Les Gilets jaunes ont osé bloquer Ouest-France à l’imprimerie de la Chevrolière (Loire-Atlantique). La direction « a mandaté son avocat pour déposer plainte ». Cela sera-t-il suffisant pour remonter les ventes et redynamiser le produit ?
Les Gilets jaunes sont vaches. Sans pitié ils sont. Ne faisant aucun cadeau aux entreprises qui souffrent. Un exemple : en dix ans, Ouest-France a vu sa diffusion totale/jour reculer de 100 000 exemplaires (793 790 en 2007 et 685 096 en 2017). Pendant la même période, la diffusion totale/jour de Presse Océan est passée de 48 002 à 28 488, soit une perte de près de 20 000 exemplaires. Ce sont donc deux grands malades qu’il convient de ménager.
Or que font les Gilets jaunes ? Au lieu de donner un coup de main pour relancer la vente, ils sabotent la diffusion de ces titres. Mercredi 26 décembre, à partir de 23h30, ils ont bloqué l’imprimerie du groupe Ouest-France située à La Chevrolière (sud de Nantes). Si bien que 180 000 exemplaires, datés jeudi 27, de Ouest-France (éditions de Vendée et de Loire-Atlantique), de Presse Océan et du Courrier de l’Ouest (édition Deux-Sèvres) « bien qu’imprimés, n’ont pu quitter le site et être diffusés, à l’exception de quelques milliers d’exemplaires chargés dans quatre camionnettes « (Ouest-France, vendredi 28 décembre 2018).
Il s’agissait de manifestants « mécontents de la couverture du mouvement par nos titres, déplorant que certains Gilets jaunes aient pu être taxés d’antisémitisme suite aux incidents survenus le week-end » des 22 – 23 décembre, précise le groupe (Presse Océan, vendredi 28 décembre 2018).
La direction de Ouest-France pourrait se souvenir que, de temps en temps, à l’occasion de grèves et blocages organisés par le Syndicat du livre, le quotidien ne parait pas. Et sur l’ensemble de sa zone de diffusion ; ce qui entraîne un préjudice d’une autre importance. Bizarrement, dans ces circonstances, la direction n’envisage pas de « mandater son avocat pour déposer plainte ».
Or, « la vie est un combat » disait de Gaulle. Par conséquent, dans les périodes troublées, que tel ou tel groupe cherche à instaurer un rapport de force qui lui soit favorable n’a rien de nouveau. Tout le monde cherche à influencer le débat dans un sens qui convient à ses idées : c’est la vie démocratique. Exercice que pratique dans ses éditoriaux Jeanne Emmanuelle Hutin.
Quand François Chrétien, rédacteur en chef de Ouest-France pour la Loire-Atlantique, souligne que son journal a consacré au mouvement « des dizaines et des dizaine d’articles », il oublie de préciser qu’il n’a fait que son métier qui consiste à vendre du « papier » ; il est payé pour cela. Et dans le monde capitaliste dans lequel nous évoluons, l’information est une marchandise comme une autre. Comme l’actualité chaude pousse les ventes, Chrétien devrait au contraire remercier les Gilets jaunes pour leur action bénéfique en faveur de la presse : ils créent l’évènement et donnent du grain à moudre à des journalistes souvent peu inspirés. En 2019, la créativité n’est plus une qualité professionnelle !
En même temps, dirait Macron, Ouest-France consacrait « des dizaines et des dizaines d’articles » aux « migrants » qui ses sont installés à Nantes. Autre actualité chaude. Chrétien et son équipe ont fait leur travail. Mais le lecteur a le droit de s’interroger après la lecture d’un billet d’une surface inhabituelle signé « Sarah Boucault, journaliste à la rédaction de Nantes » (Ouest-France, Loire-Atlantique, 29-30 décembre 2018). Là le quotidien a fait fort : publication en page départementale, sur 4 colonnes, 68 lignes, 2 intertitres et, pour que les états d’âme de la dame Boucault n’échappent à personne, un dessin sur trois colonnes. En effet un dessin attire l’œil du lecteur. Quant à la légende, elle résume le positionnement politique de la journaliste : « Au cœur du square Daviais, les migrants souffrent du froid, du manque d’hygiène et d’une dignité bafouée ».
Si la dame Boucault s’était intéressée aux Gilets jaunes – ses compatriotes – et leur avait rendu visite sur les barrages, elle aurait pu écrire la même chose : « Les Gilets jaunes souffrent du froid, du manque d’hygiène et d’une dignité bafouée ». Mais la moraliste préfère réserver ses pleurnicheries aux étrangers… elle ignore les Bretons.
Commercialement parlant, il n’est peut-être pas habile pour la dame Boucault de souligne sa « honte » (sic) après sa visite au square Daviais. C’est ce que le rédacteur en chef aurait gagné à lui expliquer. Car les lecteurs sont d’abord des clients. Or « 62% des Bretons ont une opinion négative de l’action menée par la France en matière d’immigration et 58% estiment que l’Union européenne devrait faire preuve de plus de fermeté au sujet de l’accueil des migrants ».
Mais ce n’est pas tout : « A la question « La France accueille-t-elle trop de migrants ? », 60% des Bretons répondent « oui ». Autre question : l’immigration est-elle une thématique qui va compter dans leur vote aux élections européennes de mai 2019 ? « 72% des Bretons répondent « oui », un score au dessus de la moyenne nationale (69%) » (Sondage BVA, Le Télégramme, 19 décembre 2018).
Certes la dame Boucault a une excuse : cette enquête commandée par la presse régionale n’a pas été publiée dans Ouest-France. Elle n’était donc pas censée savoir… Comme le dit si bien François Chrétien, le quotidien de Chantepie est « indépendant » et fait preuve de variété en matière d’« approches ». Sauf pour les sujets qui sont tabous aux yeux de la direction d’Ouest-France. L’immigration en est un.
Bernard Morvan
Crédit photo : Jean-Paul Corlin/Wikipedia (cc)
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