Pour André Murawski, conseiller régional (ex-FN/RN ayant démissionné) des Hauts-de-France, le Rassemblement national (ex Front national), parti de Marine Le Pen n’est pas financièrement bien géré. Ce dernier craint même une éventuelle accession au pouvoir comme il l’indique ci-dessous au travers d’une analyse économique qu’il nous a adressé et que nous reproduisons intégralement pour nos lecteurs.
Le 17 décembre 2018, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a publié les comptes des partis politiques au titre de l’année 2017, année particulière puisqu’elle a été marquée par les élections présidentielles et législatives.
Sachant les déboires que le Rassemblement national (ex Front national) a connus notamment avec le blocage d’une partie de son financement public suite à l’affaire dite « des assistants parlementaires », mais aussi avec la piètre prestation de Madame Le Pen lors du débat qui l’a opposée à Emmanuel Macron et qui a conduit nombre de Français à douter de la capacité de « Marine » à diriger le parti, l’examen des résultats comptables 2017 permet de constater si la direction du Rassemblement national a pris les mesures qui s’imposaient pour faire face à une situation difficile ou si, au contraire, elle a persisté dans une politique de « dépenses élevées et de charges de personnel énormes».
Des produits en augmentation constante
Pour ce qui concerne les recettes, les comptes du Front national présentaient un décrochage sensible entre 2011 et 2012. Cette diminution s’explique par l’importance de produits exceptionnels réalisés en 2011 (plus de 5,5 millions d’euros). A partir de 2012 et jusqu’à 2017, le Front national a vu ses ressources augmenter constamment, avec une croissance plus particulière entre 2012 et 2013 (+ 51,4 %), et entre 2016 et 2017 (+ 21 %). La variation entre 2011 et 2017 montre que les ressources du Front national ont augmenté de plus d’un quart (+ 26,8 %). Ce constat doit toutefois être affiné en raison de l’importance des produits exceptionnels de 2011. En effet, si l’on retire les produits exceptionnels du total des produits, ce total s’élève alors en 2011 à 6 365 179 euros et la variation 2011-2017 montre une augmentation des produits de 136,4 %.
Cette tendance est confirmée si l’on considère non plus la période 2011-2017 mais la période 2012-2017. L’augmentation des produits est alors de presque 142 %, ce qui montre que pendant sept ans, la direction du Front national a bénéficié de moyens toujours plus importants. Il s’agit là du reflet comptable de la politique financière conduite par la direction, mais aussi de la dynamique ascensionnelle que ce parti a connue jusqu’aux élections présidentielles de 2017 passées lesquelles on constate un retournement de tendance pour deux lignes budgétaires significatives : les contributions des élus et les cotisations des adhérents.
Les dons des personnes physiques ont légèrement augmenté en 2017 par rapport à 2016. Cette ressource a crû continuellement à partir de 2014, montrant que le Front national suscitait une certaine confiance, notamment après les progressions enregistrées aux élections cantonales et régionales de 2015, et en prévision des élections présidentielles de 2017. Cependant, on observe que la croissance, forte entre 2014 et 2015 (+ 61 %) et entre 2015 et 2016 (+ 74 %), s’essouffle entre 2016 et 2017 (+ 12 %), soit que les dons ont fort diminué après les élections présidentielles, soit que la capacité du parti à convaincre les donateurs avait atteint ses limites.
Les contributions des élus constituent un double indicateur. Elles traduisent d’une part les résultats obtenus aux élections pour lesquelles les élus exercent un mandat ouvrant droit à indemnité, et d’autre part la volonté de ces élus de contribuer financièrement à la bonne marche du parti. Dans les deux cas, c’est de la capacité à convaincre et à faire adhérer qu’il est question : capacité à convaincre les électeurs, capacité à faire adhérer les élus à un système. L’évolution entre 2011 et 2015, en constante diminution, est caractéristique d’un problème interne : certains élus ne reversent plus soit qu’ils ont quitté le parti, soit qu’ils sont en désaccord ou en rupture avec lui. L’exercice 2016 montre une forte augmentation qui reflète les succès obtenus aux élections cantonales et, surtout, régionales de 2015. 2017 reproduit la tendance à la baisse observée entre 2011 et 2015. Mais la baisse constatée en 2017 par rapport à 2016 est bien plus accentuée (- 14 %) qu’elle ne l’était les années précédentes (- 6 ou – 7 %). L’aptitude du parti à préserver sa cohésion interne et à entretenir la motivation des élus, qui apparaissait clairement insuffisante les années précédentes, a apparemment encore baissé : entre démissions, mises à l’écart et exclusions, c’est la compétence à diriger un parti politique qui trouve là renouvelée sa traduction comptable.
