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Chine. Quels sont les défis chinois ? La réponse par Éric de La Maisonneuve [Interview]

Familier de la Chine depuis quinze ans, le général Éric de La Maisonneuve a enseigné à l’Institut de Diplomatie de Pékin (qu’on appelle China Foreign Affairs University – CFAU) de 2004 à 2014.

Nous l’avons interrogé à propos de son dernier livre intitulé Les défis chinois, la révolution Xi Jinping (éditions du Rocher).

« Officier général et spécialisé dans les questions stratégiques et géopolitiques, j’ai voulu comprendre quels étaient les ressorts politiques et culturels de l’émergence chinoise dans le monde du XXIesiècle. J’ai écrit un premier livre sur la Chine en 2012 – L’envers et l’endroit – pour tenter d’élucider la “problématique chinoise”. Cette analyse me paraît toujours pertinente, mais les événements de 2008-2009 – notamment la crise financière consécutive aux subprimes – et l’arrivée au pouvoir du Président Xi Jinping ont modifié un certain nombre de facteurs, et c’est la raison de ce deuxième ouvrage sur les défis chinois. » nous explique-t-il.

Breizh-info.com : De quels facteurs parlez-vous ?

Éric de La Maisonneuve : Ces facteurs peuvent se résumer en deux principaux : primo, la taille atteinte par l’économie chinoise au début des années 2010 en faisait un acteur mondial et de ce fait bousculait l’ordre établi et les règles que celui-ci, dirigé par les États-Unis, avait imposées au monde et dans lequel la Chine ne se reconnaissait pas ; secundo, l’adhésion à la mondialisation par Deng Xiaoping et ses successeurs avait provoqué une dérive libérale et occidentalisée du système chinois, avec le risque dénoncé par Xi Jinping d’une dilution de la Chine dans le système dominant. Ce sont les motifs qui ont justifié une reprise en main idéologique du régime chinois et sa réorientation vers un modèle original et plus autonome. En 2019, la situation de la Chine est celle d’une grande puissance économique et politique qui se démarque du système mondial et tente de proposer une alternative à celui-ci ; c’est le sens de l’initiative des nouvelles routes de la soie.

Cette originalité de la Chine ne se trouve pas dans son « communisme » qui n’est qu’un habillage idéologique et le faire-valoir du Parti. Elle se trouve dans son projet hybride, dual et ambivalent, d’associer la tradition chinoise et la modernité telle qu’elle a été forgée par l’Occident. Ce mélange de Confucius, Marx, Mao avec les grands économistes américains peut paraître incongru aux esprits européens rationnels ; il est en fait courant dans un pays pragmatique où le principe de contradiction est absent.

La Chine de 2019 est une très grande puissance économique en termes absolus : quelques 13 000 milliards de dollars de PIB ; mais c’est une puissance relative si l’on calcule le pouvoir d’achat : moins de 10 000 dollars par habitant, où l’Européen est quatre fois plus riche. En réalité les forces de la Chine sont également ses faiblesses. Notamment sa démographie gigantesque – 1,4 milliard d’habitants – minée à la fois par son vieillissement et par sa faible natalité, rétrécissant ainsi année après année le cœur de son dynamisme, à savoir sa population active. Autre faiblesse insigne et difficilement réparable, celle de son « environnement » dégradé par quatre décennies de croissance débridée et « à tout prix ».

Breizh-info.com : Que reste-t-il du communisme à la chinoise ? Qu’est-ce qui caractérise le plus sa puissance à l’heure actuelle ? A contrario, quelles sont selon vous ses faiblesses d’aujourd’hui et à venir ?

Éric de La Maisonneuve : Le problème principal du Parti communiste chinois consiste dans la nécessité de continuer à asseoir sa légitimité politique sur son efficacité économique. Il est détenteur de ce qu’on nommait le « mandat du Ciel » et qui faisait obligation à l’empereur d’assurer les quatre besoins du peuple : se nourrir, se loger, se vêtir et se déplacer. En termes modernes, cela signifie que le Parti doit poursuivre sur le chemin du développement en assurant à la population d’atteindre « une moyenne aisance », en chinois xiao kang.

