Il est avec Dan ar Braz sans doute l’un des plus grands musiciens des mondes celtes. Carlos Núñez, galicien de naissance et breton de cœur, a découvert la Bretagne à 13 ans au festival interceltique de Lorient. Depuis ce jour, la Bretagne est devenue son paradis. Cela a changé sa vie.
« J’y ai appris que c’était le point central de la musique interceltique. L’interceltisme est une création née en Bretagne. Pour moi, jouer en Bretagne, c’est toujours un évènement, c’est jouer dans le centre du monde celte. » nous dit-il, dans une interview qu’il nous a confiée, à quelques jours de sa venue en tournée, à Rennes, Brest, et Nantes.
Une tournée qui s’annonce riche, diverse, belle musicalement.
12/03 Brest – Alizé (tickets ici)
13/03 Nantes – Cité des Congrès (tickets ici)
14/03 Rennes – Le Liberté (tickets ici)
Entretien avec un amoureux de la Bretagne, du monde celte, et un mordu de musique, un passionné, presque un scientifique de la musique celtique.
Breizh-info.com : Qu’est-ce qui rassemble la Galice et la Bretagne ?
Carlos Núñez : C’est la même philosophie. C’est la même mer qui nous borde. C’est l’esprit ouest, l’esprit Finistère. Nous avons beaucoup de similarités. La Bretagne est en France, la Galice en Espagne. Deux territoires celtes qui appartiennent à d’autres pays. Cela crée une connexion particulière.
Les Bretons ont eu la volonté de mettre un pied à Paris et de dire « La Bretagne existe, nous avons une langue, une culture, une musique ». De la même façon, la Galice a fait de même en Espagne, à Madrid. L’esprit de la Bretagne, comme celui de la Galice, est très ouvert. Nous faisons l’effort pour connecter les choses, les gens. Pour s’ouvrir au monde. Nous sommes une grande famille qui veut rassembler.
C’est un message très important pour l’Humanité, surtout à l’heure actuelle.
Breizh-info.com : Qu’est-ce qui vous a amené à faire de la musique ?
Carlos Núñez : J’ai commencé à l’école, très petit, avec une flûte à bec. Je suis tombé ensuite amoureux de la gaïta, la cornemuse dont l’on joue dans tout le nord de l’Espagne (dans le sud, c’est la guitare). C’est le symbole de la péninsule ibérique, le symbole celte. La gaïta et la flûte à bec étaient mes deux amours. La gaïta, c’est l’amour passionnel. Charnel. La flûte, c’est plutôt un amour platonique. C’est le Ying et le Yang. J’ai tout ce qu’il faut avec ces deux instruments, pour toucher toutes les différentes émotions.
Breizh-info.com : Avez-vous des modèles, des musiciens qui vous ont inspiré ?
Carlos Núñez : J’ai eu des pères musicaux, comme les Chieftains (que j’ai connu à 13 ans, et j’ai tourné avec eux à 18 ans dans le monde entier). Eux aussi, les Chieftains, étaient amoureux de la Bretagne. Ils avaient découvert l’interceltisme ici.
Par ailleurs, mon père a été exilé à Paris à l’époque de Franco, sous la dictature. Il a connu Alan Stivell. Il a découvert la musique celtique avec les Bretons de Paris. Il me l’a faite découvrir ensuite. Alan Stivell a joué un rôle majeur dans l’évolution et la découverte scientifique de la musique celtique. Il fait d’ailleurs partie du nouveau projet musical que je travaille et qui arrive. Il a déjà joué avec nous.
Un autre groupe important pour moi a été l’héritage des Celtes. Cette expérience avec Dan ar Braz, qui m’avait invité à participer. Dans les années 90, j’ai vécu toute cette aventure, toute cette vague celte en France. Je suis toujours très content de retrouver cela.
Lors du concert au Liberté à Rennes, Dan ar Braz sera d’ailleurs notre invité d’honneur.
