« On a soigneusement oublié l’article qui permet de sortir du Traité... » Opportunément rappelé aux médias incultes en pleine crise du Brexit, cet aveu de Jacques Attali, ex-conseiller de François Mitterrand à l’Élysée, parle d’un temps, l’Europe de la fin des années 1980, où se construisait un sombre avenir, celui d’une prison européenne dont la Grande-Bretagne éprouve aujourd’hui la dure réalité carcérale. L’aveu d’Attali, lui, renvoie à une université d’hiver, dite « populaire et participative », réunie à Paris au Théâtre Bajazet le 24 janvier 2011. Il y précisait, dans un français approximatif mais compréhensible [écouter à 11’ 40’’] : « Tous ceux, dont j’ai le privilège d’avoir fait partie, qui ont tenu la plume pour écrire les premières versions du Traité de Maastricht, on s’est bien gardé de faire en sorte que sortir ne soit pas possible. »
Sortir de l’UE ? Pour Jacques Attali c’est le chaos assuré
Suivait immédiatement, dans le discours du consultant de l’ombre, une assertion qui inquiète aujourd’hui la City londonienne ; l’ancien banquier international y prophétisait en effet (rappelons que c’était en 2011) : « Celui qui sort va prendre une perte de pouvoir d’achat de 30/40 %, il ne pourra plus emprunter, il y aura un moratoire sur ses dettes, les banques seront en faillite, ce sera le chaos… » Cette prophétie sera-t-elle auto-réalisatrice ? Certains le craignent, d’autres le souhaitent car Attali ajoutait : « S’il n’y a pas de ministère des Finances de l’Euro, dans dix ans il n’y aura plus d’euro... »
Theresa May, Premier ministre de Sa Majesté restée dans la zone sterling, a rencontré ce mercredi 20 février à Bruxelles le très éthylophile Jean-Claude Juncker, qui porte les destinées des différents pays membres de l’Union Européenne (UE). Il avait la joue gauche balafrée. Accident de rasage ? C’est toujours possible quand la main tremble. Et sa main n’a pas la fermeté de celles de Talleyrand ni de Metternich discutant à Vienne, en 1815, du devenir de l’Europe. Talleyrand avait manœuvré pour conserver des liens entre la France et l’Angleterre, certes une alliance entre frères ennemis, mais pour ce motif garante de la paix en Europe par neutralisation équilibrée de la puissance germanique. Juncker, peu féru d’histoire, aide plutôt à faire de la France l’obligée de l’Allemagne dans la zone euro, ce qui va dans le sens de la Banque européenne, c’est-à-dire des étapes successives du marché unique de 1983, et de la monnaie unique de 2001.
De la première de ces étapes, celle de l’harmonisation des normes, indispensable au marché unique, Attali disait : « Nous savions que ça ne marcherait pas. » De la seconde, qui interdirait toute dévaluation compétitive nationale dans chacun des pays de la zone euro, il assurait : « Nous savions que ça ne suffirait pas… » Dès lors, pourquoi s’y engager ? Par un simple calcul : « Parce que, jamais dans l’histoire de l’humanité, une monnaie n’a existé sans un État. » Reste donc à franchir l’ultime étape de la construction concoctée par Attali et ses copains : l’État européen, celui dont Junker, au sortir du bistro matinal, se fait aujourd’hui le petit télégraphiste.
« Si nous apprenons tous à vivre de boîtes de corned-beef et de pêches au sirop, tout se passera sans heurt. »
De cet État, la Grande-Bretagne ne veut pas, ce qui se comprend. Mais en préparant voilà deux ans leur retrait du complot continental, les descendants d’Albion, fils de Poséidon qui avait, avec Iberius, dieu de l’Irlande, interdit à Hercule l’accès à l’Occident, ont oublié ce qu’ils laisseraient derrière eux : une Irlande en voie de retrouver une frontière interne entre l’Ulster (Belfast) et la République d’Irlande (Dublin). Voilà qui, aujourd’hui, fracture toutes les majorités possibles. Trois députées ex-conservatrices (Tories) ont quitté cette semaine leur groupe aux Communes, pour rejoindre un quarteron d’indépendants comprenant depuis la semaine dernière huit députés ex-travaillistes (Labour). Les onze voix de ce nouveau groupe europhile vont équilibrer les dix voix du groupe europhobe irlandais (DUP), lequel fait et défait les majorités depuis un an. Voilà qui ajoutera à la confusion d’une assemblée aux majorités introuvables.
Mais l’humour anglais, en période de crise, tient toujours bon. Le patron de Tesco, la première des enseignes de supermarchés britanniques, qui importe les deux tiers de ses produits frais, prévoyait cette semaine : « Si nous apprenons tous à vivre de boîtes de corned-beef et de pêches au sirop, tout se passera sans heurt. » En résumé : le blitz, sans doute, mais pas l’estomac vide. Il omettait de citer le riz et les pâtes, qu’il stocke néanmoins avec prudence.
Jean-François Gautier
Crédit photo :DR
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