Les cotisations des adhérents représentent une source non négligeable des produits du Front national qui se flatte d’être un parti à forte culture militante. Les comptes 2017 révèlent l’étendue d’un problème que la direction de ce parti a cherché sinon à nier, du moins à minimiser. C’est pourtant un renversement complet de tendance qui se dessine. Ainsi, tandis que le montant des cotisations des adhérents n’avait jamais diminué entre 2011 et 2016, même s’il avait connu en 2014 et en 2016 des paliers qui auraient dû amener les dirigeants à s’interroger, on assiste à un effondrement en 2017 où, pour la première fois depuis sept ans, le produit des adhésions diminue de presque 23 % par rapport à l’année précédente. La contre performance de Madame Le Pen dans la campagne des élections présidentielles et, surtout, lors du débat de l’entre deux tours et la déception qu’elle a fait naître expliquent, probablement, cette désaffection des adhérents dont les comptes 2018 montreront si elle a été enrayée ou si, au contraire, elle s’est poursuivie. Rapportées à l’ensemble des recettes, les cotisations des adhérents, qui représentaient entre 19 % et 25 % des produits entre 2012 et 2016, n’en représentaient plus de 12,3 % en 2017.
L’aide publique directe de l’Etat est la principale source de financement des formations politiques importantes. Elle est déterminée d’une part en fonction du nombre de suffrages recueillis lors des élections à l’assemblée nationale, et d’autre part en fonction du nombre de députés et de sénateurs qui déclarent participer au parti politique. La dynamique ascensionnelle que le Front national a connue entre l’élection de Madame Le Pen à la présidence de ce parti en 2011 et son échec aux élections présidentielles en 2017 a permis une hausse significative du financement public, passé de 1 750 000 euros avant 2013 à environ 5 millions d’euros à compter de cette année. Mais le poids relatif du financement public qui est la seule ressource stable d’une élection législative à une autre, c’est-à-dire, en principe pendant 5 ans, a graduellement diminué si on le rapporte à l’ensemble des produits.
Ainsi, tandis que le financement public représentait près de 59 % des produits en 2013, il en représentait près de 49 % en 2014, près de 46 % en 2015, près de 41 % en 2016 pour tomber à un peu moins de 34 % en 2017 alors que les cotisations des adhérents et les reversements des élus diminuaient sensiblement la même année. Cette situation aurait dû appeler l’attention de la direction du Front national et l’amener à une certaine mesure dans les dépenses. Or, les comptes montrent que c’est le contraire qui s’est passé.
Que l’explosion des dépenses ne permet pas d’équilibrer
Si les produits constatés dans les comptes annuels du Front national ont continuellement augmenté de 2012 à 2017, les charges ont augmenté également, mais dans des proportions bien plus considérables. Ainsi, tandis que la variation des produits entre 2011 et 2017 montre une croissance de + 136,4 % (déduction faite des produits exceptionnels de 2011), la variation des charges entre 2011 et 2017 révèle un envol de + 285 %. Proportionnellement, les dépenses ont donc augmenté beaucoup plus que les recettes, ce qui a conduit le parti à rechercher l’équilibre des comptes en recourant à l’emprunt qui a connu une croissance littéralement exponentielle.
Le poste de propagande et de communication est le seul, peut-être, qui montre une diminution sensible en 2016 par rapport aux années précédentes, sans qu’il soit possible de déterminer si le parti a tenté de maîtriser ses dépenses ou si cette baisse sous-entendait des difficultés financières un an avant les consultations électorales de 2017. Sans surprise, les dépenses ont augmenté de nouveau en 2017, année d’élections présidentielles et législatives.
Après la divulgation par la presse des salaires versés à certains cadres dirigeants du Front national, la question des charges de personnel est particulièrement sensible. Selon le rapport des commissaires aux comptes, le Front national employait 50 salariés en 2017, en équivalent temps plein. En hausse de + 24,4 % en 2017 par rapport à 2016, les charges de personnel se sont élevées à 4 616 189 euros en 2017. Cela représente un salaire moyen de 92 323 euros par an, soit un peu plus de 7 693 euros par mois, charges sociales comprises. Ici encore, les dépenses ont connu une hausse constante depuis 2011, alors que les recettes de cotisations des adhérents et de contributions des élus diminuaient. Rapportées à l’aide de l’Etat qui est la principale source de financement du parti, les charges de personnel qui atteignaient 52,5 % du financement public en 2013, ont représenté chaque année une part plus importante de ce financement pour atteindre près de 91% du financement public en 2017. Si le Front national était une collectivité et le financement public l’équivalent de la dotation globale de fonctionnement, on pourrait affirmer que le Front national est très mal géré, et que ses marges de manœuvre sont quasiment nulles.
