Chaque période connaît sa rhétorique. Et il y a les mots à la mode. En haut lieu, on parle d’éléments de langage. C’est ainsi que Florian Bachelier refuse qu’on lui dise qu’il est « déconnecté », mais revendique la « société civile » et la « vraie vie ». Tout en oubliant d’indiquer que l’actuelle Assemblée nationale est la plus élitiste et la moins représentative de toute l’histoire de la Ve République.
Aux élections législatives de juin 2017, l’élection de Sandrine Le Feur (LREM), 26 ans, dans la circonscription de Morlaix avait été remarquée. Paysanne bio à Pleyber-Christ, elle avait rectifié au second tour un professionnel de la politique, Maël de Calan, qui se préparait depuis belle lurette à devenir député.
Très organisé, ce dernier avait mis deux cartes dans son jeu : d’un côté il se présentait avec l’enseigne Les Républicains, de l’autre, il avait clairement marqué son appartenance à une droite ouverte « prête à travailler avec Macron ». Mais cela ne fut pas suffisant pour pouvoir s’installer au Palais-Bourbon (52,14%/47,86%).
Sandrine Le Feur, une exception parmi les 34 députés LREM et MoDem de Bretagne
A coup sûr, Sandrine Le Feur fait figure d’exception, parmi les 34 députés LREM et MoDem de Bretagne. Elle seule peut prétendre appartenir aux classes populaires. Vendre des fromages sur les marchés, elle en connaît les avantages et les inconvénients.
Ce qui n’est pas le cas de Florian bachelier, député de Rennes-Saint-Jacques et premier questeur à l’Assemblée nationale. Oeuvrant dans la « vie civile » dans un important cabinet d’avocats de Rennes, il ne joue pas dans la même cour que Mme Le Feur. Donc, lorsqu’il déclare : « La grande majorité des députés de la République en marche viennent de la société civile et savent ce qu’est la vraie vie… » (Ouest-France, Ille-et-Vilaine, 08-09 décembre 2018), on peut accepter le premier point, mais contester le second pour une grande partie des députés marcheurs – et en particulier pour le citoyen Bachelier.
L’ Assemblée nationale la plus élitiste et la moins représentative de la Ve République
C’est ce qu’explique Jean-Claude Michéa dans son dernier ouvrage Le Loup dans la bergerie (Climats). Pour lui, « les élections législatives de juin 2017 représentent un véritable cas d’école. Tous les médias officiels, on s’en souvient, avaient alors célébré avec enthousiasme le fait que la nouvelle Assemblée nationale était « de loin la plus féminine de toute l’histoire ». Les femmes y représentaient en effet, avec 224 députées, 38,82% du nouveau corps législatif. Le pourcentage d’élues atteignait même 46,45% au sein du groupe de la République en marche. Certains de ces médias n’avaient d’ailleurs pas manqué de prolonger cette analyse en attirant l’attention sur le fait que cette assemblée était également « la plus jeune de l’histoire » et que même la part des « minorités visibles – quoique beaucoup trop faible – y avait progressé de façon appréciable. Une telle ferveur médiatique est assurément justifiée dans la mesure où cette double révolution de l’âge et du genre constitue indéniablement, par certains côtés, un véritable progrès humain, sauf à regretter le temps de ces gérontes fossilisés et bardés de décorations qui peuplaient les tribunes officielles des pays dits « communistes ». L’ennui, c’est que cette nouvelle « assemblée introuvable », effectivement rajeunie et féminisée comme jamais, se trouve être en même temps la plus élitiste et la moins représentative de la Ve République. Il faut même, selon certains historiens, remonter jusqu’en 1871 – autrement dit à cette Assemblée versaillaise qui légitimera la répression sanglante de la Commune – pour retrouver dans la « représentation nationale » un tel degré de consanguinité sociale. En témoigne, entre autres, le fait que les classes populaires, pourtant largement majoritaires dans le pays, n’y sont plus désormais « représentées » que par un peu moins de 3% des élus »
Reste à Florian Bachelier la possibilité d’aller sur les barrages. Là, les Gilets jaunes lui expliqueront en quoi consiste la « vraie vie »… Rien à voir avec celle d’un avocat prospère.
Bernard Morvan
Crédit photo :DR
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