Nous avons évoqué récemment la sortie d’un livre amené à faire date : Athéna à la borne, discriminer ou disparaître, de Thibault Mercier. Un véritable plaidoyer de ce jeune avocat pour une large réflexion sur le sens de ce que constitue le fait de discriminer, c’est-à-dire de distinguer.
C’est en effet parce qu’on distingue, parce qu’on se distingue, que l’on possède une identité propre, commune aux uns, pas aux autres. C’est ce qui fonde une communauté, un village, une cité, une nation, une civilisation. C’est d’ailleurs finalement la base de toute société humaine sur cette terre.
À quelques jours du grand colloque de l’Iliade durant lequel il interviendra, nous avons interrogé Thibault Mercier sur ce livre, qu’il faut lire, et faire lire.
https://www.youtube.com/watch?v=Uk2JXR91oLE&fbclid=IwAR20or5BB8L8_JTX5TGi8oYJENkUBFwUAMIYqIVo3fja4Dr69yTmSAmqWSE
Athéna à la borne, discriminer ou disparaître – Thibault Mercier – Pierre Guillaume de Roux – 16 €
Breizh-info.com : Tout d’abord, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Thibault Mercier : Je m’appelle Thibault Mercier, j’ai 34 ans et je suis avocat. Je suis également engagé dans le monde associatif. Tout d’abord en tant que co-fondateur du Cercle Droit & Liberté (www.cercledroitetliberte.fr) avec lequel nous avons organisé en 5 ans une cinquantaine d’événements afin de lutter, par le débat d’idées, contre le conformisme qui règne à l’université et dans le monde juridique. Ensuite en tant qu’auditeur de l’Institut Iliade pour la longue mémoire européenne (qui co-édite mon essai avec Pierre-Guillaume de Roux) et qui m’a donné l’occasion notamment d’intervenir lors de son colloque annuel de l’an dernier (et d’y intervenir encore cette année).
Breizh-info.com : Pourquoi avoir intitulé votre livre « Athéna à la borne » ? Est-ce dans la Grèce antique que nous devons trouver les solutions à nos maux actuels ?
Thibault Mercier : Mon essai traite de la discrimination, c’est-à-dire de ce qui nous différencie et nous distingue. Pour l’illustrer j’ai donc choisi de faire référence à cette Athéna à la borne, un bas-relief du Ve siècle avant notre ère et sur lequel la déesse de la sagesse contemple une borne. Cette borne symbolise à la fois la frontière entre un pays et un autre, mais représente également la finitude de l’homme et le trait qui le sépare et le différencie de tout autre. Car dans l’absolu, exister c’est tracer des limites. Je ne suis « moi » que parce que je peux me distinguer de « l’autre », un pays n’existe que par ses frontières et les différences ne se concrétisent que par des séparations. La borne, la frontière est donc une marque de l’altérité mais également la limite qui vient rappeler à l’individu que sa volonté ne peut être absolue. Dans une société moderne où chaque homme exige la reconnaissance publique – notamment par le droit – de n’importe quelle forme de désir, il convient de rappeler la sagesse des Anciens pour qui le bien commun, comme tout ordre structurant, impliquait nécessairement des limites pour l’individu.
Breizh-info.com : Vous expliquez que le principe de non-discrimination relève du marxisme culturel ; pour quelles raisons ? N’est-ce pas plutôt de l’essence même de la République française et de son universalisme ?
Thibault Mercier : Il est vrai que la République française se caractérise par son universalisme, c’est-à-dire qu’elle considère que l’homme est le même partout, tout le temps. Suivant la conception rousseauiste du contrat social, il faut donc l’arracher à ses déterminismes que sont notamment sa patrie, sa famille, sa culture, sa religion ou encore sa race. Ainsi il apparaît logique pour cette République de venir interdire les discriminations (à l’embauche, à la fourniture d’un bien ou d’un service) fondées sur la race, la religion ou encore l’ethnie (ce qu’est venue faire la loi Pleven de 1972). Il est en revanche plus contestable d’avoir interdit la discrimination fondée sur la nationalité, qui a fait sauter la notion même de nation.
