Il y a cent ans, en janvier 1919, paraissait le premier numéro du journal Breiz Atao sous l’impulsion de Morvan Marchal. Immensément ambitieux pour la Bretagne, Marchal, 18 ans à l’époque, assigne un but plus modeste à son « petit organe uniquement créé et rédigé par des jeunes », ainsi qu’il présente Breiz Atao dans l’éditorial du premier numéro.
Breiz Atao est alors le journal du Groupe régionaliste breton (GRB), bien peu de chose à l’époque en comparaison de ses aînées, l’Union régionaliste bretonne et la Fédération régionaliste bretonne. De nationalisme et de séparatisme, il n’est pas question à cet instant. « C’est justement parce que nous sommes bons Français que nous sommes régionalistes », écrit Marchal dans son premier éditorial, « parce que nous craignons que l’excès, l’abus de centralisation ne cause […] la dissociation de cet ensemble merveilleux qui forme notre patrie Française. »
Mais on ne contient pas si aisément une idée dont le temps est venu : dès 1920, avec l’arrivée de Debeauvais, Mordrel et Bricler, les positions du journal se durcissent. Entre régionalisme et séparatisme, fédéralisme et autonomisme, sa ligne politique sera, disons, plurielle. Un thème, en revanche, fera toujours l’unanimité de ses collaborateurs : la Bretagne n’est pas un régime politique mais une culture et un peuple, qui doivent être protégés et défendus. D’où la création d’un supplément culturel en langue bretonne, vite devenu une revue à part entière, Gwalarn.
Point Godwin à la bretonne
Creuset de la pensée politique bretonne, Breiz Atao se fait l’écho des débats européens de l’entre-deux-guerres, avec la particularité de s’intéresser toujours aux peuples plus qu’aux États. Une ligne aux conséquences lourdes puisqu’elle l’amène par exemple à critiquer les constructions multiethniques artificielles du traité de Versailles, comme la Tchécoslovaquie. L’originalité de ses positions, honnies et caricaturées par la droite nationaliste germanophobe et par la gauche internationaliste soviétophile, lui vaudront de marquer l’histoire d’une image forte, en grande partie fausse, largement réductrice mais assurément répulsive : en Bretagne, aujourd’hui, le point Godwin s’appelle souvent Breiz Atao.
« Lis donc ce qu’écrivait Breiz Atao pendant la guerre », me lançait un jour une militante d’extrême-gauche en guise d’argument définitif contre le nationalisme breton. Cette intellectuelle avait si bien lu Breiz Atao qu’elle ignorait qu’il avait publié son dernier numéro le 27 août 1939, une semaine avant que la France et la Grande-Bretagne ne déclarent la guerre à l’Allemagne ! Breiz Atao n’a rien écrit du tout pendant la guerre, mais ce raccourci mensonger était quand même un hommage involontaire au « petit organe » fondé il y a cent ans.
L’ignorance en la matière est devenue encore moins excusable depuis la publication en 2017, chez Yoran embanner, du magistral Breiz Atao – Anthologie 1919-1939 établi par Yannig Ar Bouter (1). Cet ouvrage imposant (576 pages au format 32×24 cm) reproduit le texte des articles majeurs parus dans Breiz Atao de 1919 à 1939 ainsi que des photographies originales des acteurs de cette aventure intellectuelle.
E.F.
(1) Breiz Atao ‑ anthologie 1919-1939, par Yannig Ar Bouter, , 2017. 75 euros. Disponible auprès de l’éditeur, Yoran Embanner, 71 hent Mespiolet, 29170 Fouesnant. Commandes en ligne : https://www.yoran-embanner.com/histoire/437-breiz-atao.html
Crédit photo : extrait d’une Une de Breiz Atao, domaine public, Wikipedia
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