Depuis plusieurs années, Étienne Chouard défend plusieurs idées : démocratie directe, RIC, écriture de la Constitution. Et surtout la désignation des élus par tirage au sort. Autant dire qu’il n’a pas que des amis.
Loïg Chesnais-Girard (PS), président du conseil régional de Bretagne, est inquiet. « La crise des Gilets jaunes a marqué une défiance profonde vis-à-vis de notre organisation démocratique, allant jusqu’à proposer le référendum d’initiative citoyenne, c’est-à-dire une système politique sans représentants. Mais un monde sans élus est-il vraiment la solution ? ». Professionnel de la politique, Chesnais-Girard défend tout naturellement l’existence des élus et s’oppose, de ce fait, au retour du conseiller territorial (un même élu pour représenter le département et la région).
Élection ou tirage au sort ?
Le mouvement des Gilets jaunes a été l’occasion de se familiariser avec les thèses de Étienne Chouard. Hostile aux élections qui donnent « le pouvoir aux riches, toujours et partout », il propose de revenir au système du tirage au sort qui était en vigueur à Athènes. Ceux qu’on appelait les magistrats et qui exerçaient les fonctions étatiques se voyaient désignés d’une manière simple, rapide et économique. Pas besoin de campagne électorale. Pas besoin de partis. Pas besoin de leaders. Pas besoin de « sponsors ». Pas besoin d’appareil. Pas besoin de Sciences-Po. Pas besoin d’ENA.
Avec ce système, Étienne Chouard expédie chez Pôle emploi les élus – grands et petits – qui vivent de la politique et qui n’ont pas envie de réintégrer la société civile. On peut leur faire confiance pour défendre leur emploi ! Le combat de Chouard est loin d’être gagné mais ses argument présentent le mérite de l’originalité.
« L’élection est l’instrument par excellence du capitalisme alors qu’avec le tirage au sort, vous coupez la courroie de transmission que l’élection met entre le pouvoir économique et le pouvoir politique. Si vous examinez les deux cents ans de gouvernement représentatif inaugurés par la Révolution française, il est facile de voir que ce sont les riches qui dirigent et les pauvres qui triment, alors que deux cents ans de tirage au sort à Athènes ont permis aux citoyens pauvres de gagner les combats législatifs du fait qu’ils étaient les plus nombreux. Le tirage au sort donne en effet le pouvoir au plus grand nombre, c’est-à-dire au 99%. Par ailleurs, l’élection nous déresponsabilise, nous infantilise, nous affaiblit, nous dépossède politiquement, elle nous désapprend à faire de la politique, elle nous dissuade de nous occuper du bien commun. Le citoyen est actif et responsable quand l’électeur est passif et irresponsable. On sait depuis Platon que la pire des choses qui puisse arriver à une cité, c’est de se placerr sous le pouvoir d’hommes désireux de le prendre ; or c’est ce que fait précisément ce que fait l’élection : donner le pouvoir à ceux qui le veulent et qui de ce fait sont les pires. Le tirage au sort, lui, en désignant n’importe lequel d’entre nous, ne va pas systématiquement sélectionner les pires, il limite au contraire ce risque. L’élection est aussi antidémocratique parce qu’elle hisse au-dessus de nous des êtres jugés meilleurs. Que l’élu soit bon ou mauvais, sa victoire électorale lui monte à la tête et il se sent alors légitimé à tout décider à la place des autres. Par construction, l’élection produit des maîtres alors que le tirage au sort produit des égaux, des semblables. Et les maîtres que l’élection produit sont bientôt hors contrôle, car si vous partez du principe que l’élection permet de porter au pouvoir les meilleurs, il va de soi que par définition les meilleurs n’ont pas besoin d’être contrôlés…puisqu’ils sont les meilleurs ! Il suffit d’écouter les élus protester lorsqu’on leur propose d’établir des procédures de contrôle durant leur mandat : « À quoi bon ? disent-ils. Si nous sommes élus, cela signifie bien que nous sommes dignes de confiance, non ? » Le tirage au sort, lui, prend très au sérieux cette notion de contrôle citoyen. À Athènes, on considérait par exemple qu’un citoyen qui s’occupait mal de ses parents n’était pas apte à être tiré au sort ; c’est un contrôle avant le mandat. »
Rendre des comptes
Le programme d’Étienne Chouard a d’autres raisons d’effrayer les élus qui sont habitués à ne pas rendre des comptes. « Il y a aussi le droit de révocation : c’est le contrôle pendant le mandat. Puis, une fois la période de mandat terminée vient la reddition des comptes devant une chambre populaire : c’est le contrôle après le mandat. S’ils savent qu’ils sont potentiellement révocables, et qu’ils vont être contrôlés à la fin, les tirés au sort ont toutes les raisons de bien se conduire. Une institution telle que celle-ci incite en effet les citoyens à la vertu, contrairement à l’élection qui compte sur la vertu des citoyens, ce qui n’est pas du tout la même chose. Autre élément à prendre en compte : l’élection porte toujours les mêmes au pouvoir, car les conditions qui ont conduit quelqu’un à être élu ont de fortes chances de se reproduire à l’élection suivante. Il y a aussi la question du nombre : étant donné qu’il y a peu de candidats à chaque élection, le potentiel de renouvellement est très faible, ce qui n’est pas le cas lorsque tous les citoyens sont susceptibles d’être désignés. Le tirage au sort produit de la rotation des charges, ce qui est précisément ce que l’élection empêche. L’élection présente également un autre gros problème, c’est qu’elle entraîne l’apparition des partis. Ces derniers ne servent qu’à une seule chose : gagner les élections. » (Éléments, avril – mai 2019).
Si on suit Étienne Chouard, nous n’aurions pas eu la chance de connaître Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande Emmanuel Macron ! Notre existence aurait manqué de piquant (scandales, corruption, lutte des places…).
Bernard Morvan
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