Il y a bientôt un an est sorti un superbe livre photo sur Belfast, réalisé par Gilles Favier et Olivier Margot, aux éditions Clémentine de la Ferronière. Un livre qui retrace plusieurs décennies d’histoires de Belfast.
Un livre qui parle d’Irlande, d’Irlande du Nord, de Belfast, ville meurtrie par des années de guerre civile, mais ville si particulière dont tombe forcément amoureux quiconque s’y intéresse un tant soit peu.
Présentation de l’éditeur :
1981 : Je suis abonné à Reporter-Objectif un magazine photo mensuel. On y explique comment devenir correspondant de guerre au milieu d’un tas de conseils pratiques forts utiles tels que : choisir le bon sac, le bon appareil, les bonnes chaussures… Le conflit le plus abordable selon eux, le moins cher pour les apprentis photographes comme moi, est l’Irlande du Nord. Il faut prendre le bus à la Madeleine le soir vers 22h puis un bateau à Calais en pleine nuit, un train pour Londres où l’on change de gare pour un autre train direction Stranraër au nord de Liverpool, et enfin le ferry pour Larne avant un dernier bus pour Belfast. » Ainsi début l’histoire ténue entre un photographe et un peuple, qui au fil des années va expérimenter la sclérose du conflit nord-Irlandais qui a débuté à la fin des années 1960. Quarante ans de photographies tissent ici la trame de fond de l’histoire que nous conte le photographe, démarrant à la mort de Bobby Sands, et s’achevant à la veille du Brexit.
Pour évoquer cet ouvrage (à commander ici), une belle pièce comme on dit, nous avons interrogé Gilles Favier :
Breizh-info.com : Tout d’abord, pourriez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Gilles Favier : Je suis un photographe de la génération du journal Liberation des années 80 pour lequel j’ai longtemps collaboré. Je me suis toujours attaché à produire un travail documentaire aux long terme avec une dimension sociale. De Belfast aux Routes de l’esclavage , seuls les histoires des hommes me préoccupent au plan photographique.
Breizh-info.com : Il semblerait que comme chaque personne curieuse qui soit allée à Belfast, à la rencontre de la population, vous soyiez tombés sous le charme de cette ville, de ses peuples, de son histoire. Je me trompe ?
Gilles Favier : Tombé sous le charme de Belfast ? Oui et non j’y suis allé pour témoigner et à force de voyages on crée des liens. Je travaille a Valparaiso en ce moment et c’est la même chose. Bien sur l’hospitalité irlandaise est quelque chose de touchant et puis la guerre a malheureusement un fond de romantisme qui crée des situations particulières dans lesquelles les hommes tissent des liens indéfectibles. Le parrain de mon fils par exemple est un républicain de Belfast…..
Breizh-info.com : A travers ce livre, qu’avez vous voulu montrer ? L’avez vous fait découvrir aux personnages qui illustrent votre livre et quelles ont été les réactions ?
Gilles Favier : Ce livre est un pan de l ‘histoire de Belfast c’est aussi un morceau de ma vie d’homme. Je veux montrer qu’on a du mal a garder du recul quand on est journaliste, même si il le faudrait parfois. Les gens que j’ai photographié ont tous eu leurs images à l’époque . C’était une manière aussi de me faire accepter. Les amis de longue date sont venus à l’exposition à Paris. Ils veulent faire venir l’exposition là bas. Ils sont fiers de moi, je crois car c’est un tout jeune homme qu’ils ont vu arriver en 1981 et ils saluent à la fois ce que je suis devenu en tant que photographe mais aussi en tant qu’homme toujours attaché à la cause….
Breizh-info.com : 40 ans à Belfast. Qu’est-ce qui a le plus changé selon vous ? Dans la ville ? Au sein des communautés ?
Gilles Favier : Le centre ville a beaucoup changé, à l’époque on passait à la fouille complète pour y accéder et le soir il était fermé. Belfast si on n’y prête pas attention peut ressembler à n’importe quelle vile du nord de l’Angleterre…J’ai lu dans un magazine d’Air France il y a peu que c’était une ville trendy !!!!
Breizh-info.com : Le Brexit semble réveiller de vieilles cicatrices, de vieilles peurs aussi. L’avez vous ressenti dernièrement ?
Gilles Favier : Oui le Brexit recristallise les tensions des deux côtés et surtout les protestants ultras qui le soutiennent fermement n’ont pas l’aval de la majorité qui a voté contre…mais les cicatrices sont récentes du conflit et tout cela réinstalle une précarité sociale et politique. Le brexit est un désastre pour l’Irlande du nord.
Breizh-info.com : Finalement, quand on déambule dans Belfast, que l’on discute, dans les enclaves comme dans les zones neutres, on se rend compte qu’à la différence d’autres endroits de la planète, où les communautés qui se déchirent sont parfois très différentes, ici ce sont finalement les mêmes personnes, qui composent des communautés différentes. Mêmes trains de vie. Mêmes habitudes. Mêmes cultures pub (cultures musicales différentes quoique…) . Mêmes passions, sportives notamment (pas avec les mêmes maillots). Mêmes attachement à célébrer une histoire, un passé, des racines. Il en faudrait donc assez peu pour réunir tout ce beau monde vous ne pensez-pas ?
Gilles Favier : Bien sûr. Qui peut me dire exactement la différence entre un catholique et un protestant ? Ces gens là se ressemblent surtout dans leur misère et ce sont les nantis qui ont souvent tiré bénéfices du conflit. Entre eux les riches n’ont guère eu de problèmes et la communauté protestante ouvrière de Belfast est démunie plus encore que la communauté catholique car ses leaders ont souvent versé dans l’affairisme après le conflit. Le temps fera son œuvre et un jour l’Irlande sera réunifiée en espérant que les uns et les autres y trouvent leur place paisiblement.
Breizh-info.com : Pour finir, si vous deviez conseiller à nos lecteurs trois lieux de Belfast, et trois pubs, lesquels seraient-ils ?
Gilles Favier : Les pubs ? Je ne suis pas un fan des pubs du centre ville…Mes pubs, le Tom Kelly’s de Short Strand , le Rotterdam sur les Docks ont disparu …Je vais parfois dans les quartiers républicains un peu rudes comme Ardoyne où il y a un bar sans charme mais qui réunit la communauté chaque fin de semaine. Le mieux à Belfast c’est quand même la fête en famille quand tous les amis de la rue s’invitent en toute simplicité. L’alcool fait le reste….
Propos recueillis par YV.
Crédit photo : breizh-info.com
[cc] Breizh-info.com, 2019, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine