« Migrations en questions ». Pour Ouest-France, souvent en pointe dans les reportages sympathiquement pro-migrants, il s’agit d’un site qui « diffuse des vidéos courtes d’experts qui répondent aux questions postées par les citoyens sur les migrations. Un outil anti-intox très efficace, fabriqué à Nantes. ».
Un site d’experts, vraiment ?
Le mot « expert » est lâché. Comme le mot « spécialiste » ou « chercheur » entendu très souvent à la télévision (un mot parfois employé un peu vite, le cas Sylvain Bouloque étant exemplaire durant les Gilets jaunes). Une qualification qui, dans tous les cas, n’enlève rien à l’appartenance politique et à l’engagement des personnes ainsi qualifiées.
À chaque fois, le même procédé, ouvert en apparence : parlons des migrations. Posez vos questions « pas bêtes » précise Ouest-France, de grands enfants, nous y répondrons. « Pourquoi est on obligé d’accueillir des migrants ? ». « Pourquoi entend-on parler des migrants de manière négative ? ». « Pourquoi les HLM contribuent-ils à la ségrégation sociale des migrants ? ». « Quelles sont les implications pratiques du principe de fraternité ? » (voir ici toutes les questions). Sur Youtube, les vidéos ne rencontrent pas un grand succès (quelques centaines de vues), sur Facebook, un peu plus (1 900 j’aime sur la page).
Le site « Migrations en questions » est toutefois loin d’être une plateforme totalement neutre à destination du grand public et de la jeunesse. « Nous partons du constat que le débat public portant sur les migrations est largement instrumentalisé, en particulier par les extrêmes. Dans ce contexte de polarisation, les citoyens ne trouvent pas toujours les réponses objectives aux questions qu’ils se posent. » expliquait à un autre média Yves Pascouau, moteur du site et patron de l’ONG European Migration Law.
Il est en réalité animé par un panel de personnalités qui militent, pour plusieurs d’entre elles, pour l’immigration et les migrants. Un site qui, par ailleurs, est soutenu par Ouest-France ou encore l’université de Nantes, ce qui n’est pas sans poser des questions en terme de neutralité du plus gros quotidien de France et d’une institution publique.
Des chercheurs, avocats, personnalités pro-migrants et / ou de gauche parmi les animateurs du site
La page « qui sommes-nous » du site nous en apprend plus sur les personnalités qui l’animent. On y retrouve notamment l’inénarrable Lilian Thuram, qui entend « éduquer contre le racisme » partout où il va, mais également soutien public d’Emmanuel Macron lors de l’élection présidentielle de 2017, pas neutre donc puisque pour rappel, 33 % des votants n’ont pas voté pour M. Macron, et 25 % des électeurs se sont abstenus. « Il faut se déplacer massivement pour aller voter Macron » expliquait l’ancien footballeurr en 2017, férocement contre Marine Le Pen.
« Le projet “Migrations en questions” s’appuie sur des personnalités qui sont reconnues pour leur grande expertise et compétence dans les domaines et questions liées à l’asile et à l’immigration. » explique la charte du site qui précise que les personnalités qui y participent « fondent leurs contributions sur le principe de l’impartialité politique ».
Mais Lilian Thuram n’est pas le seul de la liste, pourtant courte (7 personnalités) : Catherine Wihtol de Wenden, que le site présente comme directrice de recherche au CNRS et experte auprès de plusieurs organisations internationales (HCR, Conseil de l’Europe et de la Commission européenne). Un petit détour par sa fiche Wikipedia s’impose : « Elle est par ailleurs militante du droit à l’immigration en France » peut-on lire. « En juin 2012 et mars 2014 elle est un des soutiens de la liste socialiste à l’élection municipale du 7e arrondissement de Paris menée par Capucine Edou (candidate d’Anne Hidalgo) ». Tiens tiens. On repassera pour la neutralité.
On retrouve aussi Enrico Letta, lui non plus pas neutre politiquement. Ancien ministre et homme politique italien, il est membre du Parti démocrate, c’est-à-dire de la gauche italienne. Partisan de l’accueil de migrants économiques en Europe en plus de l’accueil de réfugiés, ce dernier déclarait : « Sur la question des migrants économiques, j’ai toujours défendu une politique à la canadienne. C’est-à-dire la délivrance de visas selon un système de répartition par nationalité. ». Une proposition pas neutre politiquement donc.
