Afin de définir sa politique de défense et de sécurité, chaque État, qui répond aux intérêts de chaque nation, doit avoir une vision claire des menaces auxquelles il est confronté. Il devra alors les analyser dans le détail pour envisager les parades qu’il peut leur apporter. La menace principale de la France et de l’Europe aujourd’hui est la menace du terrorisme islamique qu’on devrait plutôt appeler terrorisme takfiri, du nom arabe « takfiri » qui désigne ceux qui accusent les autres, y compris les musulmans, juifs, chrétiens ou athées, de non-croyance en Dieu, venant du verbe kafara : devenir incroyant, d’où koufar ou kafar, incroyant, suivant la prononciation latine.
Il apparaîtra alors aux responsables de la politique de sécurité que leur action doit être coordonnée avec celles des Etats qui sont menacés par les mêmes attaques terroristes aveugles et sanglantes frappant les civils, les femmes et les enfants innocents et avec celle des États dont sont originaires ces flux. Un Etat ne peut pas se contenter de renforcer seulement ses frontières car, d’une part, les flux migratoires peuvent les traverser assez facilement et, d’autre part, une partie des terroristes potentiels sont déjà dans les populations endogènes à nombreux pays européens.
Le terrorisme takfiri est une menace commune à toute l’Europe, au Moyen-Orient et à beaucoup de pays asiatiques, menace désormais prioritaire. Son caractère multiforme, ses sources internationales et son terrain d’action ne s’arrêtant à aucune frontière, nécessite pour y faire face une coopération entre les États qui en subissent les attaques et en premier lieu une coopération des services de renseignement et de police.
En effet, il faut d’abord déceler les réseaux terroristes et connaître leurs modus operandi pour les combattre efficacement et essayer de déjouer avant leurs réalisations les attaques en préparation.
Pour définir une politique de défense et de sécurité nationale cohérente, et envisager des échanges d’informations avec d’autres États, il est important de définir d’abord clairement quelles sont ces menaces. C’est un point fondamental qui n’est pas toujours compris, notamment par les stratèges occidentaux qui font souvent des amalgames ou des confusions entre les différentes sources du terrorisme et, même, confondent les véritables soutiens des terroristes, qu’ils soient à l’évidence étatiques ou seulement des hybrides d’États qui se cachent derrière des organisations non gouvernementales (ONG) ou des organisations para-étatiques.
Nous savons aujourd’hui parfaitement, à la lumière des évènements d’Afghanistan, d’Irak et de Syrie, que le terrorisme takfiri a été initié pour des objectifs stratégiques par les États-Unis et ses alliés musulmans, notamment les monarchies du Golfe : on peut tracer un lien entre la création d’Al Qaïda contre les Soviétiques en Afghanistan et ses métamorphoses en Al Nosra, DAESH et autres nombreuses organisations aux financements multiples mais aux objectifs communs.
Dans un entretien pendant sa campagne présidentielle, le candidat Donald Trump avait été clair à cet égard, reprochant aux précédentes administrations de G.W. Bush et Barack Obama d’avoir assassiné Saddam Hussein et Khadafi et d’avoir voulu chasser du pouvoir Bachar el Assad, installant le terrorisme et le chaos là où l’ordre régnait et où l’islam restait cantonné dans son rôle séculier. Il semble qu’il veuille sagement mettre un terme à cette situation, au grand mécontentement de « l’État profond » américain, qui fera tout pour retarder la mise en œuvre de cette décision présidentielle.
Comme il avait commencé son mandat sous les pressions de complotistes mécontents que les citoyens américains l’aient porté au pouvoir, il a dû lâcher du lest en plusieurs occasions, chaque fois qu’il manifestait l’intention d’appliquer sa stratégie de désengagement. Sans doute sera-t-il obligé encore de retarder un peu le retrait de ses troupes mais ce retrait reste néanmoins inéluctable.
