La presse est malade. Tout le monde est au courant. Les grands responsables : les directeurs, les rédacteurs en chef et les journalistes. Tous s’obstinent à fabriquer un produit qui ne correspond pas à l’attente du lectorat. Et après on s’étonne de la chute des ventes.
Qu’un journaliste entreprenne une enquête critique sur le fonctionnement des journaux, nul ne songerait à s’en plaindre. C’est à ce travail que s’est livré Jérôme Lefilliâtre (Libération, samedi 19 janvier 2019).
Pourtant le lecteur reste sur sa faim car le salarié de Patrick Drahi opère en généraliste. Alors que le métier de rédacteur dans un quotidien parisien n’a rien à voir avec celui d’un confrère opérant dans un hebdomadaire local. Ecrire le « contre-point » de Guillaume Tabard dans Le Figaro ou bien relater une réunion du conseil municipal de Carhaix pour Le Poher, constituent deux exercices bien distincts. Pourtant, dans les deux cas, les journalistes possèdent la même carte de presse…
« Beaucoup de journalistes considèrent que leur rôle est de dire le bien et le mal, comment il faut penser. »
Pour autant, il existe des principes communs à tous les médias. Cofondateur du média d’investigation local Médiacités, Sylvain Morvan résume le problème avec pertinence : « Les journalistes écrivent librement ce qu’ils sont socialement programmés à écrire. » Directrice de Marianne, Natacha Polony, fait preuve de la même sévérité : « Beaucoup de journalistes considèrent que leur rôle est de dire le bien et le mal, comment il faut penser. Les gens ont l’impression d’avoir des curés en face d’eux. » Mais puisque l’actualité a fait le bonheur des chaînes d’information en continu, il était bon de prendre la température de ce côté-là. Pour Nolwenn Le Blevennec, rédactrice en chef de Rue 89 (L’Obs), éditorialistes et chroniqueurs pérorent sur tout et rien : « C’est du bla-bla, du vide, ça meuble en permanence. C’est insupportable. Ça de donne envie de casser la télé. »
« Les liens des journalistes locaux avec les territoires s’effilochent »
La presse bretonne trouve sa place dans cette enquête grâce à Philippe Gestin, maître de conférences à l’université de Rennes et également journaliste au Trégor ; il remarque que le désamour des médias, longtemps cantonné aux journalistes nationaux, s’étend désormais aux locaux. « Les liens des journalistes locaux avec les territoires s’effilochent, le maillage se desserre, nos travaux de recherche le montrent. On traite de moins en moins les petits événements de la vie quotidienne, comme la kermesse d’une association. Les gens voient moins le journaliste du coin. Cette figure disparaît de l’imaginaire, elle n’est plus une référence. Et ça marche dans l’autre sens : il y a des personnes qu’on ne touche plus, qu’on ne voit plus. C’est frappant dans la crise des gilets jaunes : sur les ronds-points, il y a plein de gens que je ne connais pas.»
Propos inquiétants puisque Le Trégor (Publihebdos, groupe Ouest-France) est l’hebdo local le plus important de Bretagne (Diffusion France payée : 16 254 exemplaires en 2017 – soit un recul de 3,08% par rapport à 2016). A partir des observations de Philippe Gestin, on peut s’interroger sur la santé et l’audience des titres qui sont fabriqués avec des bouts de ficelles.
Quant à la question de la censure ou de l’autocensure, on trouve la réponse dans un autre lieu grâce à Natacha Polony. A la lire, l’autocensure « va souvent au-delà de ce qu’exigerait la simple censure. Sur les questions de société, par exemple, un grand nombre de nos confrères sont d’une prudence de Sioux : au moment de la campagne #Metoo, j’ai été frappée par le spectacle consternant donné par des journalistes qui se contorsionnaient pour expliquer qu’ils étaient depuis toujours de fervents féministes et qu’il n’y avait aucun excès dans ce mouvement, alors qu’ils n’en pensaient pas un mot. Je trouve horrible de voir des gens obligés de s’humilier et de mentir en public pour éviter que les confrères ne les regardent de travers. Le pire danger pour un journaliste, c’est au fond d’avoir des amis journalistes. » (Éléments, févier – mars 2019).
77% des gens n’ont pas confiance dans les médias
Pour toute ces raisons – et d’autres -, on comprend pourquoi à la question « Avez-vous confiance dans les médias », seuls 23% des personnes interrogées répondent positivement (Enquête Opinion Way pour le Cevipof, Le Figaro, vendredi 11 janvier 2019). Une autre enquête donne d’aussi mauvais résultats. « Croyez vous que les journalistes sont indépendants, c’est-à-dire qu’ils résistent aux pressions des partis politiques et du pouvoir ? » 69% pour le non et 24% pour le oui (7% NSP). « Croyez vous que les journalistes sont indépendants, c’est-à-dire qu’ils résistent aux pressions de l’argent ? » 62% pour le non et 26% pour le oui (12% NSP) ; ce baromètre de la confiance des Français dans les médias a été réalisé par Kantar Sofres (La Croix, jeudi 24 janvier 2019).
En guise de conclusion, on pourrait reprendre cette phrase de Philippe Bouvard : « Je crois qu’il existe trois formes principales de journalisme ou, si l’on préfère, trois façons d’informer ses contemporains : le journalisme honnête ; le journalisme tendancieux. Le troisième cas de figure va souvent de pair avec le deuxième. » (Le Figaro magazine, 1er octobre 2005).
Bernard Morvan
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