Les Tudors. Une dynastie mythique d’Angleterre, de Grande-Bretagne, que beaucoup ont découverte en France via la série télévisée du même nom. Mais cette série, bien que de qualité, ne reflète pas l’histoire totalement réelle de cette dynastie chérie des Anglais. Pour plonger dans ce règne, il faut lire l’ouvrage d’un des plus grands spécialistes francophones, si ce n’est le plus grand, de l’histoire de l’Angleterre, du Royaume-Uni, de la Grande-Bretagne, Bernard Cottret.
Un ouvrage qui vient de paraître, aux éditions Perrin, et qui se révèle passionnant pour qui s’intéresse à nos voisins anglais, à leur histoire. Une histoire qui, pour les Bretons notamment, est tout aussi importante que l’histoire de France, puisque notre passé a souvent été partagé entre France et Grande-Bretagne. Et pourtant, les Tudors, c’est une dynastie au règne court, comme l’indique l’éditeur :
1485-1603. En l’espace de quatre générations, l’Angleterre passe du Moyen-Âge flamboyant aux fastes de l’époque baroque, de la guerre des Deux-Roses à la construction d’un État. Dans cette saga familiale, on n’est jamais très loin du conte. Il était une fois Henri VII, le père fondateur, son fils Henri VIII, le Barbe bleue aux prises avec François Ier et Charles Quint, le petit Édouard VI, la sulfureuse reine Marie, l’acariâtre Élisabeth, toujours vierge. Tous, dans leurs différences mêmes, ont illustré leur siècle, cet âge d’or de la culture anglaise qui nous éblouit encore. Les Tudors ont affiché à la face du monde leur réussite et leur richesse, à peine entachées par quelques têtes coupées, des reines exécutées, des catholiques étripés, une sauvage répression — toutes choses que l’on pardonne volontiers aux souverains que l’on aime. Dominé par l’antique déesse Fortuna, en proie aux bouleversements, le siècle des Tudors fut par excellence le temps du changement. C’est aussi à cette époque que l’Angleterre s’engagea résolument dans une aventure de conquête qui s’étendit à tout l’espace atlantique. Aujourd’hui comme jadis, les Tudors hantent notre imaginaire.
Les Tudors — Bernard Cottret — Perrin — 25 €
Pour évoquer cet ouvrage, que chaque féru d’histoire doit posséder dans sa bibliothèque, nous avons interrogé Bernard Cottret au cours d’une interview passionnante. À la conquête de l’histoire anglaise !
Breizh-info.com : Pourriez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Bernard Cottret : Je suis universitaire, professeur émérite à l’université de Versailles-St Quentin. Ma spécialité est l’histoire de la Grande-Bretagne.
Breizh-info.com : C’est le Pays de Galles, terre sœur de la Bretagne, qui a donné naissance à la famille des Tudors. On retrouve d’ailleurs tout au long du règne un attachement, des références à cette terre, ainsi qu’à la légende arthurienne. Expliquez-nous…
Bernard Cottret : Il y’a un espace intéressant dans l’histoire anglaise, c’est le substrat celtique, important dans l’ensemble des îles britanniques. Ce substrat a été recouvert par des invasions successives, la plus importante étant l’invasion saxonne, qui a produit en grande partie la langue anglaise, proche des autres langues germaniques (frison, néerlandais, allemand…). Ce substrat celtique remonte périodiquement ; il est intéressant de le noter.
En Angleterre même, il a été rejeté vers l’ouest, au Pays de Galles, en Cornouaille, mais aussi vers le nord, en Écosse, où l’on parle le Scots, mais aussi une variété de Gaëlique, distincte de l’Irlandais. L’endroit où les Bretons sont allés, c’est à l’ouest de la plus grande île, au Pays de Galles. Pays des Celtes. Au moyen âge, il n’est qu’imparfaitement conquis. Durant tout le moyen-âge, on voit les rois d’Angleterre, d’origine française repousser de plus en plus vers l’ouestl’élément celtique.
Au 15e siècle, avec les Tudors, cet élément celtique réapparaît mais sous une forme profondément anglicisée. Les Tudors n’ont pas développé une culture celtique autonome à la cour d’Angleterre. Mais ils ont utilisé des éléments de la culture celtique pour arriver au pouvoir, dont une ancienne prophétie celtique messianique, reprise par Henri VII.
