Une représentation des Suppliantes d’Eschyle, pièce athénienne du milieu du ~Ve siècle avant l’ère, vient d’être interdite en Sorbonne. Non par la préfecture pour atteinte aux bonnes mœurs, mais par des militants dits « antiracistes » bloquant les entrées de l’amphithéâtre au prétexte des masques colorés portés par certains acteurs. Le chromatoracialisme du Cran (Conseil représentatif des associations noires) vient juste de sortir.
Le racisme, une notion de plus en plus difficile à définir
Le racisme, en droit moderne, est un crime. Il devient de plus en plus difficile à définir. Pour deux motifs. D’abord parce que le mot « race » devrait disparaître de la Constitution française, ainsi que l’a voté l’Assemblée nationale en juin 2018, mais pas encore le Parlement. D’où la question : qu’est-ce qu’un racisme sans races ? Ensuite parce que le crime, selon l’interprétation du Cran et de ses affidés, ne concerne pas seulement des criminels et leurs actes éventuels, mais aussi des choses colorées, parmi lesquelles il faudrait compter des œuvres littéraires.
Que se passe-t-il dans Les Suppliantes d’Eschyle ? Rien d’autre qu’un vieux mythe disant que les cinquante filles de Danaos, roi de Libye, sont poursuivies par les cinquante fils d’Egyptos, le roi d’à côté. Elles trouvent refuge dans l’île d’Argos et supplient son roi, Pelasge, de les protéger. Peslage refuse de livrer ces Danaïdes aux demandes insistantes des Egyptiades. En résumé, il protège les différences. Lesquelles, dans la dramaturgie antique, sont symbolisées par des masques différents. Et voilà que ces masques sont aujourd’hui qualifiés de black faces (‘faces noires’) par des militants francophones de causes néo-américaines tardives.
Faudrait-il, au même titre, modifier le rôle de Iago, le More de Venise, dans la pièce Othello de Shakespeare ?
Et tout autant la partition de l’Otello de Verdi, dont Herbert von Karajan dirigea deux versions black faces avec Mario del Monaco (Vienne, 1961) et John Vickers (Berlin, 1973) ?
Un problème équivalent concerne le drapeau corse avec sa tête de Maure (a bandera testa maura), la tête (légendaire) étant celle du sarrasin Mansour Ben Ismaïl. Elle fut portée au bout d’une pique, en compagnie de nombreuses autres têtes d’envahisseurs, par les troupes de l’indépendantiste Pascal Paoli résistant à l’invasion étrangère (1755). Faut-il encore la figurer ?
La portée de la revendication chromatoracialiste ne peut être négligée. Si en effet elle est admise, il faudrait, côté hellénique, envoyer au dépotoir toute la tradition des poteries dites « au noir », caractéristiques des arts du pourtour égéen des ~VIIIe/~VIe siècles. Dans ce cas, il y aurait beaucoup de tessons à récupérer aux alentours des musées d’Athènes, sans compter le Louvre, le British Museum, et tant d’autres encore. Les amateurs seront nombreux, mais condamnables.
Que faire de la Vierge Noire du Halgouët ?
En France même, que faire de la Vierge Noire du Halgouët, sortie chaque année pour le Pardon traditionnel de Guingamp (Côtes d’Armor) ? De celle de la Chapelle des marins d’Arcachon (Gironde), sortie la nuit du 15 août ? Ou de celle de Rocamadour (Lot), qui pourrait aussi bien être détruite le jour de l’autodafé de la partition des Litanies à la Vierge Noire de Francis Poulenc (1936), à elle dédiées, mais qui deviendraient interdites d’exécution publique ?
Le Bidil, un médicament américain destiné aux patients d’origine africaine
Après les arts, les sciences appliquées. Car il conviendrait notamment de dénoncer cette publicité américaine pour le site du Bidil®, nom commercial de l’isosorbide dinitrate/hydralazine HCI, un médicament destiné à contrer une insuffisance cardiaque spécifique, portée essentiellement par des patients d’origine africaine. A-t-elle encore droit de cité ?
Le site du Bidil® avertit que Research has shown that heart failure is up to 20 times more frequent in African American patients before the age of 50 years than in whites of the same age (« La recherche a montré que l’insuffisance cardiaque est 20 fois plus fréquente chez les patients afro-américains de moins de 50 ans, que chez les patients blancs du même âge. ») N’est-ce pas une notation terriblement chromatoracialiste ?
Il est aussi possible de noter, en France même, que des spécialités anti-cholestérol telles que le Crestor® ou la Rosuvastatine Biogaran® ont des précautions d’emploi officielles et ministérielles avertissant que « vous ne devez pas prendre 40 mg de rosuvastatine (dosage le plus élevé) si (…) vous êtes d’origine asiatique (japonais, chinois, philippin, vietnamien, coréen et indien) ». La couleur ni la race ne sont pas précisées, mais c’est tout comme : il est évident que, même né à Tokyo ou à Vientiane, un enfant de parents irlandais ou italiens n’est pas concerné.
Breizh Info notait déjà, au début du mois de mars, combien les services allemands d’hématologie étaient maintenant amenés à organiser des campagnes recrutant des donneurs d’origine moyen-orientale ou africaine pour procéder sans risque à des transfusions sanguines ou à des greffes de moelle auprès de receveurs immigrés, dont la race et l’ethnie étaient précisées. Si un tel prétendu chromatoracialisme est de mise dans les maisons de disques, les drapeaux indépendantistes, les pharmacies ou les hôpitaux, pourquoi serait-il exclu des scènes de théâtre universitaire présentant une pièce d’Eschyle datant de vingt-six siècles ?
Jean-François Gautier
Crédit photos :DR
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