Nous avons évoqué le 30 janvier les 45 ans de la dissolution du FLB, Front de Libération de la Bretagne, par le ministre de l’époque, M. Marcellin. Une dissolution qui avait eu l’effet inverse de celui recherché, provoquant la révolte et l’augmentation des attentats contre des bâtiments publics durant des années.
Derrière le FLB, organisation clandestine de Bretagne qui a fait « rêver » beaucoup de jeunes bretons révoltés à l’époque (et même après), une poignée de militants clandestins au regard de la population bretonne. Mais un soutien considérable dans tout le pays en raison notamment du fait que le mouvement se refusait à faire couler le sang, ce qui n’était pas le cas à l’époque de l’IRA, ou de l’ETA.
Serge Rojinsky (voir le journal combat breton de 1979) faisait partie de cette armée bretonne de l’ombre. Une appartenance qu’il a payée de sa personne, puisque le 25 juillet 1978, aux côtés de Jean-Marie Villeneuve, Jean-Paul Daniel, Patrick Keltz et Georges Jouin, ils furent condamnés par la Cour de sûreté de l’État à des peines allant de cinq ans à huit ans de réclusion criminelle (le Monde du 27 juillet 1978). Ces cinq militants étaient poursuivis pour treize attentats par explosifs, pour vols d’explosifs dans des carrières, détention et transport d’explosifs, d’armes et de munitions et reconstitution de ligue dissoute, en l’occurrence le F.L.B.-A.R.B. (Front de libération de la Bretagne-Armée révolutionnaire bretonne).
Presque quarante ans après cette lutte au service de la Bretagne — une lutte clandestine qui a forcé l’État à négocier avec les organisations culturelles et politiques bretonnes, notamment sur les panneaux bilingues, l’enseignement de la langue bretonne, la décentralisation — nous avons retrouvé et interrogé Serge Rojinsky, toujours militant, au service de la Bretagne, mais plus seulement. Il nous parle de son engagement, de la situation à l’époque, de l’actualité.
Un témoignage pour l’histoire.
Breizh-info.com : Pourquoi vous êtes-vous engagé dans le FLB ?
Serge Rojinsky : Tout jeune, j’ai développé un grand intérêt pour la Bretagne et sa culture. Cela s’explique par le fait que ma mère était bretonne du Léon et que mes grands-parents étaient bretonnants de naissance.
J’ai donc commencé par me passionner pour la langue bretonne (que j’ai apprise), puis pour la musique avant d’étudier son histoire. J’ai fréquenté Ker-Vreizh quand j’habitais encore la région parisienne. Puis, dès que je suis revenu m’installer en Bretagne, j’ai pris contact avec les milieux autonomistes et séparatistes (ah ! les mauvaises fréquentations…!). Leur discours correspondait tout à fait avec mon sentiment, à savoir que la Bretagne avait son identité niée par le centralisme jacobin et qu’il appartenait aux Bretons de prendre leur destin en main. J’ajouterais qu’outre mon activité politique, je participais à la promotion de la culture bretonne en faisant notamment du collectage musical (pour Dastum) et en chantant dans les festou-noz.
Pour résumer : un mélange d’une grande part de romantisme (les chouans, la révolution irlandaise, etc.) et un goût très marqué pour l’action !
J’ajouterais que dès 1969 et la première vague d’arrestations des militants du premier FLB, j’ai commencé à prendre une part active aux manifestations de soutien. Avec d’autres camarades, nous avons complètement occupé les défilés du premier Festival des Cornemuses qui se tenait à Brest : tracts, slogans, poings levés devant la tribune officielle, bagarres avec les flics, le tout en costumes bretons… Ce qui fait (paraît-il) que la municipalité brestoise a refusé de renouveler l’expérience, et le festival a été repris par Lorient pour se transformer en Festival Interceltique !
À la même époque, De Gaulle est venu à Brest, et, devant la mairie, accompagné d’un seul camarade, je me suis bagarré avec le service d’ordre, avec pour toute arme un parapluie sur lequel était accroché un petit fanion Gwenn ha Du ! J’ai réussi à approcher de De Gaulle et à lui cracher (!) sur l’épaule aux cris de « FLB Liberté » ! Oui, je sais, ce n’est pas très glorieux, mais il fallait bien que quelqu’un le fasse, non ? Par ailleurs, il s’agit d’un autre temps et les services d’ordre actuels rendraient la chose plus compliquée !
Breizh-info.com : Quelle était la situation en Bretagne à l’époque ? Étiez-vous soutenu par la population ?
Serge Rojinsky : Pour ce qui est de la situation de la Bretagne à l’époque, rien à voir avec l’époque actuelle. L’enclavement de la Bretagne était encore plus criant qu’aujourd’hui, le train Paris — Brest mettait encore 7 heures, un réseau routier très défectueux, une situation économique compliquée entre sous-équipement et apparition paradoxale d’un développement spectaculaire du secteur agroalimentaire. Avec tout cela s’est développé un sentiment de frustration chez beaucoup de Bretons qui s’est concrétisé notamment par la création du M.O.B (Mouvement pour l’organisation de la Bretagne).
Cela créait donc un terreau favorable à l’apparition d’un mouvement plus combatif. Du coup, sans sombrer dans un optimisme aveugle, un courant de sympathie est apparu, notamment dans les jeunes générations, envers nos actions. Notre lutte contre le remembrement sauvage nous a amené un certain soutien (parfois actif) dans le monde paysan.
Il ne faut pas pour autant sombrer dans la mythomanie et s’imaginer que le FLB représentait une armée ! Les membres actifs n’ont (d’après moi) jamais atteint la centaine. Cependant, il y eut un assez grand nombre de « petites mains » et de complicités discrètes. L’état d’esprit nous était favorable. Quand Glenmor entonnait le « Kan Bale an ARB », les spectateurs entraient en transe et beaucoup se rêvaient en combattants clandestins !
Longtemps après, j’ai rencontré des baltringues, qui me confiaient à mi-voix qu’ils avaient siégé au Kuzul Meur ! D’après leur nombre, le Kuzul Meur (où j’étais !) devait se réunir dans un stade ! Pour reprendre la chanson d’Édith Piaf, « Non, rien de rien, non, je ne regrette rien ! » et même si maintenant « l’âge de Monsieur est avancé » j’étais et je reste un partisan !
Breizh-info.com : Avez-vous une ou des anecdotes à nous raconter ?
Serge Rojinsky : Se souvenir d’éléments de plus de 40 ans, entre mémoire vieillissante et habitude du secret, c’est pas évident ! Je vais quand même essayer . La première fois que j’ai manié de la dynamite (gomme F15 pour les connaisseurs!) , c’était lors d’un cours de formation dans l’arrière- salle d’un bistrot de campagne en Cornouaille.
Je fus pris de violents maux de tête que j’attribuais au souper que nous avions consommé : des oeufs au plat cuits dans un beurre un peu trop noir . Avec les camarades qui m’accompagnaient, et qui souffraient aussi, par la suite, nous n’avons pas cessé de maudire la malheureuse cuisinière ! Ce n’est qu’au bout d’un certain temps que nous avons compris que la seule responsable était la nitroglycérine qui suintait de façon invisible de certains bâtons ! Par la suite j’ai toujours mis des gants !
Breizh-info.com : 45 ans après, si c’était à refaire ? Comment a évolué la société bretonne selon vous ?
Serge Rojinsky : La Bretagne et surtout le monde ont beaucoup changé et les enjeux qui nous menacent rendent le seul combat pour la Bretagne dépassé. Il serait trop long (et déprimant !) de les énumérer : immigration, catastrophes écologiques, etc. Il n’en reste pas moins vrai que des Bonnets rouges aux Gilets jaunes la lutte continue !
Propos recueillis par Yann Vallerie
Crédit photos : DR
[cc] Breizh-info.com, 2019, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine