Christine Le Bozec a longuement enseigné à l’université de Rouen où elle fût un temps doyen de la faculté des Lettres et Sciences humaines. Spécialiste de la Révolution française, tous ses travaux et ouvrages y sont consacrés. Nous l’avions interrogée en 2016 après la sortie de son livre consacré à Barras.
Voici qu’elle vient de sortir un autre ouvrage, intitulé Les femmes et la Révolution, 1770-1830 aux éditions Passés composés (une nouvelle maison d’édition dont vous entendrez parler prochainement à coup sûr), et nous l’avons donc de nouveau interrogée sur ce livre, présenté ainsi par son éditeur :
Il est courant d’affirmer qu’au XVIIIe siècle, les femmes étaient libres, pour ne pas dire libérées. Puis d’ajouter dans la foulée que la Révolution française les a privées de leurs droits. Pour illustrer ce propos, les protagonistes de cette représentation utilisent à l’envi l’argument des femmes tenant Salon. Au-delà de la question de la représentativité de ces salonnières, il y a là le souhait de discréditer les années révolutionnaires. Toutefois, il ne suffit pas de se cantonner dans l’impressionnisme d’une telle hypothèse. Christine Le Bozec procède donc à un état des lieux de la condition féminine à l’époque des Lumières, avant d’envisager leur implication et leur rôle au cours de la Révolution française, puis de conclure sur l’Empire et la Restauration. Ses conclusions sont novatrices : le seul moment où le groupe femme (et non de rares individus) a réellement pris la parole, s’est fait écouter en investissant l’espace public, furent les années 1789-1795 ; années de conquête de droits chèrement et âprement acquis, puis difficilement conservés, avant que Bonaparte ne commence à les rogner et que la Restauration ne les supprime.
Breizh-info.com : Pourquoi avoir voulu écrire ce livre sur les femmes et la Révolution ? Pourquoi cette période 1770-1830 ?
Christine Le Bozec : J’ai écrit ce livre en réponse à une mode/vogue qui m’agace profondément car elle ne correspond à aucune réalité concernant la situation des femmes à la fin de l’Ancien Régime et pendant la Révolution. En effet, à force d’entendre, de-ci, de-là, répéter, rabâcher que les femmes étaient libres dans les années 1770-1780 et que la Révolution les avait privées de cette liberté, j’ai décidé de mettre leur condition juridique à plat, de rechercher ces « fameuses » libertés en dressant un simple constat froid et clinique. À l’origine, il n’y a de ma part aucune volonté de militantisme féministe, il s’agit d’un simple travail d’historienne. Je ne prends jamais parti, c’est un travail historique et non un tract.
Cette volonté que je viens d’exprimer répond à votre question : pourquoi cette période ? Parce que la Révolution est symbole d’avancées spectaculaires au cours des premières années suivi d’un terrifiant recul (Bonaparte, Napoléon puis la Restauration) qui réduit la femme à redevenir cette éternelle mineure qu’elle était avant la Révolution. Puis, il faudra attendre 1830 pour assister à quelques frémissements individuels.
Breizh-info.com : En quoi est-ce important d’évoquer la condition féminine à cette époque ? N’est-ce pas une forme d’anachronisme – et beaucoup dans l’air du temps actuel – que d’évoquer une forme de lutte féministe au XVIIIe siècle ?
Christine Le Bozec : Pourquoi est-ce important d’évoquer la condition féminine à cette époque ? Tout simplement – je viens de vous le dire – c’est le seul moment de l’Histoire où certaines femmes prennent la parole en public, participent aux débats, lisent des journaux, se regroupent en clubs féminins, interviennent dans les instances populaires et revendiquent des droits non seulement civils / juridiques mais aussi politiques. Elles ne se cantonnent plus dans les traditionnelles revendications frumentaires pour lesquelles elles avaient l’habitude à travers les âges de se soulever, de conduire des émeutes, d’exercer des violences.
