Un réveillon à l’économie ?
Dans le ton du contexte actuel, marqué par l’esprit Calimero propre aux Gilets jaunes, l’émission CAPITAL sur M6 consacrait dernièrement un sujet à la conception d’un menu bon marché pour le réveillon. Un traitement parfaitement édifiant qui possède au moins le mérite de remonter aux racines du mal.
En France, l’enjeu d’une alimentation saine réside moins dans possibilité de remplir son réfrigérateur de mauvaises victuailles conçues par notre puissante industrie agroalimentaire, que de savoir acheter avec discernement des produits frais de qualité, à prix raisonnable. La vraie misère n’a jamais été économique, sa véritable nature se niche dans l’ignorance et l’inculture et aucune amélioration du pouvoir d’achat n’empêchera les benêts de la société de consommation, de continuer à se jeter sur les menus Tricatel, concoctés par les traiteurs industriels affiliés à la grande distribution.
L’avenir de la gastronomie française passe par le retour des cours de cuisine à l’école
Seule l’édification culinaire des populations, devant se traduire par le retour des cours de cuisine à l’école, peut encore laisser un dernier salut à une nation en passe de perdre son statut de phare de la gastronomie. Avec la métropolisation de notre territoire, une grande partie de nos concitoyens s’est éloignée d’une ruralité offrant un environnement propice à l’éveil culinaire. Ce monde que nous avons perdu constituait pourtant un vecteur essentiel à l’apprentissage des produits agricoles, en favorisant une lente imprégnation des anciennes générations dans l’assimilation du vieux fonds de recettes traditionnelles issu des cuisines régionales. La défaillance de la cuisine familiale se relie à cette mutation socio-territoriale qui ne se comblera pas sans le recours à un réapprentissage de fond instigué par l’école.
Chaque année, les médias se plaisent à solliciter un grand chef pour concocter un menu des fêtes à moins de 10 euros par personne. Effectivement, le savoir-cuisiner constitue la meilleure source d’économie, car sous condition de transformer des produits bruts de qualité, elle permet de se soustraire au prêt à l’emploi calorifique de la tambouille agro-industrielle. En la matière, rien de bien sorcier, l’ utilisation judicieuse des auxiliaires de cuisine de qualité suffit à magnifier une simple salade : à commencer par le poivre de Sichuan écrasée au pilon , une huile d’assaisonnement originale comme l’huile d’amande ou de pistache, un bon vinaigre balsamique, des herbes aromatiques comme la ciboulette, l’aneth, autant de petits investissements susceptibles d’embellir la cuisine du quotidien.
Troquer le saumon fumé pour de la truite fumée moins chère ? Une triste alternative
Dans l’émission Capital, il était question de troquer le saumon fumé pour de la truite fumée moins chère, une triste alternative pour deux médiocres produits de fumaison en provenance d’élevages intensifs. Le plus simple serait sans doute de bannir une bonne fois pour toute ces deux-trompe-l’œil gastronomiques gavés d’antibiotiques, et de les substituer par des fruits de mer offrant une meilleure traçabilité. Parmi les grands oubliés, les couteaux, préparés avec un beurre persillé et aillé, saupoudrés de chapelure et passés au grill du four, ce mollusque révèlera sa chair fine et gouteuse.
Encore selon l’émission Capital, le champagne aurait définitivement trouvé son challenger à travers le crémant. Là aussi, il ne faut pas s’y tromper et considérer tout de même que seuls les crémants élevés sur latte pendant une période minimale de 36 mois seront à même de procurer le raffinement des bulles champenoises. De quoi refroidir l’acheteur d’un crémant à moins de 10 € !
Ne pas transiger sur la qualité et la fraîcheur de produits encore largement à portée de bourse
Au lieu d’envisager ce moment de fête sous un angle strictement gestionnaire, il paraît bien plus opportun de ne pas transiger sur la qualité et la fraîcheur de produits encore largement à portée de bourse quand ils sont achetés au bon moment.