Mais des quatre critères de distinction à l’origine interdits, nous en sommes désormais à pas moins de vingt-cinq comprenant notamment l’identité de genre, le sexe, l’apparence physique et même la capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français. L’enfer est pavé de bonnes intentions et ces lois qui voulaient tendre vers plus d’égalité et d’intégration nous ont finalement menées à plus de ségrégation : désormais chacun est incité à voir ce qui nous divise plutôt que ce qui nous rassemble.
Par ailleurs on remarque que si la loi est censée punir toutes les discriminations énoncées plus hauts, dans les faits les sanctions juridiques et médiatiques sont plutôt à sens unique. Par exemple, il n’est jamais fait état du racisme anti-blanc (qui n’existerait pas) ou des situations où les hommes sont en infériorité numérique. Selon moi ce fétichisme de la non-discrimination est fortement empreint d’une sorte de marxisme culturel qui analyse les rapports humains par le prisme dominants-dominés. On nous assène à longueur de journée que nous vivons dans des sociétés patriarcales, homophobes, racistes et sexistes. Il suffit de lire les médias mainstream pour comprendre que tout homme est désormais un « porc » en puissance ou qu’un Blanc est nécessairement un « colonisateur esclavagiste ». Dans les faits, le seul moyen pour les hommes de ne pas être dénoncés comme des violeurs potentiels serait donc d’accepter la suppression de la différence sexuelle, et le seul moyen d’échapper au racisme serait d’accepter la suppression des différences raciales. Nous en arrivons donc à nier – contre l’évidence – toute altérité, pour en arriver à l’uniformisation des individus.
Dans cette même logique, toute différence considérée, à tort ou à raison, comme supérieure serait « oppressante ». Cette obsession de l’anti-discrimination nous interdit ainsi de tendre vers le Beau, le Bien et impose une sorte de darwinisme inversé dans une société où les plus forts, les plus beaux, les plus intelligents seraient cloués au pilori.
Breizh-info.com : Nos sociétés ne sont-elles pas paradoxales, puisqu’y règne à la fois le triomphe de l’individu, et en même temps une volonté d’uniformiser tout ce qui est uniformisable ?
Thibault Mercier : C’est tout à fait juste. En effet, nos sociétés modernes se veulent respectueuses de toutes les identités individuelles (au point d’ailleurs d’en inventer chaque jour de nouvelles : je pense notamment à la théorie du genre).
Pourtant, et paradoxalement, cette tolérance poussée à l’extrême tend à réduire la personne humaine à sa condition mécanique d’individu indifférencié (et indifférenciable). Je m’explique : dans nos sociétés modernes minées par le relativisme (tout se vaut) et l’égalitarisme (tous se valent), les obligations morales et juridiques de respect de l’autre et de ses différences (imposées par les promoteurs du vivre-ensemble) nous empêchent de reconnaître la personnalité unique de chacun. En conséquence, les individus ne sont alors plus égaux mais semblables, non plus irremplaçables mais interchangeables. Sans qualités particulières, un des seuls moyens de pouvoir les distinguer devient alors la plus ou moins grande quantité de leurs avoirs (la discrimination par l’argent étant une des rares encore tolérée).
Dans les faits cette idéologie fait de l’homme un simple agent économique qui produit et consomme (et qu’on peut trimbaler d’un pays à un autre au gré des besoins du marché). Cela mène également à nos sociétés de masses où les modes de vie sont uniformisés et calqués sur l’American way of life, à la McDonaldisation des gastronomies locales, à la dissolution des langues nationales dans le globish, etc.
Breizh-info.com : Le droit français condamne la discrimination. Mais n’est-ce pas pourtant ce que chacun pratique tous les jours, quand il choisit une copine et pas une autre qu’il juge moche, quand il choisit un sport plutôt qu’un autre ?
Thibault Mercier : En effet, discriminer signifie à l’origine « distinguer » : dès lors qu’on choisit quelque chose on rejette le reste. Nous passons donc nos journées à discriminer. De même toute culture ou religion est fondée sur une discrimination. Sans discrimination, il est par exemple impossible de se définir et donc de séparer le Moi de l’Autre, le Nous du Vous. Mais par un processus orwellien de modification du sens des mots, « discrimination » signifie maintenant « différenciation criminelle ».
