de 2,5 millions de Polonais vivent actuellement en dehors des frontières de la Pologne et à l’intérieur de l’Union. Ce que ces jeunes Polonais cherchaient, c’était l’Europe. Ce processus migratoire intérieur est aujourd’hui l’un des plus grands défis pour la Pologne. L’économie polonaise a été classée l’année dernière par l’agence FTSE Russel comme une économie développée. La priorité du gouvernement actuel est de construire une économie plus solidaire et plus innovante car nous sommes persuadés que ce nouveau modèle de capitalisme démocratique non seulement accélérera le processus de convergence avec l’Ouest de l’Europe, mais permettra d’inverser le processus migratoire.
L’entrée de la Pologne dans l’UE et l’OTAN avait été un objectif stratégique de notre politique étrangère. Aujourd’hui, nous visons à renforcer la place de l’Union dans l’économie globale et à approfondir la dimension économique de l’intégration en parachevant la construction du marché commun et de nécessaires infrastructures énergétique, numérique et de transport en Europe centrale et orientale. L’Union européenne est une Europe des nations, c’est pourquoi nous devons viser une plus grande démocratisation du projet européen à travers le renforcement de la souveraineté des parlements nationaux. Le processus d’intégration devrait émaner de toutes les différentes visions et tous les différents intérêts régnant dans l’Union. La Pologne croit que la meilleure solution pour l’Europe est une Union 2.0, à savoir la vision de l’Europe des patries adaptée aux défis du monde contemporain.
Au moment où la Pologne accomplissait sa transformation intérieure due au processus d’intégration européenne, l’Union elle aussi changeait énormément. La crise à l’intérieur de la zone euro a montré que les déséquilibres macroéconomiques sont loin d’être résorbés. Les pays du Sud, comme la Grèce, le Portugal ou l’Italie, n’ont toujours pas retrouvé leur compétitivité d’avant. En adoptant l’euro, les pays de la zone ont perdu la possibilité de dévaluation qui constitue le meilleur moyen de réagir à une crise. Nous voyons aujourd’hui que la crise économique de longue durée en Europe a de graves conséquences politiques car elle a favorisé la dynamique que de nombreuses forces politiques nouvelles ont su mettre à leur profit en remodelant les scènes politiques nationales. La Pologne forte de son zloty possède des instruments lui permettant de mener sa propre politique économique. Protecteurs en période de crise, ces instruments accélèrent également la convergence avec l’Europe de l’Ouest. La crise des migrations ainsi que l’ouverture des frontières ont confirmé que les identités nationales doivent nécessairement être prises en compte dans l’élaboration de politiques migratoires communes. Le cycle électoral après 2015 montre clairement qu’il n’y avait pas d’acceptation démocratique de la politique des portes ouvertes au sein des nations européennes. Nous nous réjouissons que le groupe V4 ait contribué à la mise en œuvre d’une politique européenne raisonnable en matière de migrations.
Enfin, la question du brexit. La décision des Britanniques exprimée dans le référendum avait plusieurs sources, mais elle découlait principalement du rejet de la vision centralisée et fédéraliste de l’Europe. Qui plus est, l’Europe, suite à la crise de l’euro, n’est plus une success story, ce qui a sensiblement affaibli l’attractivité du modèle.
En célébrant les 15 ans de la Pologne dans l’UE, et il y a matière à célébrer !, et en soulignant les acquis positifs, nous devrions néanmoins tirer des conclusions pour le futur. Les élections européennes changeront la réalité bruxelloise en rendant le Parlement européen sans doute mieux représentatif des processus politiques en cours sur le continent. Elles dégageront un Parlement plus proche des valeurs telles que la souveraineté et les identités nationales que maintenant. La nouvelle Commission européenne devra prendre à bras-le-corps non seulement la question du nouveau budget européen, mais aussi celles de la lutte contre les paradis fiscaux, de la taxe numérique, de la Russie de plus en plus agressive et de la conjoncture européenne faiblissante.
Le leadership européen est aujourd’hui beaucoup plus pluraliste qu’en 2004, ce qui donne plus d’espace à la Pologne pour s’engager fortement dans la détermination de la direction que prendra le projet européen. Les Polonais sont des enthousiastes européens convaincus et croient qu’une Europe forte est dans notre commun intérêt. Une Europe forte et démocratique ne sera pourtant pas possible sans des états nationaux économiquement forts. C’est la leçon que la Pologne tire de ces 15 années dans l’Union européenne.
Par Mateusz MORAWIECKI. Premier ministre. Diplômé en Histoire à l’Université de Wrocław et en Administration des Affaires à l’Université de Technologie de Wrocław et à l’Université Centrale du Connecticut. Membre de l’équipe chargée de négocier les conditions d’adhésion de la Pologne à l’Union européenne. De 2007 à 2015, il a tenu le poste de PDG de Bank Zachodni WBK.
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