Comme toujours en matière budgétaire, il s’agit de savoir élever certaines priorités sur des dépenses superfétatoires telles un week-end à Disneyland. L’heure est ainsi au rappel d’une impitoyable vérité martelée par l’académicien déchu Abel Bonnard dans les années 30, malheureusement encore toujours actuelle :
« Si tant de nos contemporains doivent se réfugier dans le désert d’un régime, cela ne tient pas seulement à la faiblesse de leur santé ; c’est qu’ils ont souffert les attentats d’une mauvaise cuisine, pleine de fraudes et d’infamies, dans des endroits où on leur en promettait une bonne. »
De l’accord mets et vins selon Curnonsky
Vins de cuisine…
S’agissant de la question des vins, nous vous invitons à rester clairvoyant en ne tenant pas pour argent comptant les prescriptions à l’emporte-pièce dont les revues de cuisine se sont faites une spécialité .Celles qui vous presse d’allonger votre sauce ou de déglacer votre poêle : tantôt au vin de Paille (au prix de la bouteille de 37.5 cl !), tantôt au Sancerre ou au Chablis et même au Gevrey-Chambertin. À l’exception du vin jaune pour la fameuse poularde (qui soit dit en passant peut être remplacé par un autre vin de voile comme le Xérès fino moins onéreux), aucun vin ne parvient à préserver ses qualités et ses caractéristiques originelles sous les effets de l’évaporation et d’une prise de chaleur par le feu de la cuisson ! Son empreinte aromatique loin d’être inutile, reste toutefois bien limitée et l’illusion de prêter aux qualités du vin versé dans la cuisine, une importance démesurée ? demeure une vraie naïveté. Si l’apport d’un nom prestigieux de vin donne du cachet à l’intitulé de la recette, elle n’ennoblit aucunement le plat !
Célébrer la diversité de nos vignobles.
Quant à l’accord mets et vins, celui-ci ne revêt au fond que peu d’importance et doit savoir garder la place d’une préoccupation subsidiaire, au regard de la somme de connaissances qu’exige une solide culture du vin.
Ainsi doit être compris le texte de Curnonsky écrit dans la revue Art et Médecine de juin 1933, quand « le prince des gastronomes » désavoue le long et fastidieux ordonnancement académique d’un menu d’apparat. Au diable, les grands crus classés et autres vins de haut pedigree dispendieux, éclusés dans un enchaînement effréné comme à l’occasion de ce banquet ou il fut contraint de boire plus de 27 vins !!! Selon Curnonsky le grand vin ne saurait réaliser l’idéal de la Gastronomie car rien « n’est plus fatigant qu’un grand repas arrosé de trop de grands vins ».
Vouloir déboucher plus de 3 grands vins lors du même repas ? C’est sans compter sur le fameux effet prison qui éclipse à coup sûr l’un des 3 élus promis à la dégustation. Curnonsky oppose d’ailleurs à la surabondance, la mesure de deux grands vins qui « suffisent amplement à la parure et au charme d’un bon repas »
En guise de piste de réflexion pour le choix des vins de votre réveillon, restez fidèle à l’esprit de Curnonsky en laissant le faste des grandes étiquettes du Saint-Emilion et du Pomerol pour privilégier leurs appellations satellites : Puisseguin Saint-Emilion, Lussac Saint-Emilion Lalande-Pomerol, côtes-de-Castillon. Les grands propriétaires ne s’y trompent pas (Hubert de Boüard d’Angelus, Famille Bécot de Beau-Séjour Bécot) en investissant dans ces terroirs de premier choix encore trop méconnus du grand public.
Roc de Bécot 2015, Puisseguin Saint-Emilion, 11€ environ.
Redoutablement concentré, campé sur une matière ferme mais déjà onctueuse, ce Puisseguin Saint-Emilion chapeauté par la famille Bécot (1er grand cru classé) possède la stature de ses grands rivaux du Plateau.
Château de Francs, les cerisiers, 10€ environ.
Cette propriété d’un niveau remarquable, très en vue pour son rapport qualité-prix a été fondée à l’initiative de deux grands propriétaires de Saint-Émilion. Elle propose un modèle de bordeaux plein et corsé (12 mois d’élevage en fût de chêne) dont l’élégance ne cède ne rien au niveau d’excellence que l’on trouve à Saint-Emilion.
Bon réveillon !
Raphno
Crédit photos : DR
[cc] Breizh-info.com, 2018, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine