Marine Martin a lancé l’alerte sur le scandale de la Dépakine, en 2011. Elle est maman de deux enfants victimes de ce médicament, deux enfants nés en 1999 et en 2002. « À aucun moment, on ne m’a prévenu des risques de la Dépakine chez la femme enceinte », nous explique celle qui suit la même voix, celle des lanceurs d’alerte, qu’Irène Frachon (Médiator), qu’elle côtoie d’ailleurs et qui la soutient.
Nous lui avons demandé de nous parler de son histoire, mais aussi de revenir sur ce rapport de l’ANSM, sur les médicaments antiépileptiques, sorti jeudi 25 avril 2019, et qui pourrait changer la donne. Dans un rapport publié ce jeudi, l’Agence du médicament dresse en effet une échelle des risques pour 21 antiépileptiques. Cette analyse confirme que la Dépakine et ses dérivés sont les plus à risque. Mais ce risque de malformations est « élevé » pour cinq médicaments, dont le phénobarbital, la primidone, la carbamazépine et la phénytoïne. Un risque multiplié par trois par rapport à ce qui est observé dans la population non traitée.
Entretien avec Marine Martin, lanceuse d’alerte au sujet d’un scandale sanitaire de grande ampleur qui a touché, et touche encore, la France ainsi que d’autres pays.
Breizh-info.com : Marine Martin, parlez-nous de votre histoire, de ce qui a fait que vous êtes devenue une lanceuse d’alerte ?
Marine Martin : Quand mon fils est né en 2002, il avait une malformation uro-génitale. Je me suis posé la question, notamment car j’avais lu que des fils d’agriculteurs étaient nés comme ça. Par la suite, il a eu énormément de troubles neuro-comportementaux (autistiques, du langage) qui m’ont fait dire qu’il y avait un souci. Il a été pris en charge à partir de 2 ans.
J’ai cherché le pourquoi du comment. J’ai tapé sur Google « médicaments dangereux pour la grossesse ». Je suis tombé sur un site de recherche qui expliquait que les médicaments les plus dangereux pendant la grossesse étaient le roaccutane, puis la dépakine. A ce moment-là, j’ai compris, sidérée. J’ai vu qu’il y avait une association de victimes en Grande-Bretagne. Que des plaintes en 2007-2008 avaient été déposées dans la région de Tours. Que le problème était connu, avec de la littérature scientifique.
Une fois passé le choc, je me suis réveillée un jour en sursaut après un cauchemar en me disant que personne ne faisait rien, que c’était de la non-assistance à personne en danger. J’ai donc créé ensuite l’association APESAC. Je comprends alors que ce médicament, la Dépakine, qui est là pour calmer l’irritabilité du cerveau de la maman tape aussi sur le cerveau du bébé en développement. Et que donc forcément tous les antiépileptiques ont cet effet, d’où le nom de l’association appelée anti convulsivant, pour englober tous les antiépileptiques.
Dépakine, ça a été le blockbuster en matière d’épilepsie, celui donné le plus en Europe — pas aux USA d’ailleurs (laboratoire français, Sanofi, fleuron de l’industrie française).
Dans un premier temps, on a parlé de la Dépakine, puis j’ai eu des témoignages sur d’autres médicaments. En 2013, lors de la révélation du scandale, je suis allée à l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé), je voulais un troisième enfant, et je leur ai posé la question de savoir s’il existait un antiépileptique qui ne soit pas tératogène. On m’a répondu qu’il n’y en avait pas. J’ai dit qu’il fallait le dire, on m’a répondu que si c’était le cas, on ferait peur aux patients….
Dès 2013, c’est devenu mon combat quotidien. On avait levé le voile sur la Dépakine, mais il ne fallait pas que les femmes se jettent sur d’autres médicaments en pensant que c’était bon et sans risque. L’agence de santé a été obligée de chiffrer le nombre potentiel de victimes (l’étude devait sortir en juin dernier). Ils ont vu que les antiépileptiques autres étaient dangereux également. D’où le rapport qui vient de sortir en ce mois de mai 2019.