On insistera également sur la question de la langue elle-même. Le jeune Henri de Richmond, futur Henri VII, va, avec son oncle Jasper, se réfugier en Bretagne parce qu’il est mal vu en Angleterre. On le craint, on le redoute… Il traverse la Manche. Il est accueilli par le duc de Bretagne, François II. Les deux personnages entretiennent des relations tendues. Le futur Henri VII craint d’être manipulé. Des liens se créent tout de même. Une question se pose : est-ce qu’Henri, élevé en partie au Pays de Galles, parlait une langue qui lui permettait de comprendre le breton ? Est-ce qu’un Gallois du 15e siècle, comprenait encore le breton ? Est-ce que quelque chose a pu rester de la langue ? Je ne sais pas, il faudrait interroger un spécialiste du breton et des différentes langues celtiques (gallois, gaélique irlandais et écossais…)
Breizh-info.com : Il y a eu des facultés de communication entre Gallois et Bretons. Mais c’est plutôt au 19e que cela a ressurgi.
Bernard Cottret : Oui, c’est cela. D’autres éléments se surajoutent. C’est « l’invention de la tradition », the invention of tradition, comme proposent de l’appeler les chercheurs britanniques. Tout un passé celtique a été revivifié, d’abord en Écosse, puis en Grande-Bretagne, et enfin en Bretagne, fin 18e début 19e. On se passionne pour ce passé, quitte à le réinventer parfois. Jusqu’où ? Le débat est ouvert depuis Macpherson et l’ossianisme à l’âge de l’Enlightenment.
Breizh-info.com : En quoi les Tudors constituent une des familles royale majeure de l’histoire de l’Angleterre, de la Grande-Bretagne ?
Bernard Cottret : Les Tudors ont une postérité extraordinaire. Ce sont ceux de leurs rois que les Anglais vénèrent encore, tandis qu’ils n’aiment pas nécessairement les autres. Les souverains Stuarts, par exemple, n’ont pas laissé une bonne image dans l’historiographie. Les Hanovre, ces Allemands arrivés sur le trône au 18e siècle, souffrent aussi d’un discrédit majeur. L’image se retourne à partir de la reine Victoria.
Mais, la dynastie préférée des Britanniques est bien celle des Tudors. Cette bonne image ne se limite pas à la Grande-Bretagne, mais on la retrouve dans tout le monde anglophone ; tout comme en France… De plus en plus, les Français aiment les Tudors. Cette réussite est en partie liée à une certaine série TV (rires), mais également au cinéma en général (nombreux films sur Henri VIII, sur Élisabeth…)
Breizh-info.com : Pourquoi Élisabeth 1er, dite la reine vierge a-t-elle, presque délibérément, choisi de suicider le règne de sa famille alors qu’elle a par ailleurs tant fait pour l’Angleterre durant son règne ?
Bernard Cottret : La question que me pose immanquablement le public lors de mes conférences est de savoir si elle était vraiment vierge. Les historiens ne sont pas à même de répondre à ce genre de question. J’ai envie de dire toutefois oui, qu’elle était sans doute vierge, pour des raisons politiques. Contrairement à une image reçue, il y a des exemples de règnes féminins réussis en Angleterre. La Reine Anne, la reine Victoria, la reine Élisabeth II. Mais on a l’impression que les règnes féminins n’ont jamais posé de soucis aux Anglais, ce qui est faux.
Lorsque Marie Tudor arrive au pouvoir puis sa sœur Élisabeth ensuite, il est difficile d’imposer cela aux Anglais d’être dirigés par une femmes). Le problème d’Élisabeth, c’est de ne pas dépendre d’un homme. Elle était convaincue que si elle avait eu un époux, elle aurait été dominée. Ou bien elle prenait un grand noble du pays au risque d’amoindrir la monarchie, ou bien elle prenait un prince étranger et c’était pire. Est-ce qu’un homme du 16e siècle aurait accepté d’être comme l’actuel prince Philippe, duc d’Edimbourg qui disait avec humour qu’on le traitait au mieux comme une amibe?
C’est difficile à imaginer quand on considère les mœurs du 16e siècle. Donc, la virginité s’impose pour cela. Il y a un très beau texte de Victor Hugo, que vous trouverez dans mon livre : « Élisabeth est vierge comme l’Angleterre est île ». La situation religieuse est également particulière, car pour le pape, pour les pays catholiques en général, Élisabeth est la fille illégitime de son père, le roi Henri VIII, donc elle est bâtarde. Une bâtarde peut-elle régner ? Encore un autre problème politique…
La reine Élisabeth est renvoyée, d’une certaine façon, à sa virginité, à sa solitude.
Un autre élément important, c’est la culture mariale dans le catholicisme. Pour Élisabeth, être vierge, c’est aussi reprendre des éléments rejetés par le protestantisme, et leur conférer un sens politique et symbolique. Elle reprend des figures antiques de déesse, mais aussi la figure de Marie. Elle est vierge et mère, comme Marie est Vierge, mais aussi mère de son peuple.
