Le traitement par Le Télégramme de la crise des Gilets jaunes apparaît médiocre. Pourtant le quotidien de Morlaix a la réputation de privilégier la proximité – donc son lectorat existant et potentiel. Mais ce n’est pas la préoccupation première d’Hubert Coudurier : il préfère les généraux aux Gilets jaunes.
A coup sûr, il existe plusieurs façons de traiter un sujet aussi riche que celui des Gilets jaunes. On peut pratiquer le « service minimum » en se bornant à évoquer l’installation des baraques, leur démolition par les forces de l’ordre (Pen-ar-C’hleuz et Spernot à Brest) et les opérations escargot, sans chercher à en savoir davantage. Ainsi les lecteurs et les intéressés ne pourront pas reprocher au journal d’occulter la question.
Mais pour un rédacteur en chef soucieux de dynamiser son produit et conscient d’avoir affaire à de l’exceptionnel, il y a là moyen de sortir de la routine ; il lui sera facile de commander à ses troupes portraits, interviews, tranches de vie… Ce que permet une actualité haute en couleur et portée par des acteurs nouveaux. Le lecteur appréciera. Et rien n’interdit de donner, en même temps, la parole à ceux qui voient négativement l’action des Gilets jaunes. D’autres lecteurs applaudiront. Ainsi tout le monde est content et ça donne du tonus au canard.
Les leaders bretons des Gilets jaunes ignorés
Il semble qu’au Télégramme, on ait choisi la première voie. Sauf erreur de notre part, les leaders bretons n’ont eu droit à aucune attention particulière de la part de la rédaction ; on les ignore. Dans la partie « France », on se contente de publier des analyses très générales de la situation qui ressemblent fort à des dépêches d’agence ; il y est question d’Éric Drouet, de Priscillia Ludosky et de Christophe Chalençon, « figure des Gilets jaunes dans le Vaucluse », mais ni de Jacline Mouraud (Bohal), ni de Maxime Nicolle (Saint-Brieuc), des leaders bretons.
Certes la formule présente un avantage : pas de vagues, pas de contestation à l’échelon local. Mais les rédacteurs ratent l’occasion de placer leur signature en bas de papiers offrant du piquant, voire du pittoresque.
Pourtant Le Télégramme avait la réputation d’être plus proche de ses lecteurs que ne l’est Ouest-France. Comment expliquer cette défaillance ? Volonté de la direction de ne pas déplaire à la « firme » (préfet, élus, grands patrons) ? Manque d’ardeur à la tâche des journalistes ? Il faut lire ces propos de David Le Solliec, maire de Gourin, pour comprendre que Le Télégramme est passé à côté de beaucoup de choses : « Sur les ronds-points, il y avait des gens de tous bords, c’était le peuple au complet qui était là ; des personnes qui parlaient de leurs mêmes difficultés et voulaient trouver des solutions ensemble. Ça a été un moment d’échanges. Ce sont des gens touchants, sincères, qui galèrent et qui décident d’y aller pour tout le monde, de rester dans le froid, sous la pluie » (Le Poher, 9 janvier 2019).
Le général Pierre de Villiers a droit aux honneurs du Télégramme
Quant à l’éventuel argument « il n’y a pas de place », il n’est pas recevable. En effet, en « der », trouvent place des entretiens avec des personnages divers et variés. Un seul inconvénient : ce sont rarement des Bretons, donc l’intérêt pour la chose est très limité. Un exemple récent avec le général Pierre de Villiers à qui Hubert Coudurier, directeur de l’information du Télégramme, sert la soupe (samedi 22 décembre 2018).
Devenu un businessman, le général – fric, après avoir quitté le service actif, a monté une société de conseil en stratégie et collabore à l’Association pour le progrès du management (APM) et au Boston consulting group (BCG). Autant dire qu’il travaille pour les Américains. Si le BCG a recruté un général français, ce n’est pas pour faire la guerre, mais pour son carnet d’adresses. « En France, un très haut fonctionnaire qui a terminé sa carrière au plus haut sommet de l’État, et a partagé nos plus grands secrets techniques et militaires, peut se mettre au service d’un cabinet de conseil américain, dont l’une des vocations est de répandre et de diffuser dans les entreprises du monde entier les modèles de « gouvernance » mondialisés et les normes techniques, financières, morales du capitalisme américain » (Éléments, juin-juillet 2018). Incontestablement M. Coudurier a fait le bon choix !
S’il était encore aux affaires, Charles de Gaulle appliquerait probablement à Pierre de Villiers ces phrases qu’il destinait aux généraux Salan, Jouhaud et Massu le 5 juillet 1958 : « Les généraux, au fond, me détestent. Je le leur rends bien. Tous des cons (…) Des crétins uniquement préoccupés de leur avancement, de leurs décorations et de leur confort, qui n’ont rien compris et ne comprendront jamais rien. » (Pierre Viansson-Ponté, Lettre ouverte aux hommes politiques, Paris, Albin Michel, page 18).
A coup sûr, Hubert Coudurier gagnerait à méditer les enseignements de la dernière enquête du CEVIPOF (Science PO). A la question « Avez-vous confiance dans chacune des organisations suivante ? », on trouve en queue de peloton les partis politiques – seulement 9% des personnes interrogées leur font confiance. Puis les réseaux sociaux avec 13%. Et les médias avec 27%. Alors que les hôpitaux font la course en tête avec 78% de confiance. (Étude Opinionway, Le Figaro, vendredi 11 janvier 2019). Voilà un résultat qui devrait animer les prochaines conférences de rédaction du Télégramme.
Bernard Morvan
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