Je n’y vois rien d’anachronique puisque je vais à contrecourant d’écrits qui actuellement pullulent et qui, justement, se veulent, eux, féministes, pas plus que je ne cherche à coller à l’air du temps puisque je désire démonter un cliché à la mode. Plus qu’une simple lutte féministe, leur combat fut un combat, certes très minoritaire, il faut insister là-dessus, mais d’autant plus courageux et déterminé qu’il demeure le lot d’une minorité de femmes, certes très active mais qui ne constituait qu’une poignée.
Il ne faut ni négliger, ni faire l’impasse sur la conquête des droits civils, la reconnaissance de l’égalité juridique, sur la possibilité de divorcer, d’hériter, de tester, d’ester, de témoigner en justice, sur une parole libérée et prise en compte mais aussi tenir compte de la non-reconnaissance de l’égalité politique et de l’impossibilité faite aux femmes d’entrer dans la Garde nationale.
Par ailleurs, il faut souligner le grand écueil que constitua le peu d’échos qu’elles reçurent, la réserve de la majorité des femmes, l’opposition de certaines à ces luttes ; en réalité elles se heurtèrent à une forme d’inertie qui permit aux autorités révolutionnaires, inquiètes devant leurs actions souvent très violentes et déterminées, de freiner leur participation à la vie politique.
Il ne faut, donc, pas négliger cette inquiétude des autorités devant un mouvement de femmes qui prit rapidement une coloration politique radicale, ultra, des « enragées » considérées comme un danger pour l’équilibre social, la remise en cause d’un ordre social voulu par Dieu et aussi tout à fait insupportable pour le machisme ambiant de l’époque. En aparté, il n’y a là rien de bien étonnant car notre époque en est encore copieusement empreinte.
Je ne parle pas d’une « lutte féministe » au cours de la Révolution mais du combat de femmes pour l’égalité et la dignité, pour simplement le droit d’exister en tant que femmes.
Breizh-info.com : Quelles sont les femmes les plus marquantes, pour vous, dans la période que vous décrivez dans votre ouvrage ?
Christine Le Bozec : Les femmes les plus marquantes, ne revenons pas sur Olympe de Gouges, Madame Roland, Théroigne de Méricourt ou Charlotte Corday que l’on ressort régulièrement, certes elles ont leur importance mais ne doivent pas occulter ces femmes aujourd’hui inconnues, oubliées de l’Histoire, nous ne les connaissons que par leurs actions, par les archives de police, nous n’avons aucun portrait d’elles, des Pauline Léon, des Claire Lacombe, des Anne-Félicité Colombe, des Constance Evrard, en tout une poignée de noms qui émergent et que l’Histoire a oubliés, ces fondatrices du club des Citoyennes Républicaines Révolutionnaires.
Breizh-info.com : Vous évoquez finalement peu les femmes qui, nombreuses notamment en Bretagne, ne soutenaient pas la Révolution française. Finalement, les bribes de féminisme, de revendication d’émancipation féminine à cette époque, ne sont-elles pas le fruit d’une infime minorité ?
Christine Le Bozec : Je ne suis pas d’accord avec votre remarque sur le peu de place laissée aux opposantes de ce mouvement : je vous rappelle que je signale à plusieurs reprises que ce mouvement n’était qu’ultra-minoritaire même s’il fut efficace et inquiétant, j’évoque les contre-révolutionnaires en prenant soin de les distinguer entre elles, elles n’ont pas toutes les mêmes motivations et, en outre, je fais une place à part aux actions des Vendéennes et des Chouannes (p. 178).
Breizh-info.com : Quels sont les livres qui vous ont particulièrement plu à lire ces derniers temps ?
Christine Le Bozec : Je suis en train de lire un livre passionnant, revigorant, stimulant, dernier ouvrage de Didier Le Fur : Et ils mirent Dieu à la retraite, une brève histoire de l’histoire, Passées Composés, mars 2019. Et je viens de relire le Talleyrand un caméléon politique, de Pascal Dupuy dans la collection Ils ont fait la France, 2012.
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