Listrac : Un îlot de blancs au royaume des rouges
C’est un vieux secret, bien gardé des initiés du bordeaux. La petite appellation de Listrac en retrait des crus du Haut-Médoc, a toujours constitué la source d’une production confidentielle de blancs secs originaux. Une vieille tradition cultivée dans le temps par les meilleures représentants de l’appellation, qui pour la plupart se plaisent à baptiser leurs blancs respectifs par de charmants noms d’oiseaux : à l’instar du « cygne » de Fonréaud ou bien le « merle blanc » pour le château Clarke. Le plus exquis d’entre eux est le fruit du travail de Saransot-Dupré, un modèle du genre, ayant largement conforté la curieuse inflexion de Listrac dans la confection de blancs secs de belle tenue en terres de vins rouges.
Autres bordeaux blancs secs
Si le Bordeaux associe communément son nom avec le vin rouge, il reste que l’amateur commet une impardonnable erreur à se complaire dans une distraite ignorance à l’égard des blancs secs. Le Haut-Brion a élevé cette couleur au paroxysme du raffinement (et des prix !), mais d’autres propriétés s’emploient, sur des volumes très ténus, à maintenir la vinification d’un blanc sec de grand standing : le pavillon blanc de château Margaux, le blanc de Lynch Bages en Pauillac, la cuvée caillou blanc de Talbot, toutes ces cuvées se sont imposées comme des références très élitistes pour leur rareté et le niveau d’excellence auquel elles se rattachent.
Et puis il y a ces curiosités plus abordables en tarif, éparpillées et isolées de plus belle, au milieu d’un océan de vins rouges, véritables morceaux choisis au goût d’inédit, anti-conventionnels dans l’âme car résistants à la facilité de vente du rouge, et dont l’existence est due à leur grande originalité de style : Le blanc sec du château la Grave en côte de Blaye, la cuvée des demoiselles de Hostens- Picant, Reynon sur Cadillac et bien d’autres…
L’inexorable déclin du bordeaux blanc sec
Ces grands vins ne sont toutefois que la vitrine d’une production d’arrière-cour beaucoup moins reluisante, entachée par la longue dégénérescence d’un style traditionnellement alourdi par de puissantes flaveurs boisées et péjoré par des maturités imparfaites. Comble de la décadence, la dégradation de la qualité s’observe avant tout dans les appellations censées représenter le blanc sec au meilleur de son expression. Première victime : le Pessac-Léognan, dont la richesse aromatique et la complexité légendaire ont disparues au fil des années dans l’explosion des volumes. L’exemple emblématique du Carbonnieux blanc résume la longue descente aux enfers d’une étoile: fastueux dans les années 90, il n’est aujourd’hui que l’ombre de lui-même, tout juste récupéré par les artifices de la macération pelliculaire (macération pré-fermentaire) et nombre de propriétés de l’appellation partagent son indigence.
Dans ce lourd contexte de déchéance, durant lequel s’installe une mauvaise réputation à l’origine du discrédit de la couleur blanche dans le Bordelais, émergent toutefois quelques initiatives ambitieuses, attachées à faire revivre la grande esthétique du bordeaux blanc sec. La plus spectaculaire d’entre-elles se retrouve sans surprise au sein du Listrac et reprend ainsi le flambeau d’un savoir-faire ancien, ancré dans cette partie très spécifique du terroir médocain.
À la manœuvre, les frères Momméja, héritiers du fondateurs d’Hermès, qui rachètent en 2006, une vieille chartreuse passablement assoupie.
Le réveil d’une vieille chartreuse
Fourcas Hosten est en effet à l’époque un second couteau du Listrac, vendu à moins de 10€ la bouteille. Son style tâtonnant et irrégulier va connaître un redressement fulgurant à la faveur d’une rénovation somptuaire de la propriété. La cuverie est repensée et remise aux normes selon les meilleurs standards (écoulement par gravité), le parc à barriques entièrement renouvelé, les rendements maitrisés, les mauvaises vignes arrachées, de sorte que le Listrac-médoc (rouge) se hisse dorénavant au firmament de l’appellation.
Méticulosité et rigueur
Mais le meilleur reste à venir… quand s’adjoint la plantation de 2 hectares dédiées à la production exclusive d’un bordeaux blanc sec, qui revendique d’emblée un très haut niveau d’excellence. Le premier millésime accouche en 2014, fruit de jeunes vignes de sauvignon, sauvignon gris et sémillon, conduites en bio sur des rendements dérisoires (pour le bordeaux).
L’esprit haute couture des frères Momméja se transpose alors avec magnificence dans un blanc au volume restreint, digne du sur-mesure de la maison Hermès (moins de 4000 bouteilles pour le millésime 2016). En outre, il gagne les meilleurs soins que l’on puisse accorder à un grand blanc : La vendange sourcilleuse se fait en petite cagette et préserve ainsi l’intégrité des baies, le pressurage à la pointe de la technologie favorise la pureté du moût, enfin l’élevage sur lies fines parachève la complexité finale.
Dans le verre…
À la dégustation du 2016, le Fourcas Hosten blanc renoue avec le temps de la grandeur et fait revivre dans le palais une certaine idée du Bordeaux blanc sec, résolument aristocratique. La facette variétale (propre à l’expression primaire du cépage) s’efface au profit d’une intensité aromatique exceptionnelle, traduction de la modestie des rendements. En dépit de sa jeunesse, le vin impose une harmonie naturelle sur un niveau de limpidité et une impression de pureté rarement rencontré. Véritablement prodigieux dans sa complexité de constitution, le Fourcas Hosten blanc s’inscrit dès les premiers millésimes comme un porte-drapeau flamboyant du bordeaux blanc sec.
Pas d’inquiétude sur la capacité de ce vin déjà bien accompli, à pouvoir chercher un degré de profondeur aromatique encore plus poussé sur les 4 à 5 années à venir. À la réserve toutefois de ne pas perdre l’émouvante pureté de fruit, au profit d’un registre un peu plus oxydatif, susceptible de dissoudre les qualités originelles de ce vin.
La transformation de Fourcas Hosten est une réjouissance pour l’avenir des vins de Bordeaux. En effet, l’élévation d’une propriété sans envergure particulière au niveau des premiers crus, démontre les ressources de ce vignoble dans le renouvellement de ses grands vins. Mais plus fondamentalement, cette réussite impressionnante participe aussi d’une estimable volonté à réhabiliter la noblesse perdue du grand blanc en terre bordelaise.
Preuve s’il en est que l’argent d’investisseurs avisés, peut se mettre au service d’une conception intelligente du vin, exempte de toute mégalomanie tarifaire, et rendre ainsi accessible (moins de 30€) le meilleur de la production bordelaise.
Raphno
Où trouver ce vin ?
La cave du Leclerc de Saint-Brévin (Loire-Atlantique) dispose de 24 bouteilles du millésime 2016 au prix de 28.8€.
Tel :02.40.39.17.40
Crédit photos :DR
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