Quand Claire Cambier, journaliste parisienne pour la rédaction de LCI, tente de faire du fact checking au sujet de la Bretagne, ça donne ça : « Un drapeau collaborationniste a-t-il été hissé par des Gilets jaunes sur un rond point breton ? ».
À l’origine de cet article, un tweet posté par Frédéric De Vos, un internaute, sympathisant de gauche comme sa tweetline le laisse entendre, choqué d’avoir vu le drapeau des Bagadoù stourm déployé à un rond-point samedi 27 avril, à Rostrenen, pendant un rassemblement des Gilets jaunes. Un drapeau qui est toutefois inconnu pour peut-être 99 % de la population en Bretagne, ce dernier étant cantonné à un cercle restreint, très restreint, de militants bretons ou de passionnés d’histoire.
Le drapeau du Bagadoù stourm (groupe SS breton pendant la guerre) flotte sur le rond point tenu par les #GiletsJaunes à Rostrenen (22) ! Honteux ! #AFP pic.twitter.com/2STXaxPn4a
— Frédéric DV (@frederic_dv) 27 avril 2019
On se demande bien dès lors pourquoi – si ce n’est pour faire du buzz autour des Gilets jaunes et en assimiler une partie à des nostalgiques de Vichy – une journaliste parisienne s’est intéressé à un drapeau – retiré après que l’internaute se soit arrêté pour expliquer sa genèse – sur un rond-point en plein cœur de la Bretagne.
D’autant que sous l’apparence d’un fact-checking, d’un décryptage, l’article est – pour quiconque connaît l’histoire du mouvement breton – teinté d’approximations. Tout d’abord, une des références principales de l’article est un dossier « sur l’extrême droite en Bretagne » réalisé… par des militants d’extrême gauche, antifas, pas des historiens donc. Voilà qui enlève déjà une large part de crédibilité à ce dernier.
Un seul livre est cité par la journaliste pour évoquer les Bagadoù Stourm : Les Nationalistes bretons sous l’Occupation, rédigé pour le coup par un historien, Kristan Hamon, historien de gauche, dont le livre constitue toutefois une référence, mais pas la seule.
« Les Bagadoù Stourm n’ont pas intégré la SS »
Nous avons demandé son avis à un autre auteur, écrivain sur la Seconde Guerre mondiale, et sur la Résistance en Bretagne, Yves Mervin :
Qui furent réellement les Bagadoù Stourm (groupe de combat en breton) ? Quelle est la signification de ce drapeau ? Décryptage avec un autre auteur ayant lui aussi écrit sur les nationalistes bretons, la résistance, la Seconde Guerre mondiale, Yves Mervin.
Quel est donc ce drapeau ? Il s’agit bel et bien de l’oriflamme des Bagadoù Stourm – qui signifie « troupes de combat » en breton. Créée en 1941 par le nationaliste Yann Goulet, cette milice représentait le service d’ordre du Parti national breton (PNB). Le drapeau s’inspire du Kroaz Du, une croix noire sur fond blanc, symbole de la Bretagne, dont la ligne verticale est légèrement décalée sur la gauche. Au centre, un triskel, symbole celte à trois jambes.
Le terme de service d’ordre est approprié, pas celui de milice.
Les Bagadoù Stourm n’ont pas intégré la SS, même si une partie d’entre eux se sont retrouvés dans la formation Perrot ou encore Bezen Perrot qui a été rattachée au SD (Sicherheitsdienst – service de sécurité) à Rennes. Il est d’autant plus malencontreux de faire cet amalgame que quelques Bagadoù Stourm se sont retrouvés dans le groupe Liberté, le groupe de Résistance armée qui aura duré le plus longtemps en Bretagne, plus que tout autre groupe de résistance, car il a duré de septembre 1943 à mars 1945, date à laquelle il a évacué la poche de Saint-Nazaire.
Au mois d’août 1943, il n’y avait donc que des Bagadoù Stourm qui se sont séparés à ce moment : Frédéric De Vos saura-t-il conceptualiser que certains Bagadoù Stourm se sont retrouvés du côté des Allemands et d’autres dans la Résistance contre les Allemands ?
Quelques chiffes :
Bagadoù Stourm : environ 3 à 400. Groupe liberté : 10 à 15. Perrot : 60 a 70.
Mais il y a encore plus difficile à conceptualiser. Frédéric De Vos a pris sa photographie pas loin de l’endroit où quelques représentants de la section communiste de Rostrenen avait accueilli fin juin 1940 la Wehrmacht en agitant le drapeau rouge. On était en plein pacte germano-soviétique et le responsable de la section du Parti a eu cette réflexion : « Ce sont nos alliés, et ils ne nous ont même pas regardé ! ». On imagine la tête des soldats de la Wehrmacht devant ce comité d’accueil !
Yves Mervin – qui anime le site devoir de mémoire en Bretagne – est l’auteur de Viens rejoindre notre armée, livre qui montre l’imposture historique qui consiste à écrire l’histoire avec d’un côté, de gentils communistes résistants, et de l’autre, de méchants nationalistes bretons collaborant avec les nazis.
Mais sortir du manichéisme était sans doute trop demandé pour Claire Cambier, qui devrait aller faire un tour aux Archives, à Rennes, si elle voulait réellement s’emparer de la question de l’histoire des nationalistes bretons avant, pendant, et après la Seconde Guerre mondiale.
Crédit photo : DR
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