Guirec Morvan nous adresse un nouveau texte à propos de l’indépendance d’Arkea (CMB). N’hésitez pas à nous envoyer vos textes sur [email protected].
En plus des emplois et de l’avenir du groupe, Jean-Pierre Denis, le patron du Crédit Mutuel Arkéa, risque l’épargne de près de 3 millions de Français dans le cadre de son projet d’indépendance.
Sourd à tout signal d’alerte, Jean-Pierre Denis continue de militer pour l’indépendance d’Arkéa. Depuis le début de l’année, les personnalités se sont succédé pour avertir le patron du Crédit Mutuel breton que son projet ne tenait pas la route : l’ancien ministre socialiste Michel Sapin, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, et même la Banque centrale européenne (BCE), qui a évoqué de « fortes incertitudes » à son sujet. Jusqu’aux agences de notation, qui menacent d’abaisser la note financière du Crédit Mutuel Arkéa — Standard & Poor’s ayant placé la banque sous « surveillance négative ». Pas de quoi alarmer Jean-Pierre Denis qui poursuit son chemin.
En se séparant de sa maison-mère, la Confédération nationale du Crédit Mutuel (CNCM), le groupe breton tirerait un trait sur son statut mutualiste. Une fois l’indépendance actée, seule la société anonyme Arkéa pourrait réaliser des activités bancaires, les caisses locales, qui perdraient leur agrément bancaire, devenant alors de simples sociétés coopératives. Pour la CNCM, la perte du statut mutualiste « emporte la disparition des caisses locales de Crédit Mutuel qui seront réduites à de simples holdings d’une banque coopérative centralisée ». Centralisation, au passage, que Jean-Pierre Denis « refusait » en 2017. Loin d’être innocent, ce changement inquiète les syndicats de la filiale bretonne, qui s’interrogent notamment sur le pouvoir qu’il resterait alors aux administrateurs.
Non content de perdre l’une des marques bancaires les plus fortes et, surtout, la plus appréciée des Français, Jean-Pierre Denis devrait également dire adieu aux circuits de financements et de coopération pour les caisses locales que lui octroyait le Crédit Mutuel. Pire : le compte en banque d’Arkéa pourrait très rapidement s’alléger, puisqu’en cas de rupture, la CNCM devrait lui réclamer une « rétrocession » d’1 milliard d’euros environ — si ce n’est plus. Ce qui amène régulièrement les syndicats bretons à s’interroger sur le « devenir économique et social du groupe », qu’ils jugent incertain. Sachant que derrière, les premiers à trinquer seront les salariés.
En avril dernier, Roger Le Bris, retraité d’Arkéa et ancien membre du syndicat CFDT — qui bénéficie peut-être d’une plus grande liberté de parole —, estimait ainsi clairement qu’« on ne peut pas défendre ce projet de scission au nom de l’emploi. […] L’opération de Jean-Pierre Denis […] est un véritable enfumage ; sous couvert de défense de l’emploi, totalement irréaliste, nous sommes en situation d’un pillage financier hors normes ».
Enrichissement personnel
Un « hold-up », pour le dire autrement, qui pourrait également affecter près de 3 millions d’épargnants. Outre les nombreuses start-up dans lesquelles a investi Arkéa — qui risquent de facto elles aussi de devoir payer, de quelque manière que ce soit, l’addition de l’indépendance —, le groupe breton compte comme filiale Suravenir, l’un des principaux acteurs du monde de l’assurance-vie et de la prévoyance en France.
Avec un portefeuille d’1,3 million de contrats pour la première branche et 1,6 million pour la seconde, ce sont donc 2,9 millions de Français qui se demandent ce que deviendra leur argent. Ces derniers n’ayant sans doute pas envie de voir leur banque mutualiste se changer en établissement bancaire, au sens libéral du terme, ni la spéculation et la concurrence grappiller leur épargne. Car c’est, selon toute vraisemblance, ce que Jean-Pierre Denis — à qui l’on prête d’ailleurs des velléités d’enrichissement personnel — s’apprête à faire du Crédit Mutuel Arkéa. Or, pour jouer dans la cour des grands, il faut en avoir les moyens.
C’est d’ailleurs ce que redoutent plusieurs spécialistes, au premier rang desquels les agences de notation, qui estiment qu’Arkéa serait sans défense une fois sortie du giron Crédit Mutuel. Avec, dans la poche, une dégradation de sa note et un milliard d’euros à « rétrocéder » à la CNCM, pas sûr que le groupe breton puisse par exemple affronter une crise financière, de plus en plus probable selon certains économistes. D’où « le maintien de l’unité » conseillé par Christian Noyer, ancien gouverneur de la banque centrale française, chargé de rédiger un rapport sur le sujet. Le mutualisme étant, pour rappel, « un remède contre la crise », selon l’économiste Jean-Hervé Lorenzi.
Guirec Morvan
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