Aventurier au long cours, Patrice Franceschi n’en est pas à son premier fait d’armes en matière d’écriture. D’une bibliographie aussi foisonnante que ses expéditions sur terre, sur mer ou dans les airs sont nombreuses et engagées, l’auteur s’est laissé sculpter par ces expériences pour dégager quelques préceptes essentiels à tout homme qui se veut libre.
Rassemblés en une Éthique du samouraï moderne, parue chez Grasset en février 2019, ces 327 propos constituent un « petit manuel de combat pour temps de désarroi » comme le souligne le sous-titre du livre. Prêtés à un philosophe maître de dojo, Toshiro Isogushi, les mots claquent sec et avec une simplicité quasiment déconcertante en ces temps de langue de bois. Comme le rappelle l’écrivain, l’image de l’enchiridion s’impose d’elle-même : ce terme qui, en grec ancien, signifiait « à la fois manuel et poignard – ce qu’il est donc nécessaire de garder à portée de main pour défendre aussi bien son âme que son corps. »
Un langage de samouraï
Lucide sans être amer, Patrice Franceschi se propose d’armer tout un chacun de quelques réflexes de pensée, destinés à lui permettre de s’élever au-dessus du marasme relativiste et vide de sens, qui caractérise hélas notre peu glorieuse époque. En cultivant la réflexion autant que la liberté intérieure, la générosité autant que le courage, la quête de vérité autant que la maîtrise de soi, le samouraï moderne entend se dresser tel un « humaniste combattant ». Bien plus qu’un simple représentant de l’ordre, cette hérésie, ennemie principale de tous les « faiseurs de chaos » contemporains qui ne cherchent qu’à noyer les hommes, ravalés au rang d’individus, dans la distraction et la vanité, le samouraï moderne est l’ordre. Apte, à ce titre, de traverser les temps et de « [bâtir] des ponts entre ce qui valait dans le monde d’hier et ce qui vaudra toujours dans le monde de demain » (Propos 143).
Un langage de samouraï donc, direct et dépouillé, car le nu met en valeur l’essence des choses quand les fioritures l’encombre et la dissimule. Un manuel qui ne dépare pas de celui d’Épictète ou des pensées de Marc-Aurèle – car les philosophes stoïciens ne manquent pas d’à-propos aujourd’hui. Le Zarathoustra de Nietzsche se dessine aussi en filigrane dans cette volonté d’enseigner le dépassement de soi, le sortir de soi pour se dévouer à ce qui est posé comme sacré.
Propos 4
Mais vous me demandez, élèves du dojo d’Ishen : « Quel but choisir quand le destin de toute chose est de disparaître, lorsque tout naît pour mourir, quand tout coule entre nos mains ? »
Je vous réponds : « Ne vous préoccupez pas du flux perpétuel des choses. Laissez cela aux gens dépourvus d’âme et ayez deux buts essentiels :
Celui de votre condition de samouraïs modernes : combattre le chaos.
Celui de votre condition de mortels : devenir vous-mêmes. »
En somme, de quoi secouer la torpeur intellectuelle et rappeler à qui veut bien l’entendre que la liberté ne se trouve pas dans un rayon de supermarché mais au cœur de soi-même, qu’elle ne s’achète pas mais qu’elle se construit. Un manuel à avoir à portée de main donc, pour mieux s’armer contre le chaos !
Éthique du samouraï moderne, Petit manuel de combat pour temps de désarroi, Patrice Franceschi, Grasset, 17 €.
Isabelle Lainé
Crédit photo : Pixabay
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