Breizh-info.com : Pouvez-vous nous parler de vos dates de concert à venir justement, à Rennes, Nantes, Brest ?
Carlos Núñez : C’est magnifique. Je n’ai pas tourné en Bretagne depuis plusieurs années. Ce sont des villes qui ont des personnalités très différentes. Rennes c’est la capitale actuelle de la Bretagne. Brest, c’est la Bretagne de la côte, on y sent le Finistère. Même le caractère des gens y est différent. Nantes, c’est la Bretagne historique ensoleillée. Il y a le port, le côté aventurier vers l’Amérique. Cela ressemble au sud de la Galice. La culture celte, mais mélangée avec un esprit méditerranéen.
J’adore jouer dans ces trois villes. Dans chacun de ces concerts, nous allons explorer des musiques différentes, des invités différents. On va même jouer trois répertoires différents.
Durant ces concerts, nous allons explorer le côté fiesta, célébration. Les gens se reconnectent avec la fête celtique, la Saint Patrick, etc. Mais on va aussi en profiter pour faire voyager le public et pour lui faire découvrir les nouveautés musicales scientifiques apprises dans le monde celte. Nous avons un nouveau groupe qui tourne avec nous avec de jeunes musiciens. Par exemple, une jeune artiste d’Irlande, avec laquelle nous allons explorer les musiques celtes anciennes qui viennent d’être découvertes. Des musiques qui appartiennent à un manuscrit qui s’appelle le manuscrit Ap Huw. C’est la musique celte la plus ancienne. Elle était jouée avec la harpe, avec la lyre bardique (comme la Lyre de Paule).
Il y a quelques années, quand j’ai commencé à jouer, la musique celte était un rêve que l’on faisait. Aujourd’hui, grâce aux recherches scientifiques, nous travaillons sur une réalité historique. Nous avons découvert des partitions qui contiennent de la musique qui aurait pu être parfaitement jouée il y a 2000 ans… C’est une musique qui nous permet de faire un voyage dans le temps. Quelle autre musique peut permettre de voyager comme cela ? Nous allons explorer la musique celtique à travers les âges durant ces concerts. Nous aurons des instruments médiévaux qui ont été reproduits aujourd’hui, grâce à la tradition qui a été perpétuée. Par exemple, le Fiddle irlandais ne vient pas du violon, mais de la Fidula (la Vielle).
La musique celte est une musique vivante aujourd’hui, mais qui a un parcours millénaire qui s’inscrit sur la longue durée. Les archéologues nous ont beaucoup aidés. Il y a eu différentes vagues, différentes révolutions celtes (la vague celte du Moyen-Âge, mais aussi celle du baroque, celle du XIXe, celle des années 80, celle de la fin du XXe siècle…). La musique celtique est revenue à la mode il y a vingt ans. Aujourd’hui, cette vague est retombée, mais c’est important de reconnecter tout cela avec la profondeur historique de cette musique, de cette civilisation.
L’Europe possède 5 mers différentes, avec différents systèmes de communication. L’Atlantique, le monde celte, appelle à des mystères, à des légendes, à un monde, à plus d’imaginaire, que la Méditerranée par exemple et son réalisme. Le monde celte n’est pas un monde fermé, ce n’est pas la fin du monde. Non, pour les Celtes, c’est le centre du monde. On nous a toujours dit que la Méditerranée était le mélange, la fusion, et que l’Atlantique était plus fermé. C’est en réalité l’inverse. L’Atlantique a eu la capacité de celtiser toutes les nouveautés venant de la Méditerranée, mais aussi de la mer du Nord. Le monde celtique a la capacité de faire une synthèse entre les deux extrêmes possibles de l’Europe, c’est-à-dire la Méditerranée et la mer du Nord.
Notre force c’est d’être capable de jumeler tout cela. C’est génial. Nous pouvons être orgueilleux aussi.
Propos recueillis par Yann Vallerie
Crédit photo : http://www.carlos-nunez.com/
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