En quatre décennies, le système a permis à 800 millions de Chinois de franchir cette barrière. À raison de 20 à 30 millions par an. À ce rythme qu’il faut au moins maintenir, il y en a encore pour 30 ans, soit 2049, ce fameux objectif fixé par le président Xi qui correspond au centenaire de la République populaire et au firmament d’une société puissante et harmonieuse. Le modèle qui a permis un tel succès, fondé sur les investissements et les exportations, n’est plus tenable en raison des oppositions étrangères et de nombreuses saturations ; c’est pourquoi il faut le faire évoluer aussi bien de l’intérieur (par la consommation) que de l’extérieur, en renouvelant les débouchés et les circuits commerciaux. C’est tout l’enjeu des nouvelles routes de la soie.

Pour renouveler son modèle et poursuivre un développement dynamique, la Chine a lancé dès 2013 un projet gigantesque – de l’ordre de 4 000 milliards de dollars – qui vise pas moins que d’offrir au monde une alternative au système actuel, notamment aux routes maritimes dont il faut noter au passage qu’elles sont verrouillées à Panama, à Suez et à Malacca par des flottes de guerre américaines. La Chine veut assurer la sécurité de ses approvisionnements – 460 millions de tonnes de pétrole, 50 millions de tonnes de céréales – et « varianter » ses circuits commerciaux, en privilégiant les régions et les pays jusqu’à présent délaissés ou éloignés des grandes voies mondiales. La première proposition tend donc à relancer les « routes terrestres » sur le continent eurasiatique qui furent celles de l’Antiquité à travers la Perse de Darius et qui furent illustrées par la geste de Marco Polo au XIIIsiècle.

Mais ces routes naissent au Xinjiang chinois, région désertique de population ouïgour, qui pour l’instant ne représente pas une base de départ idéale pour un projet aussi ambitieux. Ensuite, ces routes se déclinent à travers l’Asie centrale, dont les républiques ex-soviétiques, musulmanes et d’origine turco-mongole, n’ont jamais eu d’affinités avec l’ethnie Han qui peuple la Chine. Enfin, les itinéraires projetés devraient traverser un Moyen et Proche-Orient dévasté par de multiples conflits. C’est après un tel périple que les routes de la soie nouvelle manière parviendraient aux rivages de la Méditerranée et aux confins européens dont le marché de 500 millions de consommateurs solvables attire les convoitises chinoises.

Breizh-info.com : L’Europe est-elle en passe de se faire aujourd’hui dévorer économiquement par la Chine ?

Éric de La Maisonneuve : Dans leur mode stratégique habituel, qui s’affranchit des lignes droites, les stratèges chinois vont directement au but. S’ils devaient attendre que se résolvent les problèmes du continent eurasiatique pour que s’y libèrent des itinéraires commerciaux, leur projet ne se réaliserait pas dans les délais envisagés et à l’échéance de 2049. C’est pourquoi, ces dernières années, ils ont jeté leur dévolu sur des terminaux portuaires dans des pays en difficulté (Grèce, Portugal, Italie) et tenté de séduire le « ventre mou » de l’Union européenne à travers un forum de 16 pays d’Europe centrale et balkanique. Nous sommes parvenus à ce point où, lors de la visite d’État du président Xi Jinping en France les 25 et 26 mars 2019, le Président français et la Chancelière allemande accompagnée du Président de la Commission, ont pris conscience de ces prises de gages et ont nettement réagi face à une attitude chinoise jugée malencontreuse.

La question n’est pas dans les investissements chinois en France et en Europe qui, après tout, s’ils ne touchent pas des secteurs stratégiques dits de souveraineté, sont plutôt les bienvenus dans un pays sous-capitalisé, mais celle d’un partenariat éventuel à un projet certes chinois mais d’ampleur mondiale et qui touche de ce fait les intérêts vitaux de nos pays. De toutes façons, le projet chinois ne se fera pas « contre » le monde et donc contre les Européens. Il se fera sans doute mais « avec » le monde et donc avec les Européens. À eux, unis de préférence, d’en négocier les termes avec les Chinois qui sont demandeurs. Car, dans les circonstances présentes, ce projet est « vital » pour la Chine et… pour le Parti.

Éric de La Maisonneuve, auteur de Les défis chinois, éditions du Rocher, 2019, 344 pages, 19,90 €.

Crédit photos : Pixabay (cc)
[cc] Breizh-info.com, 2019, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine – V

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