Breizh-info.com : Oui, les conclusions étaient en partie connues déjà…
Marine Martin : En juin 2018, nous avions déjà travaillé dessus. Déjà apparaissaient des troubles comportementaux chez pas mal de médicaments antiépileptiques. Je suis contente que cette étude soit sortie. C’est un gros bouleversement dans le paysage de l’épilepsie, car les femmes pensent encore qu’en prenant d’autres médicaments que la Dépakine, tout va bien. Il va falloir afficher le taux de toxicité de ces médicaments.
Breizh-info.com : Mais y’a-t-il de la recherche actuellement sur des médicaments antiépileptiques qui n’auraient pas ces conséquences ?
Marine Martin : Je ne sais pas si ça peut exister, car le principe c’est de calmer la décharge électrique du cerveau de la mère, donc si ça calme son cerveau, cela calme celui du fœtus aussi. Il faut savoir quels sont les médicaments les plus dangereux, et les moins dangereux. Beaucoup de femmes ont été traitées sans en avoir besoin (épilepsie juvénile uniquement qui ont tout de même été traitées à vie). Il y a des épilepsies de type absence (déconnexion quelques secondes, mais sans pronostic vital engagé), qui ne nécessitent pas, pendant 9 mois d’une grossesse, de médicaments. Il y a des alternatives, des possibilités. Il faut un changement de pratique de la part des neurologues.
Pour celles comme moi qui ne peuvent pas se passer de traitement, il faut essayer de prendre le moins toxique — d’où la nécessite de la gradation des toxicités — et envisager, éventuellement, d’autres manières de devenir parent, comme l’adoption.
Chaque couple doit pouvoir choisir en connaissance de cause.
Breizh-info.com : Vous êtes reçu à l’ANSM le 14 mai, expliquez-nous :
Marine Martin : Je vais présenter mes propositions. Il faut que le pourcentage de toxicité soit porté à la connaissance de toutes les patientes. Il faut calculer cette évaluation du risque (30 à 40 % de risques de troubles comportementaux pour la Dépakine, 10 % de risque de malformation). Il faut que pour les autres médicaments nous le sachions.
Je vais redemander une réévaluation des conditions de prescription pour ces médicaments déjà bien connus et pointés du doigt.
Breizh-info.com : Qui dénoncez-vous dans votre combat ? Sanofi ? D’autres maillons de la chaine ?
Marine Martin : Ce n’est pas uniquement SANOFI là, mais il y a de nombreux autres laboratoires qui produisent ces médicaments. Je dénonce l’inertie des neurologues qui savent que ces produits sont neurotoxiques et qui n’alertent pas leurs patientes. Qui leur font croire à une grossesse sans difficulté. Je dénonce des associations comme épilepsie France qui continuent à dire que la majorité des grossesses sous antiépileptique se passent bien, ce qui est faux. Il faut un changement de pratique, une prise de conscience. Le médicament chez la femme enceinte n’est pas sans incidence.
Breizh-info.com : l’État, responsable de la sécurité de ses citoyens, n’a rien fait pendant des années…
Marine Martin : Là il a fait, impulsé par l’affaire sur la Dépakine. Il aurait pu le faire plus tôt. Je pousse régulièrement à aller plus loin. C’est toujours comme ça. Si on ne dénonce pas un scandale sanitaire, rien ne se passe. Pour une fois, ils ont agi, ce sont les seuls à m’aider. Le gouvernement n’appuie pas spécialement. Mais l’ANSM cherche à faire évoluer les choses. On peut regretter que ce soit si tard, mais aujourd’hui, si il y’a des gens qui ne font rien, ce sont les neurologues, et les sociétés savantes, et certaines associations de patients….
Breizh-info.com : Avez-vous subi des pressions depuis que vous êtes entrée en résistance ?
J’ai été condamnée l’an dernier à verser 1500 euros à Sanofi, au civil, car je demandais des dossiers dans le cadre de ma procédure. Cela m’a sidéré, je me suis demandé de quel côté était la Justice. Je n’ai jamais versé cet argent. Qu’ils viennent à la maison prendre mes meubles Ikea (rires…).
Je sais que la Justice n’est pas de mon côté. Le fonds d’indemnisation des victimes non plus. On ne me rend pas la tâche facile, c’est certain. Mais je ne lâcherai rien, ils m’ont déjà beaucoup pris, dont la santé de mes enfants, je suis déterminée.
Propos recueillis par YV
Crédit photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2019, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine