Maintenant qu’ils sont réunis au Paradis, Philippe Noiret, Jean Rochefort et Jean Carmet, prions pour Jean-Pierre Marielle qui vient de partir. Je me souviens d’un dîner à bord du Puerta del Sol, dans la campagne de Vittoria. Il était devant moi – et je restai muet, l’admirant avalant sa soupe et attendant qu’il rote. C’était il y a longtemps, très longtemps, le Caudillo survivait encore. J’avais reconnu un autre des passagers, attablé de l’autre côté de l’allée, un membre du PCE clandestin qui revenait sans doute d’une réunion – car la Guerre (était) finie. Je m’étais bien gardé de manifester ma reconnaissance…
Jean-Pierre Marielle, dans le rôle du marquis de Pontcallec, cher au cœur des Bretons, entra dans mon imaginaire avec le film de Tavernier : Que la fête commence ! C’était plus tard, en 1975. On le vit cavalant sur la côte, chargeant les manants qui ne se soulevaient pas assez vite. Il était poursuivi par les gilets rouges, uniforme des « forces françaises de l’intérieur ». Et, de son exubérant optimisme, lors d’une réunion avec les nobliaux du coin, à son bain « très chaud » en compagnie de la protégée du Régent – sous un drap fermé hermétiquement par les nonnes du couvent qui tenaient tête aux poursuivants – ce fut un régal.[1]
À l’image de son modèle réel, le marquis du cinéma s’imaginait gouvernant la révolte qui grondait, il y a exactement trois siècles, sur les landes et les plous de nos campagnes. La cause ? Le poids des impôts à la suite de l’interminable guerre qui avait duré depuis 1701 et venait juste de s’achever… (ça nous changeait-il vraiment des « bonnets rouges » ?). Louis XIV était mort en 1715…
Le royaume de France (propriétaire de la Bretagne depuis deux cents ans), était gouvernée par l’oncle du jeune Louis XV, le Régent – Philippe d’Orléans. Ce libertin syphilisé se conduisait comme un pochetron avec la bénédiction d’un curé : l’abbé Dubois, ministre des Affaires étrangères (ce qui, sur le plan des mœurs, n’est pas sans rappeler un avatar, à la fin du même siècle : le prétendu évêque d’Agra, triste figure de la « Vendée »).*
Et maintenant, pour ceux qui ne la connaisse pas, la véritable histoire de Pontcallec… Après le décès, en 1716, du gouverneur de Bretagne – François Rousselet, amiral de Châteaurenault -, le Régent avait envoyé un « homme à poigne », le maréchal de Montesquiou, dont la première tâche était de faire cesser la fronde entretenue par les Etats de Bretagne, réunis depuis deux ans, à Saint-Brieuc. Ce Montesquiou s’y prit très mal. Il négligea la « petite » noblesse bretonne (300 de ses membres venus l’accueillir à Rennes) et fit son allié de l’homme le plus détesté du moment, le sire Michau de Montaran, trésorier des Etats.
Après nombre d’avanies subies par le pouvoir central, le temps de la répression forcenée s’abattit sur notre beau duché. Tandis que Montesquiou imaginait de faire rentrer de force les impôts, une Association Patriotique Bretonne voyait le jour. Elle était cosignataire d’un « Acte d’union pour la défense des libertés de la Bretagne« . Le mouvement avait une belle boîte à lettres : le duc de Penthièvre, comte de Toulouse, « protecteur de la Bretagne », qui agissait aussi pour son « frèrot » le duc du Maine – au cœur d’une conspiration pour renverser le Régent…
C’est alors que surgit quasiment du néant, c’est-à-dire de la jaune misère, Clément-Chrysogone de Guer, marquis de Pontcallec, qui vivait chichement de ce que lui rapportait la contrebande. Il entreprit un recrutement parmi ses gens et dans les diocèses avoisinants. L’année 1718 passa ainsi, tandis que le duc du Maine, fils adultérin de Louis XIV et de Mme de Montespan, que le tout-Versailles surnommait « Gambillard »(du pur Saint-Simon)… et sa femme, la duchesse Louise-Bénédicte de Bourbon – une « hystérique » d’après la chronique – étaient arrêtés, le mari enfermé à Doullens, l’épouse scellée à Dijon.
Les choses se compliquèrent avec l’entrée de l’Espagne dans la conjuration. À Madrid, où régnait le petit-fils de Louis XIV, Philippe V, l’idée était que la couronne de France devait revenir à l’authentique descendant du Soleil – en dépit des considérations d’héritage encore en vigueur (et la contestation des Orléans) . Mgr Giulio Alberoni, un sale intrigant, homosexuel comme son patron le duc de Vendôme, passait des petites affaires italiennes au grand jeu de la couronne d’Espagne – il y était devenu Premier ministre à la fin de l’épuisante guerre de Succession qui dura jusqu’en 1714. Il soufflait sur les braises…
Je vous passe les détails de l’intrigue. Toujours est-il que l’année 1719 (il ya exactement deux cents ans – c’est un anniversaire ou je me mange le foie) va être marquée au fer. Pontcallec parcourt les Landes de Questembert en juin où il ne retrouve que deux cents perdus… L’abbé Dubois espionne le marquis. Sous la menace, la petite troupe se disperse. Le 15 août, un meneur des révoltés – Rohan du Pouldu – met une raclée à une compagnie royale. C’en est trop. Montesquiou entre dans Rennes, en septembre, à la tête d’une armée de 15 000 hommes ! Le 3 octobre, le Régent ouvre à Nantes (on est alors en Bretagne, n’en déplaise à Michel Debré) une cour de justice qui va sévir.
Pendant ce temps, le misérable Alberoni envoyait des navires chargés de soldats irlandais recrutés à la va-vite… qu’il oublia de payer. Le premier de ces navires débarqua un contingent sur la presqu’île de Rhuys. Non loin de l’endroit où à la fin du siècle aura lieu la bataille de Quiberon – tristes prémices. Mais que pouvaient deux mille Irlandais contre 15 000 soldats du roy ? Ils se débandèrent immédiatement et « l’Espagne n’insista pas » (Wikipedia).
Pour Pontcallec, ce fut bientôt la fin. Le 28 décembre 1719, il fut arrêté sur dénonciation d’un de ses camarades au presbytère de Lignol, en pays Pourlet. Soixante-dix prisonniers devaient être jugés à Nantes, devant la chambre de justice. Le Régent, un jour de gargotte, résista à l’abbé Dubois qui voulait la peau des conspirateurs. Il y avait vingt-trois accusés, l’abbé en détenait sept: du Couédic, Coargan, Hire de Keranguen, Montlouis, Pontcallec, Salarun, Talhouët (qui avait rédigé l’Acte d’union). Quatre allaient être condamnés à mort, dont le marquis de Pontcallec. Le 26 mars 1720, ils furent décapités place du Bouffay.
On décapita les effigies, pour les autres… Et Hersart de La Villemarqué en fit une notice dans le Barzaz Breiz, rapportant une chanson : Marv Pontkalleg… que je vous encourage à lire.
MORASSE
[1] Il y eut aussi « Tous les matins du monde« , d’Alain Corneau, en 1991… Ses deux très grands films !
Crédit photos : DR
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