On se souvient de son voyage dans le Golfe en juin suivant son intronisation, au cours duquel il incitait les alliés traditionnels des États-Unis à réunir leurs forces pour lutter contre le terrorisme, accusant l’Iran d’en être la source pour plaire aux monarques du Golfe, alors qu’il ne pouvait pas ignorer que la République islamique d’Iran est justement en première ligne pour combattre ce terrorisme qui trouve sa source, ses financements et ses soutiens, sous diverses formes et différentes obédiences chez ses amis arabes et israéliens.
Il y avait là une telle incohérence de raisonnement qu’un esprit averti décelait immédiatement dans les déclarations de ce chef d’État manifestement intelligent et retors, un objectif stratégique non formulé, qui ne répondait qu’au besoin de l’argent des riches monarchies et au soutien d’Israël, devenu de facto leur allié.
Depuis ces danses du sabre à Riyad, en peu de temps les équilibres internationaux au Moyen-Orient ont changé : en Irak, en Syrie grâce à l’aide militaire apportée au gouvernement de Damas par l’Iran et la Russie, dans la péninsule avec un jeune monarque séoudien inconséquent ostracisant le Qatar et le rapprochant de ce fait de la Turquie, de l’Iran et du Pakistan, déclenchant une guerre catastrophique au Yémen qui lui inflige un échec militaire cuisant et enfin, assassinant au consulat d’Istambul le journaliste Jamal Kashoggi du Washington Post, dans des conditions tellement barbares qu’il ne devrait pas se relever de ce geste qui démontre son incompétence et une brutalité déjà avérée.
Une conséquence du changement des rapports de force dans la région pourrait être une adaptation pragmatique à cette nouvelle réalité de la part d’un Président américain qui a montré sa clarté de vues en plusieurs occasions, et qui équilibrerait ses relations non seulement avec la Russie mais aussi avec l’Iran qui a montré sa résilience face aux sanctions et surtout grâce à ses puissants alliés qui se sont rapprochés de lui : non seulement la Russie avec qui il se coordonne militairement et politiquement en Syrie, partageant avec elle l’intérêt de rétablir ce pays d’inspiration baathiste laïque à sa juste place dans la région, mais aussi avec la Turquie, le Qatar et d’autres États arabes dont certains font maintenant le voyage de Damas pour reconnaître leur erreur. L’Iran se trouve renforcé au moment même où les alliés arabes et turc des États-Unis s’éloignent d’une Arabie Séoudite décidément en perte d’audience, au moment aussi où le pétrole de son sous-sol a perdu de son importance. Le réalisme du Président Trump pourrait l’amener à progressivement montrer qu’il a fait fausse route vis-à-vis d’un pays qu’il aurait tout à gagner à ne plus antagoniser.
Terrorisme et relations internationales
Ce long préambule de géopolitique était indispensable pour envisager comment les États peuvent coopérer pour lutter contre le terrorisme takfiri. En effet, si comme l’a dit le Président Donald Trump, le terrorisme est né des interventions américaines au Moyen-Orient, il a pris des formes différentes dans ses sources, son financement et ses doctrines.
Les rivalités entre Qatar et Arabie Séoudite ont créé des différences entre les islamistes wahabites séoudiens sans véritable doctrine qui ne contestent pas vraiment la monarchie des Séoud et ceux du Qatar qui sont d’inspiration de l’Ikwan, les Frères Musulmans qui ont une doctrine bien établie depuis Sayyed Kotb, hostile aux monarchies du Golfe. Les deux se rejoignent pour admettre que le jihad contre les athées ou les autres croyances est une nécessité absolue et encouragent les actions les plus sanglantes contre les forces qui n’admettent pas leur doctrine, y compris les civils innocents.
