Theresa May, Premier ministre de Sa Majesté, est plus habile que les commentateurs ne le laissaient croire. En quatre jours, elle a tendu deux pièges mortels sous les pieds de ses principaux opposants. En début de semaine tout d’abord, elle a officiellement obtenu de pouvoir discuter avec son premier opposant, Jeremy Corbin, aux fins de trouver avec lui une forme de séparation (Brexit) d’avec l’Union européenne (UE) qui satisfasse tout un chacun. L’exercice était d’autant délicat que, chaque semaine devant les Communes depuis le mois de janvier, Corbin réclamait sa tête. Ou plutôt sa démission, aussi vrai que, dans le Royaume, le patron du Labour adopte parfois le langage châtié de la cour, et se contente de ne diriger que « la très fidèle opposition de Sa Majesté ».
De ces discussions, il ne sortira probablement rien, tant les deux grands partis présents aux Communes, les Conservateurs de Mrs May et les Travaillistes de Mr Corbin, sont intérieurement divisés quant à l’opportunité du Brexit, et à ses éventuelles modalités. Quoi qu’il advienne, Mrs May pourra toujours dire qu’elle a tout essayé sur la scène intérieure, et qu’elle ne peut être tenue pour seule responsable d’un échec.
Nouvelle tentative de report
Non contente de renvoyer la balle à son opposition londonienne, Mrs May l’a aussi envoyée à ses opposants européens auprès desquels elle essaie tout, même l’impossible, voire l’absurde. Ce vendredi 5 avril, elle a officiellement demandé à Donald Tusk, président du Conseil européen, un allongement du délai de réflexion des parlementaires britanniques. Les chefs d’État des 27 ont déjà prorogé le premier délai, à échoir le 29 mars. Ils ont admis d’attendre jusqu’au 12 avril, pour un Brexit sans accord si le Parlement britannique ne parvenait pas à s’entendre, et éventuellement jusqu’au 22 mai si ce même Parlement votait majoritairement avant le 11 avril un accord de sortie agréé par l’UE. Mrs May demande maintenant à Donald Trusk de faire courir ce délai jusqu’au 30 juin prochain.
La date du 30 juin, Mrs May le sait, est difficile à accepter par l’UE, et les 27 chefs d’État, réunis le 10 avril prochain à Bruxelles, ne pourront que le refuser. Les élections des députés européens se déroulent en effet durant la période du 23 au 26 mai ; si le Royaume Uni est juridiquement membre de l’UE jusqu’au 30 juin, il faudrait nécessairement que ses électeurs élisent leur représentants en mai ; et pour rien, puisque le nouveau Parlement ne se réunira qu’après le 1er juillet, quand le Royaume sera sorti… Exercice absurde.
Exercice d’autant irrationnel que les sièges européens auparavant dévolus aux Britanniques ont déjà été redistribués aux 27. Si les électeurs du Royaume prenaient part aux scrutins des 23-26 mai, il faudrait dès maintenant revoir toutes les listes européennes en fonction du nombre de sièges à pourvoir pour chaque nation !
Des pics d’aberrations jamais vues dans l’histoire politique européenne
Le feuilleton du Brexit atteint ainsi des pics d’aberrations jamais vues dans l’histoire politique européenne, tant les demandes de délais à géométries variables, les rétractations, retournements de vestes et autres trahisons noirâtres trahissent l’inconsistance des classes politiques concernées. En attendant, les responsables des Chambres de commerce en activité dans les aéroports, ou dans les ports de Calais, Dunkerque, Caen ou Roscoff ne savent toujours pas s’ils devront, le 12 avril, le 22 mai ou le 30 juin, accueillir l’armada de douaniers, policiers et vétérinaires indispensables à l’application légale d’un Brexit dont nul ne sait encore s’il aura lieu, ni quelles en seront les modalités.
Et l’Irlande ?
Le pire sera, évidemment, le sort de l’Irlande dont personne ne semble se soucier dans la classe ahurie des parlementaires de tout poil. Faudra-t-il, oui ou non, dresser un mur politique entre l’Ulster (Belfast) et l’Eire (Dublin) ? D’un côté comme de l’autre de la ligne de partage, personne ne sait !
Jean-François Gautier
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