Le droit français vient interdire la discrimination dans des cas spécifiques (non-fourniture d’un bien ou d’un service ou refus d’un emploi fondés sur certains critères – comme évoqué plus haut). Mais c’est au-delà du droit que nous observons les effets de ce dogme de l’anti-discrimination qui ne supporte plus l’idée même de distinction ou d’exclusion. D’ailleurs, une société progressiste doit-elle tolérer que les laids et laides ne séduisent pas autant que les beaux et belles gosses ? L’État ne devrait-il pas là aussi réparer cette « injustice » et venir légiférer pour interdire la sélection de nos compagnes et compagnons sur des critères de beauté ?
Breizh-info.com : Vous êtes avocat. Vous connaissez donc parfaitement le droit français. Comment est-il possible aujourd’hui, dans son état, de s’en servir pour, je vous cite, « nous préserver culturellement et civilisationnellement » ?
Thibault Mercier : Je n’ai pas la prétention de connaître parfaitement notre droit dans une société où nous assistons, pour reprendre le mot de Philippe Muray, à la multiplication cancéreuse des lois. Mais pour répondre à votre question, il apparaît bien difficile aujourd’hui pour une nation d’œuvrer à sa préservation culturelle au vu de l’état actuel de notre droit. Ce dernier est en effet miné par une vision de l’homme universaliste (l’homme est le même partout et en tout temps) et individualiste qui ne reconnaît quasiment plus d’existence (aussi bien réelle que juridique) à ce qui nous transcende (la nation, la famille, la culture, etc.)
Pourtant il s’agirait désormais de retrouver un meilleur équilibre entre droits individuels et droits « collectifs ». Et ce sont donc les droits des sociétés existantes qu’il est nécessaire de défendre. Les cours internationales des droits de l’homme doivent accepter qu’une nation puisse légitimement apporter des limites aux droits de l’homme, par exemple en pratiquant une préférence culturelle. Chaque nation doit ainsi pouvoir promouvoir et défendre librement sa langue, ses mœurs, ses lois, ses croyances et bien sûr ses frontières. Il existe des textes internationaux qui vont dans ce sens (je pense notamment à la déclaration sur les droits des peuples autochtones adoptée le 13 septembre 2007 par l’assemblée générale des Nations unies) mais qui n’a été pour l’instant qu’un coup d’épée dans l’eau.
Breizh-info.com : Comment expliquez-vous par ailleurs qu’il ne se trouve aucun courant politique électoraliste, pas même ceux qui se revendiquent de l’opposition au système, pour vouloir réviser le Code pénal et pour permettre, de nouveau, la différenciation, la discrimination entre les individus ?
Thibault Mercier : Il y a bien longtemps que les partis politiques ne produisent plus d’idées. Pétrifiés par les injonctions du politiquement correct, ils n’osent plus ni innover ni transgresser. C’est donc à l’extérieur des partis qu’il faut aller chercher les idées nouvelles.
Breizh-info.com : Vous vous rendez prochainement au colloque de l’Iliade. Que pensez-vous de cette initiative ? Qu’allez-vous dire à cette occasion ?
Thibault Mercier : Depuis 2014, le colloque Iliade est l’un des plus importants événements des défenseurs de la civilisation européenne. Chaque année il rassemble plus de 1 000 participants désireux d’explorer les pistes du nécessaire réveil de notre civilisation. C’est d’ailleurs bien plus qu’une journée de conférences, c’est un spectacle polyphonique qui comprend également des intermèdes artistiques, des projections de vidéo, de nombreux stands d’artisanat, de musique et de livres, des lieux de rencontres et dédicaces, etc.
À l’heure où nos frontières physiques, mentales et culturelles sont mises à mal, l’Institut a choisi cette année d’œuvrer à la réhabilitation de cet outil fondamental de préservation de notre identité. « Europe : l’heure des frontières » sera donc le thème de cette édition annuelle qui se déroulera le 6 avril à partir de 10 h à la Maison de la Chimie (Paris VIIe).Y participeront notamment Alain de Benoist, Jean-Yves Le Gallou ou encore Vicenzo Sofo (intellectuel de la Ligue du Nord). J’aurais quant à moi le plaisir d’y intervenir sur le thème du « droit des européens à la frontière ».
Propos recueillis par YV
Crédit photos : DR
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