Les uns comme les autres, financés par les riches particuliers, ou les États du Golfe, ont les moyens de recruter des combattants et de les équiper des matériels militaires les plus modernes, mais aussi de payer des imams qui prêchent leur doctrine sommaire dans des mosquées pour propager leurs idées et recruter des adeptes de la violence aveugle contre les impies. Ces mosquées implantées depuis longtemps parfois, dans le monde arabe, en Afrique, en Asie et de plus en plus en Europe endoctrinent facilement des populations mal ou pas intégrées dans les sociétés.
Ces volontaires pour le jihad prêts à mourir pour leur cause sont les agents utiles des stratégies de renversement des régimes dans le monde auxquels sont opposés les monarchies absolutistes du Golfe.
Une conséquence du changement des rapports de force dans la région pourrait être une adaptation pragmatique à cette nouvelle réalité de la part d’un Président américain qui a montré sa clarté de vues en plusieurs occasions, et qui équilibrerait ses relations non seulement avec la Russie mais aussi avec l’Iran qui a montré sa résilience face aux sanctions et surtout qu’il a des alliés puissants qui se sont rapprochés de lui : non seulement la Russie avec qui il se coordonne militairement et politiquement en Syrie, partageant avec elle l’intérêt de rétablir ce pays d’inspiration baathiste laïque à sa juste place dans la région, mais aussi avec la Turquie, le Qatar et d’autres états arabes dont certains font maintenant le voyage de Damas pour reconnaître leur erreur.
Coopération internationale
Pour s’opposer à ces menaces ainsi définies, il faut une coopération entre les États qui y font face et l’idéal serait que les Etats du Golfe qui finançaient les groupes terroristes jusqu’à présent prennent les mesures indispensables pour leur couper les vivres. Si les États-Unis ont vraiment cessé de tirer parti de ces forces terroristes pour atteindre leurs objectifs géopolitiques, les pays du Golfe devraient comprendre que leur intérêt est désormais de participer à leur éradication.
La menace étant clairement définie, aux États qui lui font face de s’organiser pour coopérer dans ce combat.
Cette coopération doit commencer par les échanges d’informations entre les services de sécurité car c’est en amont qu’il faut déceler la préparation des attentats terroristes.
A cet égard, la France, l’UE et les pays européens devraient rapidement renouer les relations diplomatiques avec la Syrie, après avoir supprimé les sanctions qu’ils lui appliquent, démarche indispensable pour reprendre des échanges fructueux entre services de renseignement car ils sont les mieux renseignés sur la mouvance jihadiste, et notamment sur les Français qui s’y trouvent ou s’y trouvaient.
Cette coopération avec la Syrie, l’Irak, la Turquie, l’Iran est indispensable à l’élaboration d’une stratégie efficace contre le terrorisme, et aussi, avec l’Afghanistan, le Pakistan, la Russie et les pays caucasiens par où transitent ces porteurs de mort qui les menacent également.
En Europe, il existe déjà des organismes communs de coopération dépendant de l’UE, mais la coopération peut, et doit, dépasser les seuls états européens pour concerner les pays d’où sont issues les vagues de migrants qui, évidemment, incluent des terroristes et que je viens de mentionner.
L’Union Européenne n’est pas une force politique et se trouve bien fragilisée par les désaccords de plus en plus nombreux entre la politique technocratique de Bruxelles et les exigences marquées des pays membres exprimant leur mécontentement par des votes hostiles à l’UE, en accord avec leurs opinions publiques. Son poids dans le règlement des conflits, notamment ceux du Moyen-Orient est quasiment nul. Elle n’a aucune influence dans la question syrienne, de même qu’en Irak, en Afghanistan, en Turquie ou ailleurs. D’ailleurs, les responsables des puissances qui comptent ne perdent pas leur temps à faire le voyage de Bruxelles, mais traitent directement avec les états membres, en bilatéral.