Mais ce n’est pas terminé. On retrouve également Pascal Brice, présenté comme ayant dirigé l’OFPRA (Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides) pendant plusieurs années. Le Monde, journal peu suspect de sympathie anti-migrants, dit à son sujet, à propos de son remplacement lorsqu’il était à l’étude « au ministère de l’Intérieur, ils sont un certain nombre à vouloir tourner la page des années Pascal Brice dont ils supportent mal l’autonomie. Et encore moins le fait qu’il joue de sa proximité avec le Président pour la défendre. « Il est très inséré dans la Macronie, donc il joue la carte de la présidence et se considère au-dessus de sa tutelle, au point qu’il ne veut pas lui rendre compte », résume un cadre place Beauvau. « Il a shunté l’échelon ministériel et ça a créé du ressenti contre lui », corrobore un autre.
Très inséré dans la Macronie. Pour la neutralité politique, là encore, on repassera.
On retrouve également Sylvie Saréola, avocate belge, spécialisée dans la défense des réfugiés, qui déclarait dans une interview notamment : « Quand les frontières sont plus ouvertes, le système s’autorégule de manière positive, du moins en partie. ». Cette dernière, en marge d’un colloque international intitulé « Contrôles et hospitalités. Vers des politiques migratoires qui renforcent la démocratie contemporaine » durant lequel László Trócsányi, ministre de la Justice dans le gouvernement de Viktor Orban, était invité, déclarait par ailleurs, en tant que coordinatrice du colloque : « Il est apparu qu’il était important dans le cadre de ce colloque de donner la place à plusieurs points de vue, y compris des points de vue que les organisateurs et les participants ne partagent absolument pas. Mais si tous les points de vues étaient allés dans le même sens, une partie de la recherche universitaire et de la réflexion passe à la trappe. Un point de vue divergeant peut donc être exprimé, pour autant que ce soit dans un contexte où elle soit amenée à entendre tous les autres points de vue. ». Elle confessait donc ainsi ne pas partager les positions contre l’immigration du gouvernement Orban. Une prise de position politique, donc…
On retrouve aussi François Crépeau, professeur et titulaire de la Chaire Hans et Tamar Oppenheimer en droit international public, à la Faculté de droit de l’Université McGilll, dont le site de l’ONG qui gère le site Migrations en questions reprend une citation : « La migration est un voyage à la recherche de la dignité ».
Mais encore Estelle d’Halluin, qui répond dans plusieurs vidéos, et qui est notamment signataire d’une pétition pour la régularisation des étudiants clandestins étrangers.
Enfin, Yves Pascouau, fondateur et directeur de European Migration Law, moteur de cette plateforme « Migrations en question ». Un simple tour sur son compte twitter témoigne de son engagement. À propos du groupe de Visegrád, de M. Salvini, du « populisme en Europe », voici ce que dit M Pascouau : « Ces mouvements populistes apportent une réponse simple à des questions complexes : la figure du migrant sert de bouc émissaire, comme cela a souvent été le cas avec les formations d’extrême droite. Ce type de discours est bien reçu par une partie de l’électorat qui, parce qu’il a mal vécu la mondialisation, a envie de renverser la table. Dès lors, ces lignes dures peuvent être payantes à court terme électoralement, mais à long terme, cela ne peut pas tenir. »
Voir ici l’entretien que M. Pascouau nous a accordé au sujet du site Migrations en questions.
Ainsi, sur le site « migrations en question » vous ne retrouverez aucun « expert » migratio-sceptique, mais une majorité d’intervenants engagés, à gauche essentiellement, et en faveur de l’immigration. Pas choquant, si ce n’est que le site se prétend vouloir « faire de la pédagogie » en toute « impartialité politique ».
Concernant la couverture médiatique qu’a obtenu le site, elle est relativement importante, et cela malgré la très faible audience des vidéos proposées. La ville de Nantes a annoncé le site, Ouest-France a multiplié les articles sur le sujet, comme d’autres journaux (voir la rubrique « on parle de nous » » du site, rubrique non exhaustive).
En conclusion, le site « Migrations en question » est un site qui prétend « poser les bases d’un dialogue dépassionné et informé sur le phénomène migratoire et ses effets », mais avec des intervenants triés sur le volet, qui sont engagés… et militants. Sur une question aussi importante que celle de l’immigration, il est important d’en être conscient en parcourant le site.
YV
Crédit photos : DR
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