Question : pourquoi la sortie d’un nouveau roman de Michel Houellebecq est-elle toujours un évènement ? Réponse possible : parce que l’écrivain a le don inimitable de capter l’ambiance de l’époque. Une capacité exceptionnelle à insérer son récit dans le zeitgeist, dans l’esprit du temps.
Lire Plateforme sur une plage de République dominicaine, Soumission au moment de l’attentat de Charlie Hebdo, Sérotonine en pleine révolte des Gilets jaunes, voilà une expérience rare. Car un roman de Houellebecq, c’est l’exact contraire du « roman d’évasion ». Avec lui, on est plongé dans l’époque, on fait corps avec elle, on s’en imprègne. Le récit houellebecquien vous prend, vous enserre, vous enveloppe, vous plonge dans la réalité du temps. Pas celle de la mondialisation heureuse – l’autre, la face cachée, celle qui sort du bois par les temps qui courent. Alors, pessimiste, noir, désespérant, Houellebecq ? On laissera au lecteur le soin d’en juger.
Ingénieur agronome (comme l’auteur), Florent-Claude Labrouste, le narrateur de Sérotonine, est sans illusion. Ni sur lui, ni sur la France qu’il parcourt, avec son agriculture qui se meurt, ses villes déshumanisées, ses traditions qui se perdent, ses commerces qui disparaissent. On est là au cœur de la France périphérique, celle des loosers de la mondialisation.
Après une carrière commencée chez Monsanto, notre héros va se retrouver au ministère de l’Agriculture pour étudier des secteurs d’avance condamnés par la politique de l’Union européenne – qu’il s’agisse des producteurs d’abricots du Roussillon ou des producteurs de fromages de Normandie. C’est dans cette région qu’il retrouvera Aymeric d’Harcourt, un ami de jeunesse qui, contre vents et marées, a choisi de devenir producteur de lait sur le domaine familial. A l’époque des quotas laitiers, mission impossible pour cet aristocrate qui, révolté, finira sur un carrefour, face aux CRS…
Et les femmes ? Il en a connu plusieurs. Elles sont sorties de sa vie. « J’aurais pu rendre une femme heureuse. Enfin deux : j’ai dit lesquelles. Tout était clair, extrêmement clair, dès le début ; mais nous n’en avons pas tenu compte. Avons nous cédé à des illusions de liberté individuelle, de vie ouverte, d’infini des possibles ? Cela se peut, ces idées étaient dans l’esprit du temps ; nous ne les avons pas formalisées, nous n’en n’avions pas le goût : nous nous sommes contentés de nous y conformer, de nous laisser détruire par elles ; et puis, très longtemps, d’en souffrir. »
Larguant les amarres, Labrouste choisit de disparaître, d’en finir avec une vie qui n’a plus de sens. En toute lucidité. « Les hommes ne s’étaient nullement ligués contre moi ; il y avait eu simplement qu’il n’y avait rien eu, que mon adhérence au monde, d’entrée de jeu limitée, était peu à peu devenue nulle, jusqu’à ce que plus rien ne puisse interrompre le glissement. ». Minutieusement, méthodiquement, stoïquement, Labrouste va préparer sa fin…
Sérotonine ? Sans doute le plus grand roman de Houellebecq. A lire de toute urgence. Avec une réserve : dépressifs s’abstenir…
PLG
Sérotonine, de Michel Houellebecq, éd. Flammarion, 348 pages, 22 €.
Crédit photo : Breizh-info.com
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