Breizh-info.com : Mais du coup, il y a la question de la fin des Tudors suite à Élisabeth…
Bernard Cottret : Je vais vous citer quelque chose d’extraordinaire : dans le droit anglais, on n’avait pas le droit d’imaginer la mort du roi ou de la reine. Car imaginer, c’est désirer comme aurait dit le bon docteur Siegmund. Cela donne une situation incroyable : les conseillers d’Élisabeth viennent la voir, ainsi que les parlementaires. Ils s’inquiètent de sa postérité. « Que va-t-il se passer, Majesté ? ». Mais ils ne peuvent pas dire « quand vous allez mourir », car s’ils le disent, ils sont hors la loi. Ils manient la litote, et elle leur répond qu’elle sera fille jusqu’à son dernier souffle.
Breizh-info.com : Comment enseigne-t-on les Tudors aux jeunes britanniques aujourd’hui ?
On ne parle pas assez d’Henri VII à mon avis. Un roi remarquable, mais pas très drôle. Il a une réputation de grippe sou, ce qu’apprennent les écoliers anglais. Henri VIII, par contre, est d’emblée sympathique. Si roi a parfois été un peu rude avec ses épouses et a fait exécuter pas mal de ses serviteurs, on le lui pardonne aisément. Le petit Édouard a une image effacée, car il meurt adolescent. Marie Tudor a longtemps eu une réputation épouvantable, car elle a fait exécuter des protestants. Image forte liée au 16e siècle, mais maintenant les historiens sont plus modérés dans leurs jugements, car ils avaient tous des méthodes expéditives à l’époque. Quant à Élisabeth, c’est l’incarnation de la nation, l’amour absolu. La bataille d’Angleterre, durant la Seconde Guerre mondiale, a encore embelli son image, car on se retrouvait un peu dans la situation de la bataille face aux Espagnols au moment de l’Invincible Armada de 1588.
Breizh-info.com : Quelles furent les relations avec la France ?
Bernard Cottret : Henri VII était intelligent et a su s’entendre avec la France. Il était inquiet quand il a vu la France annexer la Bretagne. Mais il ne voulait pas la guerre, les Anglais ayant été traumatisés par la fin de la guerre de 100 ans. Il a une prudence qu’Henri VIII n’a plus. Quand il arrive au pouvoir, ce dernier déteste la France, il va mener une expédition lourde, dans le nord de la France actuelle et la Wallonie. Les Anglais vont aller jusqu’à Tournai. Puis s’y implanter, provisoirement, et construire la tour Henri VIII..
L’époque des grandes épopées continentales est terminée après Henri et surtout la perte de Calais en 1558. Élisabeth va encore essayer de mener une opération pour soutenir les huguenots, sans succès. Ce qui se passe au 16e siècle, c’est que l’on voit l’Angleterre se détourner du continent petit à petit, elle n’essaie plus d’avoir l’empire angevin, à cheval entre la Grande-Bretagne et la France du Nord-Ouest. Elle va plutôt regarder vers le Grand Ouest, d’abord l’Irlande, puis l’Amérique. C’est donc aux Espagnols que les Anglais vont s’attaquer. C’est le moment où l’Angleterre devient une puissance atlantique.
Breizh-info.com : Avez-vous vu la série consacrée aux Tudors, enfin plutôt à Henri VIII ? Est-ce une bonne approche cinématographique ou conseilleriez-vous d’autres films ou séries pour se familiariser, hors votre livre, avec l’époque ?
Bernard Cottret : Les historiens sont toujours très critiques des séries, c’est bien connu. Cette série a eu pour moi un avantage, c’est de susciter l’intérêt pour cette période. Les Français se sont réconciliés en partie avec cet ennemi héréditaire. Il y’a toujours des critiques à faire, sur le côté historique (l’accent espagnol de Charles Quint notamment). Il y’a une deuxième série plus réussie sur le fond à mon avis, c’est la série Wolf Hall, Dans l’ombre des Tudors, sur Thomas Cromwell.
Il y’a également actuellement le Marie Stuart. Ainsi que les 2 films déjà sortis sur Élisabeth par Shekhar Kapur.
Breizh-info.com : Qu’est-ce qui vous a passionné à écrire votre ouvrage sur les Tudors, vous le spécialiste de l’Angleterre ? On sent cette flamme chez vous eu égard de cette dynastie ?
Bernard Cottret : J’aime les grands mythes nationaux. Je suis patriote. Je dis bien patriote, pas nationaliste. Les gens confondent parfois. J’aime mon pays, et j’aime les autres pays, et j’estime les gens qui aiment leur pays, éprouvant une fierté légitime pour le pays qui les a vus naître.
Propos recueillis par YV
Crédit photo : DR
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