« Croisés » est une insulte pour les musulmans et avec ce terme ils (dis)qualifient toute intervention d’un état occidental dans un pays du Moyen-Orient. Alors qu’un Imam de Séville vient de sommer le roi d’Espagne Felipe VI de s’excuser au nom de ses ancêtres pour la Reconquista, la reconquête de la péninsule ibérique par les chrétiens, l’Occident est de même invité à demander pardon pour les croisades (1097-1291) et pour la création de la Principauté d’Antioche, du Comté d’Édesse, du Comté de Tripoli et du Royaume de Jérusalem, les États croisés qui recouvraient la Syrie du Nord, le Liban et la Palestine.
Pourtant exiger que les chrétiens s’excusent pour ces expéditions militaires est complètement absurde et frise l’outrecuidance. Jusqu’au quatorzième siècle, les chrétiens (Maronites, Arméniens, Jacobites, Orthodoxes) étaient majoritaires dans les contrées où se sont établis les croisés et les musulmans n’étaient qu’une minorité. Ils n’avaient aucun droit particulier à régner sur ces pays si ce n’est celui du glaive : ils avaient arraché entre 630 et 644 le Proche Orient et l’Égypte à l’Empire Byzantin continuateur de l’Empire romain, qui les possédait depuis 700 ans ! Les fidèles du Prophète envisagent-ils de s’excuser auprès des Grecs pour ces conquêtes ? Bien sûr que non et ils seraient ridicules de le faire. Les mêmes raisons jouent donc pour les croisés. Ils étaient certes des envahisseurs, mais les musulmans tout autant sinon plus ! Et n’oublions pas que les croisades ont été provoquées par l’interdiction des Pèlerinages à Jérusalem, seule ville sainte de la chrétienté, (à l’époque elle n’avait pas pour l’islam l’importance qu’elle a de nos jours ni celle qu’elle avait aux yeux de Mahomet qui, pour hâter le retour du Christ, voulait à tout prix s’en emparer). Si les musulmans avaient été plus tolérants et avaient permis aux chrétiens d’aller prier sur la tombe du Christ comme ils en ont eu le droit entre 634 et 1066, jamais les guerriers de l’Occident ne se seraient mis en marche. Que diraient les croyants si les Américains s’emparaient de la Mecque et leur interdisaient de pratiquer le Hadj ?
Les musulmans reprochent aux croisés la brutalité de leur conquête. En fait, si on excepte le sac de Jérusalem où toute la population juive et musulmane a été exterminée en représailles à leur refus de se rendre (C’était malheureusement une coutume barbare de l’époque) et le massacre de Césarée perpétré par les marins italiens, en dépit de la sauvegarde accordé par le roi Baudouin I à la population musulmane, les capitulations des villes de Palestine ou de Syrie du Nord se faisaient le plus souvent par convention : les fidèles du prophète avaient en général un mois pour émigrer en emportant leur bien à condition qu’ils versent une contribution en or à leurs vainqueurs. S’ils choisissaient de rester, ils devaient payer un impôt spécifique du même montant que celui que versaient les chrétiens sous domination musulmane. On loue la modération de Saladin lorsqu’il a repris Jérusalem en 1187, mais il n’a fait que reproduire l’accord qui a permis à Bertrand de Saint Gilles de s’emparer de Tripoli au Liban en 1109. Quant à la sauvagerie, on la retrouve au côté musulman lors des sacs d’Édesse en 1144, de Tripoli en 1289 et de Saint-Jean d’Âcre en 1291.
Lors des prises sanglantes de ces villes, toute la population franque a été anéantie. Pourquoi se focaliser sur les torts d’un des belligérants et oublier ceux de l’autre ? Le royaume de Jérusalem a eu des très grands rois, Baudouin I et Baudoin II appréciés des musulmans et qui sont l’exact pendant du chevaleresque Saladin. S’ajoute à ces grands souverains Baudoin IV le roi lépreux qui remporta en 1177 à 1 contre 10 la brillante victoire de Montgisard. Il s’en est fallu d’un cheveu que Saladin ne fut tué lors de ce combat, ce qui aurait changé le cours de l’Histoire. Il eut bien sûr des croisés retors et sans honneur qui firent beaucoup de mal à leur cause. Renaud de Châtillon fut le prototype de ces aventuriers. Après sa victoire écrasante d’Hattin en 1187, Saladin qui avait capturé toute l’armée Franque, relâcha aussitôt le roi de Jérusalem avec des conditions fort douces, mais il fit décapiter Renaud de Châtillon pour ses crimes ainsi que le Grand Maître des templiers. Il faut voir les croisades comme une magnifique page d’Histoire où les exploits, les gestes chevaleresques et les vilenies ont été équitablement réparties et personne n’a à demander pardon ni l’Occident ni l’Orient.
Note : si vous souhaitez vous informer sur cette période passionnante, je vous recommande de vous procurer l’extraordinaire « Histoire des croisades et du royaume Franc de Jérusalem » de René Grousset qui reprend la synthèse de toutes les sources franques, grecques et musulmanes. Aucun livre ne l’égale à mon sens.
Christian de Moliner
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