Pour en finir avec un mythe : la « grande » France de 1932 [L’Agora]

1932 est en effet une année particulière pour notre pays, même si plus personne ou presque ne la voit en 2018 comme une année de gloire dont les Français devraient être fiers. Celui qui oserait passer outre à ce diktat de l’Histoire serait condamné pour fascisme et pour colonialisme sans nuances.

En 1932, l’Empire colonial connaissait sa plus grande extension géographique. Sa superficie était de 12 948 000 km2 (avec la métropole), sa population était de 107 631 000 (dont 41 510 000 métropolitains). Il comprenait les protectorats de Tunisie et du Maroc, l’Algérie, l’Afrique-Occidentale française, l’Afrique-Équatoriale française, Madagascar, les Comores, les Antilles françaises, Saint-Pierre-et-Miquelon, la Guyane, l’Indochine, l’Inde française, le Kouang-Tchéou-Wan (un petit territoire à bail dans le sud de la Chine), la Polynésie française, la Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna, Clipperton. Ces territoires étaient français avant la Première Guerre mondiale.

1932_france

En 1919, se sont rajoutées à ce vaste ensemble les colonies « confisquées » aux Allemands : le Togo, une partie du Cameroun, le Bec de Canard (une partie du Congo Brazzaville cédé en 1911 au Second Reich en échange de sa neutralité dans la conquête du Maroc). Nous avions également sous tutelle le Liban et la Syrie. Cette dernière était divisée en 5 États reliés par une Fédération lâche (République du Hatay, État d’Alep, État de Damas, État du Djebel druze, Territoire des alaouites).

On doit rajouter pour être complet le condominium avec la Grande-Bretagne sur les Nouvelles Hébrides, la concession française de Shangaï qui n’était pas formellement une colonie et Cheik Saïd une péninsule désertique du Yémen qui avait été achetée par un Français et qui a été parfois, mais abusivement, considérée comme une colonie française.

Pourquoi privilégier cette date de 1932 parmi toutes les années comprises en 1919 et 1939 ? Parce qu’à cette date, le Maroc est entièrement conquis et que les combats cessent en Mauritanie. Dans ce dernier pays, un chef rebelle remporte en 1932 une victoire sur une centaine de gardes maures au service de la France, mais il ne l’exploite pas et se replie en territoire espagnol, au Cap Juby. Il sera délogé de son refuge en 1940. De 1932 à 1939, la paix des armes règne partout dans l’empire.

Mais s’il n’y a pas de combat, toutes les colonies sont agitées. En Indochine, les communistes et leurs variantes trotskistes déversent une propagande intense. Ils se présentent aux quelques élections locales qui leur sont ouvertes et rencontrent un certain succès. Par ailleurs, ils songent à l’action armée. De leur côté, les nationalistes vietnamiens complotent et préparent une insurrection qui éclate en 1940 et qui sera écrasée.

La majorité des Libanais et des Syriens aspirent à devenir indépendants. Néanmoins, une minorité de politiciens dans ces deux pays souhaite conserver des liens avec la France, et celle-ci s’appuie sur eux pour prolonger le plus possible les 2 mandats.

En Afrique du Nord, l’agitation nationaliste grandit. On se garde bien de parler d’indépendance totale, on prône plutôt l’indépendance dans l’interdépendance, avec pour première étape l’égalité de représentation entre Européens et indigènes au sein des assemblées locales.  Le combat « anticolonialiste » se double d’un conflit social dans lequel les syndicats « indigènes » jouent un grand rôle.

L’Afrique noire est un peu en retrait. Une forme de conscience politique commence par émerger surtout chez les petits producteurs. Mais, à l’inverse, existent des mouvements qui réclament la fusion, la complète intégration des colonies avec la Métropole. C’est le cas notamment à Madagascar.

Car le statut des « colonisés » n’est pas uniforme. Ceux des territoires sous mandat ou des protectorats ont en principe la nationalité de leur pays qui est distincte de celle de la France. Mais la garde-t-on si on s’installe en Métropole ? C’est le dilemme qui se pose pour un très bon joueur marocain qui est, avec son accord, « nationalisé ». Par quelques côtés, l’empire fusionne avec la France. Les territoires sous mandat et les protectorats ont leurs institutions particulières et ont parfois comme en Tunisie, en Syrie ou au Liban des assemblées élues. Les habitants des colonies proprement dites sont « sujets » français et n’ont pas le droit de vote. Néanmoins, en 1848, ceux qui résidaient dans les territoires sous notre contrôle ont tous reçu à cette époque la nationalité française et l’ont transmise à leurs descendants. Ceux-ci ont le droit d’élire des députés. C’est le cas des Antilles françaises, de Saint-Pierre-et-Miquelon, de la Guyane, des Indes françaises et d’une petite fraction du Sénégal. Mayotte et les îles du Pacifique, pourtant en notre pouvoir à cette époque, n’ont pas été concernées par ces dispositions, car elles étaient à l’époque des protectorats.

1932 est donc « l’apogée » du second empire colonial français. Néanmoins, si l’ensemble présentait bien, la poussière était cachée sous les tapis et cette organisation était déjà dépassée, minée par le racisme, le sentiment de supériorité des colons « blancs » et la rancœur des habitants de ces pays sous le joug.

S’il n’y avait pas eu la Seconde Guerre mondiale (si Hitler avait été renversé par exemple en 1938), l’agonie aurait été bien plus longue. Nous n’aurions pas connu Dien Ben Phu, mais des insurrections en série qui nous auraient amenés, au pire, à baisser petit à petit pavillon, d’abord au Moyen-Orient, puis en Indochine et enfin en Afrique. Au mieux, le bon sens aurait prévalu et on aurait eu à un moment donné une dislocation en douceur de ce gigantesque conglomérat pour le plus grand bénéfice de tous.

Christian De Moliner 

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