Le choix d’un propriétaire-récoltant fait encore partie des vieilles lunes de l’amateur de vin se voulant attentif à l’achat d’un vin probe, scrupuleusement vinifié dans le cadre d’une petite propriété viticole. À la peinture idyllique du propriétaire récoltant, éthique par nature, s’opposerait ainsi les inavouables tripatouillages des grands négoces, cyniques assembleurs de vins aux origines obscures…
La complexité structurelle du monde du vin pousse de fait l’acheteur à céder un peu trop facilement au manichéisme ambiant, en repoussant de manière arbitraire et systématique, tout vin dont la capsule fiscale est marquée du « N » de négociant .
Pourtant, l’application de cette lecture dans le monde du champagne aurait pour triste conséquence de voir l’amateur se priver de la fine fleur de la production champenoise, placée sous le sceau des grandes maisons de négoce, portant le statut de négociant -manipulant.
Le champagne est une affaire de grand capital et aucun vin dans le monde ne concentre autant d’investissement en temps d’immobilisation qu’un champagne dont le raffinement découle avant tout du temps passé sur lattes au contact des lies.
Le vieillissement peut se prolonger jusqu’à 10 ans pour les cuvées les plus prestigieuses. À ce jeu de l’affinage au long cours, aucun vigneron n’est en mesure de venir contrarier la puissance des grandes maisons champenoises en termes de capacité de stockage et de temps consacré au mûrissement des vins.
Reste alors pour le vigneron (récoltant-manipulant) la possibilité de se démarquer sur une conception plus créative du champagne, notamment par la mise en valeur de produits moins standardisés et moins stéréotypés .La percée récente des champagnes de vignerons a permis sans conteste de renouveler le champagne à la fois sur des vins davantage influencés par l’empreinte du terroir mais aussi qui renouent avec d’anciens cépages oubliés. Finalement, encore une fois, l’enjeu est moins de dresser le champagne de négoce contre celui du vigneron, que de comprendre les différences d’approche, aux origines d’une diversité de style passionnante.
Champagnes de négociants, l’option des petites maisons familiales
Une bonne partie de la production des grandes maisons champenoises souffre d’un dangereux nivellement inhérent à la production en grande série, conçue pour répondre à une demande mondiale. Le « brut sans année » constitue le fer de lance d’un style de champagne régulier dans ses caractéristiques, se devant de refléter avant toute chose, la ligne propre à chaque maison. Malheureusement, ce n’est évidemment pas à travers cette production de masse qu’il est possible d’atteindre les formes les plus exaltantes de champagne. Cette facette ennuyeuse est celle qui s’offre à la portée du grand public, sur une échelle de prix entre 15 et 25 euros, par sa médiocrité et son manque d’originalité. Ce segment a beaucoup à craindre des méthodes traditionnelles étrangères (cava espagnol, franciacorta italien , seck allemand) moins onéreuses et non dénuées de caractère.
Pour trouver des champagnes plus personnels, il faut se tourner vers les petites maisons ou des petites coopératives dont les volumes raisonnables aident à garder une expertise artisanale sur l’ensemble de la production.
Gosset et Ayala incarnent à merveille cet idéal de la petite maison champenoise animée par une rigueur sans pareille, appliquée sur l’ensemble de leur gamme. L’excellence transparaît dans chaque cuvée, y compris le brut sans année (Grande réserve pour Gosset et brut majeur pour Ayala) avec l’obtention d’un degré de raffinement très élevé sur les cuvées porte-drapeau (les millésimés notamment .
Les maisons restées sous gouvernance familiale se trouvent plus particulièrement dans l’Aube, sur le terroir marginal de la côte-des-Bars intégré à la Champagne viticole après la révolte de 1910. Parmi elles : Drappier, Devaux, Fleury, offrent des champagnes rigoureux, pourvus d’un caractère affirmé à des prix très sages. Certaines petites coopératives à l’esprit haute-couture ne doivent pas non plus être négligées. Au premier rang d’entre elles, Mailly grand Cru, une des meilleures coopératives de France, qui sait défendre avec classe et ambition, le statut de grand cru reconnu aux terroirs du village de Mailly.
La maison Palmer et ses 300 adhérents démontre aussi qu’il est possible de concilier croissance (3 millions de cols) et maintien d’une vraie qualité. Ses champagnes riches et généreux sont devenus plus épurés avec le temps et le niveau d’ensemble impressionne : du brut classique déjà très élégant (25€) à la fameuse cuvée Amazone, en passant par les nombreux millésimés dont les caves regorgent…
Champagnes de vignerons, la recherche du terroir
Depuis moins d’une décennie, les vignerons de champagnes se sont taillés une place non négligeable et font désormais de l’ombre à la toute-puissance des grandes maisons champenoises. Certains à l’image d’Anselme Selosse se sont élevés au rang d’icône avec des champagnes hors de prix, adulés par les meilleurs spécialistes.
Dans le sillage de Selosse, le champagne nature (sans soufre) a fait florès en comptant des réussites diverses et contrastées mais aussi en consacrant des noms de vignerons respectés pour l’originalité et l’extrême pureté de leurs champagnes (Franck Pascal, Francis Boulard, Tarlant etc..).
Bien que plus versatiles dans leur évolution, avec un risque d’oxydation prématurée très présent, les champagnes sans soufre impulsés par ces vignerons parviennent à délivrer une expression plus radicale du terroir. Cette orientation fonde sans doute la grande séparation avec les champagnes académiques signés par les grandes maisons. En laissant une fin de bouche directe et authentique qui trace sur l’expression de ses origines (comme on a l’habitude de le dire dans l’Aube), le champagne de vigneron apporte un plaisir bien différent.
Généralement, les meilleurs vignerons font montre d’une vraie créativité qui a contribué à réveiller le traditionalisme des maisons champenoises. Une émulation créative prend forme au travers d’élevages en « solera » en poussant de plus belle la complexité de certains champagnes et passe aussi par la redécouverte des vieux cépages champenois. L’arbane, le pinot blanc vrai, le petit meslier, ont ainsi été remis à l’honneur au sein de cuvées spécifiques capables de déporter l’esthétique du champagne vers de nouveaux registres aromatiques.
Pour l’exemple, les cuvées consacrées au pinot blanc se distinguent par leur penchant à explorer des nuances de notes d’agrume assez inédites dans le champagne, habituellement assis sur son registre fermentaire (notes briochées).
Mais le champagne de vigneron sait aussi cultiver le classicisme et peut faire jeu égal en matière d’élégance avec le style des grandes maisons à des prix bien plus doux. Les remarquables champagnes de Pierre Péters au Mesnil-sur-Oger (Côte des Blancs) réalisent pour l’amateur de champagne la parfaite synthèse entre un champagne typé par le terroir propre à l’approche terrienne du vigneron, avec la maîtrise d’un long vieillissement sur lies qui est du savoir-faire des maisons.
Raphno
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