La ligne budgétaire portant sur les autres charges externes, qui comprennent entre autres les déplacements, voyages et frais de bouche également pointés du doigt par une certaine presse, présente elle aussi une variation quasi exponentielle. + 230 % en 2017 par rapport à 2011. La plus forte augmentation est survenue à hauteur de 44,3 % entre 2016 et 2017. Cette ligne comprend aussi les loyers et l’on songe à la location des locaux accueillant le PC de campagne de Madame Le Pen pendant les présidentielles. Dans ce dernier cas, le parti semble avoir recherché un prestige dont il n’avait pas forcément les moyens, pour une influence sur le vote des Français somme toute plutôt limitée.
Autre poste de dépense significatif : les charges financières. Pour la première fois après six ans, leur montant, qui n’a cessé de croître chaque année, dépasse ce qu’il était en 2011 au début de la présidence de Madame Le Pen. L’accroissement entre 2016 et 2017 est de + 133,6 %.
Et qui aggravent le résultat déficitaire et l’endettement
Les comptes du Front national sous la présidence de Madame Le Pen présentent la caractéristique d’avoir toujours été déficitaires, exception faite de l’exercice 2011 où 5,5 millions d’euros de produits exceptionnels sont venus augmenter les recettes de façon significative. En particulier, l’année 2017 est caractéristique dans la mesure où jamais le déficit n’a été aussi élevé pendant cette période de sept ans. Si les produits ont régulièrement augmenté, les charges ont augmenté bien davantage ce qui amène à s’interroger sur les principes qui ont guidé la direction du Front national dans la gestion du parti au quotidien, mais aussi dans sa projection dans l’avenir si l’on considère le niveau de l’endettement, lui aussi en hausse presque constante chaque année (avec un tassement en 2016).
Un des principes communément admis en comptabilité est le principe de prudence, qui commande de ne pas dépenser au-delà du raisonnable, de ne pas s’endetter jusqu’à la limite de ses capacités de remboursement et de provisionner pour les risques prévisibles. En 2017, les emprunts du Front national ont atteint près du double de ce qu’ils étaient en 2016.
Dans ses engagements présidentiels, Madame Le Pen promettait de « remettre de l’ordre dans nos finances publiques par la fin des mauvaises dépenses . » Cet engagement, répertorié sous le numéro 43, était pratiquement le seul qui évoquait une bonne utilisation des deniers publics. La question de l’orthodoxie budgétaire fondée sur l’équilibre n’apparaissait pas.
Est-ce la raison pour laquelle la gestion du Front national a présenté chaque année un déficit de 2012 à 2017 ? Est-ce la raison pour laquelle les emprunts du Front national sont passés de 2 741 000 euros en 2011 à 24 256 000 euros en 2017 ? Une variation de + 785 % en sept ans alors que le financement public ne variait que de + 176,5 % !
La question de la dette appelle d’autres interrogations. Le Front national, devenu Rassemblement national, pourra-t-il honorer l’engagement connu sous le nom « d’emprunt russe » qui doit être intégralement remboursé en septembre 2019 et si oui, avec quelles conséquences sur son fonctionnement ? Surtout, le montant des prêts consentis par des personnes physiques s’élevait à 12 615 430 euros. Un des créanciers a été remboursé dans les trois premiers mois de l’année 2018 pour un prêt de 7 700 000 euros. Le parti a indiqué que des prêts pour un montant total de 4 331 580 euros ont été consentis par 561 personnes, à des taux d’intérêt compris entre 3 et 5 % pour une durée d’un an. Toujours au nombre de ses promesses, l’engagement présidentiel numéro 48 de Madame Le Pen visait à « imposer à l’Etat et aux collectivités territoriales le respect des délais de paiement. »
Dans leur rapport sur les comptes d’ensemble 2017 du Rassemblement national, les Commissaires aux comptes indiquent « la volonté d’assurer la pérennité du mouvement notamment en maîtrisant ses coûts, en remboursant les dettes contractées et en réglant les fournisseurs en retard, cela le plus rapidement possible . » Des coûts non maîtrisés, des dettes, des impayés… Comment croire vu ce constat que le Rassemblement national, ex Front national, a été bien géré pendant toute la présidence de Madame Le Pen ? Comment croire surtout qu’une personne dont la gestion n’a pas été satisfaisante à la tête d’un parti politique gèrerait correctement tout un pays dont les finances publiques sont en crise ? Il est à craindre, en vérité, que là comme ailleurs, le remède serait pire que le mal.
André Murawski
Ancien membre du FN. Conseiller régional Hauts-de-France
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Une réponse à “Le Rassemblement national est-il un bon gestionnaire d’argent ?”
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