Quant à la France, elle a perdu tout crédit sur ces sujets depuis qu’elle s’est engagée du côté des terroristes en Syrie où nous continuons à mener une politique aberrante pour renverser un Président Bachar el Assad qui a renforcé son prestige par la magnifique résistance de son peuple et de son armée qu’il a dirigée, avec l’aide de ses alliés russes et iraniens, contre le terrorisme takfiri international. Tout cela pour avoir fait le choix catastrophique de nous mettre dans le sillage des États-Unis et de ses affidés du Golfe. Au moment du retrait américain annoncé et où les États arabes, qui étaient les plus engagés pour renverser le Président syrien, se rendent désormais plus ou moins discrètement à Canossa, c’est-à-dire à Damas cette fois, pour envisager de reprendre des relations avec le pays qu’ils ont tenté de détruire en alimentant une myriade de terroristes islamiques, le gouvernement français devrait rapidement sortir de sa bulle idéologique démentie par les faits pour revenir aux réalités du terrain.
Conclusion
La menace terroriste est une menace endogène aux pays européens, comme la France, qui ont des populations pas ou mal assimilées. Elle ne disparaîtra pas avec la probable destruction prochaine de DAESH au Moyen-Orient, la haine de l’Occident subsistera de manière latente ou violente tant que les États n’auront pas pris de mesures sérieuses face aux migrations sauvages qui amplifient cette fracture des sociétés. Il n’y a plus besoin d’une ordre d’un émir islamiste de DAESH ou d’Al Qaïda pour que des individus en marge de la société passent à l’acte. Il n’y a pas d’organigramme des organisations terroristes islamiques que nos services de renseignement pourraient découvrir, même si des cellules dormantes prêtes à passer à l’action existent et qu’ils doivent les repérer, mais de nombreux candidats au suicide pouvant décider de leur propre chef de tuer des citoyens en mourant eux-mêmes, par haine d’une société dans laquelle ils ne veulent ou ne peuvent s’intégrer. A cet égard, le Pacte de Marrakech proposé par l’ONU pour inciter les nations à accueillir les migrants est un vœu pieux très dangereux car ce n’est pas ainsi qu’on peut tarir les flots de migrants, et c’est plutôt les inciter à se lancer dans leurs équipées périlleuses. En revanche, aider les pays d’origine à garder leurs citoyens est une œuvre indispensable, en les formant et en développant des projets utiles à leur développement, en coopération avec les agences de l’ONU et celles de l’UE.
Pour le reste, il s’agit avant tout de coopération de renseignement et de police à développer, coopération qui ne nécessite pas d’intégration fédérale ou d’abandon de souveraineté à un quelconque organisme centralisé, mais la mise en place de cellules d’échanges permanents et de mécanismes de protection contre les menaces terroristes. L’Iran qui a montré une résistance efficace aux attaques terroristes inspirées par les pays qui lui sont hostiles, et à l’ostracisme que les États-Unis ont déclenché contre lui, devrait être un partenaire privilégié de la France et de l’UE, d’autant plus que cet ostracisme les touche aussi. Ensemble, en unifiant nos efforts, nous pourrons convaincre le Président Trump que son hostilité envers l’Iran est contre-productive, au moment où de plus en plus de pays affirment leur solidarité et leur coopération avec la République Islamique d’Iran, et que ses alliés du Golfe sont de plus en plus déconsidérés.
La lutte contre le terrorisme passe aussi par un autre type de relations internationales où le respect des différences, la justice et la coopération internationale remplaceront les attitudes coercitives qui ont montré leurs déplorables effets et leur vacuité. Les différends entre les nations peuvent et doivent se régler par la discussion diplomatique et non par des guerres ou des parties de bras de fer qui font souffrir trop d’innocents.
Alain Corvez
Texte de la conférence internationale sur « Les politiques de Défense et de Sécurité communes ; approches coopératives » organisée le 7 janvier par le Centre RAAD d’Etudes Stratégiques et l’Université de la Défense Nationale iranienne »
Source : Iveris
Photo : DR