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Stéphane Martin (Fondation Abbé Pierre) : « Il faut outiller et financer la lutte contre le mal-logement » [Interview]

Stéphane Martin est directeur de l’agence Bretagne de la Fondation Abbé Pierre. Une délégation régionale constituée de trois salariés et de six bénévoles qui travaille en réseau avec de nombreux partenaires, élus, collectivités, fédérations, associations.

La Fondation Abbé Pierre combat le mal-logement sous toutes ses formes, par son combat politique, par son soutien aux actions, par ses aides directes aux mal-logés. Elle met en œuvre son combat grâce à la générosité des donateurs.

« En Bretagne, nous mettons plus particulièrement l’accent sur les questions d’habitats dégradés et indignes et sur l’accompagnement aux droits liés à l’habitat. En effet, 63 000 logements sont potentiellement indignes dans la région. 35 000 logements ne comportent ni douche, ni salle de bain. Notre programme « SOS TAUDIS » a permis entre 2012 et 2018 d’aider 365 personnes propriétaires occupants ayant de très faibles ressources à compléter des financements publics pour finaliser des travaux de sorties d’indignité. 766 650 € de subventions de la Fondation Abbé Pierre ont été destinés à ces lourdes réhabilitations. » nous explique Stéphane Martin, qui nous a accordé une interview, alors que le 24ème rapport sur le mal logement en France est sorti et que celui sur la précarité en Bretagne sera révélé demain.

La vulnérabilité énergétique touche 203 000 Bretons soit 15 % des ménages, 30 % en secteur rural. En ce qui concerne la précarité énergétique, la Fondation soutient également, en lien avec des collectivités, des actions préventives de repérage et d’accompagnement des ménages qui ne peuvent payer de factures d’énergie ou se plaignent de sensation de froid à domicile, affectant leur santé.

Breizh-info.com : Le rapport fait état de disparités en Bretagne, entre notamment le centre Bretagne et le reste de la région. Parlez-nous de cette précarité en centre Bretagne ?

Stéphane Martin : La pauvreté n’est pas la même dans les agglomérations et en secteur rural. En secteur rural, elle touche principalement des personnes vieillissantes et propriétaires de leur logement.

Alors que la pauvreté est visible dans les villes, elle est souvent invisible et mal connue en secteur rural. Très peu d’études sont financées sur ce sujet. La plupart des acteurs peinent alors à caractériser le vrai visage de la pauvreté en secteur rural, notamment en centre Bretagne.

À cela, il faut rajouter la question de la pudeur qui amène de nombreux ménages à ne pas se plaindre, à subir, à faire face coûte que coûte. Par exemple, on nous a rapporté que dans une recyclerie, des ménages achetaient au kilo beaucoup de couvertures pour isoler leurs combles. Nous pensions qu’ils savaient qu’ils pouvaient bénéficier des aides de l’Anah (Agence nationale de l’habitat) pour rénover leurs logement.

Breizh-info.com : Pourquoi, dès lors, l’initiative que vous mettez en œuvre pour l’aide au logement, ne comporte aucun dossier dans ce secteur ?

Stéphane Martin : Il s’agit d’une question de politiques publiques et de moyens à mettre en œuvre.

Les politiques sociales sont déjà anciennes sur ces territoires et vont s’attacher à répondre principalement aux problématiques du vieillissement des ainés ruraux, aux questions de santé et d’adaptation des logements. Il existe aujourd’hui un réseau d’acteurs et une filière qui est opérante sur ce secteur géographique.

Les politiques de l’habitat sont plus récentes, moins affirmées et il faut souvent plusieurs programmes locaux de l’habitat pour que les effets soient visibles (production de logements, rénovations, lutte contre la vacance et premières opérations de revitalisation des centres-bourg). L’enjeu est au niveau de la gouvernance qui permet au chef de file (l’intercommunalité) d’animer des acteurs variés, au service de la lutte contre le mal-logement. Cela prend du temps et mobilise beaucoup d’énergie.

Au final, on repère collectivement mieux les ménages mal logés, on les accompagne et les actions de lutte peuvent se mettre en place.

Breizh-info.com : Quelles sont les différences entre Bretagne des métropoles et Bretagne des terres ?

Stéphane Martin : On l’a dit, le système de lutte contre le mal-logement est moins structuré et moins opérationnel dans la Bretagne des terres. La question des financements disponibles est également essentielle.

En outre, il y a moins d’acteurs en secteur rural et moins d’associations. La venue de ces dernières est souvent contrainte par la durée des trajets et le coût des transports.

Breizh-info.com : Les dispositifs d’aide à l’amélioration de l’habitat semblent mal connus, mal utilisés, et restrictifs (il faut isoler un certain %, une année les fenêtres sont prises en compte, pas l’autre, certains travaux ne sont pas pris en compte…). N’est-ce pas au final une impasse ?

Stéphane Martin : Il y a aujourd’hui en Bretagne de nombreuses plateformes de rénovation de l’habitat qui, sur un territoire précis, donnent accès à une information objective et rationalisée. Le problème concerne surtout les plus démunis, car il faut aller vers eux et les portails internet ne suffisent pas. Le lien est essentiel avec ces ménages. Quand la confiance est établie, alors nous pouvons parler du logement et des aides.

C’est pour cette raison que la Fondation milite pour que l’on rénove, en priorité, les logements les plus indignes occupés par les ménages les plus fragiles. Il faudrait qu’un plan permette de rénover 60 000 logements indignes par an pendant 10 ans au niveau national, afin d’éradiquer l’habitat indigne sur le territoire. L’État pourrait par exemple passer des conventions d’objectif avec les territoires.

Breizh-info.com : Avez-vous calculé sur combien d’années on commence réellement à économiser des sous après installation d’une pompe à chaleur ou après une isolation par l’extérieur par exemple ?

Stéphane Martin : Nous laisserons aux techniciens le soin de répondre à cette question. L’isolation des combles est souvent le premier travail à réaliser et le retour sur investissement est un des plus rapides.

Breizh-info.com : Plus globalement, quelles sont les mesures concrètes que les pouvoirs publics devraient prendre ? Qui finance ? 

Stéphane Martin : Il y a beaucoup de mesures à prendre par les pouvoirs publics pour lutter contre le mal-logement. Nous pourrions mentionner le maintien des aides au logement et le financement du logement HLM. Si nous raisonnons en secteur rural et en centre Bretagne, il faut outiller et financer la lutte contre le mal-logement.

Cela passe par l’affirmation d’une gouvernance par les collectivité locales sur l’habitat et le social. Tous les acteurs concernés doivent être associés dans des commissions partenariales de lutte contre le mal-logement.

Il faut mettre en place une boîte à outil du repérage et de l’accompagnement pour qu’aucun ménage repéré ne soit délaissé. Il faut enfin mieux financer les marchés publics de lutte contre l’habitat indigne pour que les opérateurs puissent faire un travail de proximité et de qualité avec des ménages en très grande difficulté.

En ce qui concerne les financements, il faut bien entendu tendre vers des convergences financières par le biais de conventions entre l’État, les départements, les collectivités locales.

Breizh-info.com : Les flux migratoires amènent en France une population elle aussi particulièrement précaire. N’y a-t-il pas là un antagonisme lourd à vouloir à la fois accueillir une partie de la misère du monde, et en même temps, permettre aux Français de se loger dignement ? Y a-t-il des priorités à mettre en œuvre ?

Stéphane Martin : Les valeurs de la Fondation Abbé Pierre nous conduisent à une volonté de partage, de solidarité et de fraternité. Elle défend à ce titre le logement digne pour tous. L’accès à ce logement digne pour tous est la priorité de la Fondation Abbé Pierre.

Propos recueillis par YV

Crédit photos : DR
[cc] Breizh-info.com, 2019, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine – V

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