André-Arnaud Fourny, spécialiste de boxe depuis 1982 à L’Equipe, a couvert les plus grands combats dans le monde entier et rencontré le plus prestigieux champion d’hier et d’aujourd’hui. Il vient de publier un Dictionnaire de la Boxe qui est amené à faire date, et à être une référence pour tous les amateurs francophones de Boxe.
« Cet ouvrage rassemble tout ce qui a concouru à forger la légende de ce sport : boxeurs, organisateurs, managers, entraîneurs, dirigeants, arbitres, mais aussi gangsters, acteurs, écrivains, peintres, sculpteurs… Il comprend tous les faits marquants, la déportation de boxeurs dans les camps nazis, la ségrégation raciale aux États-Unis, la défection des Cubains, les combats truqués, les matches en prison, l’origine de la boxe, les bourses, les règlements, les grandes nations, les salles mythiques, les films… Sans oublier les morts sur le ring, par accident, à la guerre, par homicide, par suicide… Pour faire vivre tous ces champions, le rappel de leurs principaux combats, mais aussi leur enfance, leur vie hors du ring et leur reconversion, souvent difficile. » Écrit-il.
C’est un beau pavé qu’il a rédigé, durant plusieurs années (550 pages, pour tenter de devenir aussi érudit que l’auteur sur cette noble discipline guerrière). Un véritable hommage à ces guerriers du Ring, et aux acteurs d’un monde finalement trop méconnu.
Voici un livre qui devrait faire des heureux sous le sapin de Noël, entre deux visionnages de combats de légende, et avant d’enfiler les gants, pour une bonne séance d’entrainement sur les traces de ces gladiateurs du ring, ou tout simplement, à la découverte de soi, et dans l’optique de se dépasser.
Dictionnaire de la Boxe — André-Arnaud Fourny — Perrin — 27 €
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En guise de mise en bouche, Arnaud Fourny a bien souhaité répondre à quelques-unes de nos questions :
Breizh-info.com : Comment avez-vous fait votre sélection ?
André-Arnaud Fourny : Par ordre hiérarchique. Tous les boxeurs qui étaient les meilleurs, qui s’imposaient, ou qui avaient quelque chose de spécial, d’original dans leurs vies. Par exemple, le boxeur Anthony Fletcher, qui a été condamné à mort et qui attend d’être exécuté, il a quelque chose de spécial (son palmarès ne justifiait pas qu’il soit parmi le palmarès, parmi les meilleurs, mais cet élément de sa vie, être dans le couloir de la mort, suscitait l’intérêt).
J’ai voulu mettre aussi bien les grands champions, mais également tous ceux qui avaient de par leur vie quelque chose d » intéressant. Je voulais que ça soit agréable à lire. Cela ne se lit pas page après page, mais vous pensez à quelqu’un et vous allez ensuite regarder dans le livre.
Breizh-info.com : Comment avez-vous vu évoluer la boxe évoluer au cours du 20e siècle et au 21e, vous le spécialiste ?
André-Arnaud Fourny : J’ai vu la boxe évoluer comme j’ai vu la France évoluer, la société évoluer, comme j’ai vu le monde évoluer, le monde du journalisme évoluer, le journal l’Equipe évoluer. J’ai commencé dans ce journal en 1982, et je peux vous dire que la vie n’était pas du tout la même vie qu’aujourd’hui. Tout est différent. Tout a changé.
En 1976, vous sortiez de l’école, vous trouviez du travail tout de suite. Maintenant, je vois les pauvres qui sortent des écoles de journalisme, qui galèrent pour des misères ;
La Boxe aussi a évolué. C’est toujours pareil, avec de grands champions, peut être moins présent auprès du grand public. Et encore que, ce n’est pas tout à fait vrai. En 1976, aucun boxeur ne boxait à Wembley, devant 90 000 personnes. Les gens qui vous diront que la boxe se portait mieux hier qu’aujourd’hui, ce n’est pas tout à fait vrai. Aujourd’hui vous avez un boxeur comme Anthony Joshua, qui remplit le stade de Wembley.
La boxe a changé, mais n’a pas régressé.
Breizh-info.com : À quand remonte la boxe, cette envie de se mesurer physiquement ?
André-Arnaud Fourny : Cela a toujours été comme ça. Dans le dictionnaire je fais un peu l’historique de la boxe, et notamment de ses ancêtres, aux Jeux Olympiques, du temps des Grecs. Plusieurs millénaires avant nous. Elle est réapparue vers l’année 1000 (gondoliers de Venise qui réglaient leurs comptes entre eux). Puis vers 1600 de nouveau. Les hommes ont toujours voulu régler leurs comptes entre eux. Malheureusement aujourd’hui les jeunes les règlent à la kalachnikov.
Par le passé, c’était quelque chose de naturel de se battre à coup de poings. C’est devenu un moyen au fil du temps de gagner sa vie, de sortir de sa condition. Je pense à Manny Pacquiao. Quand vous êtes un petit gamin aux Philippines, à part avec la boxe je ne vois pas comment vous pouvez sortir de votre condition et devenir millionnaire.
Breizh-info.com : Beaucoup de boxeurs connaissent toutefois une gloire éphémère eu égard des sacrifices consentis, de l’entrainement, et du vide ensuite…
André-Arnaud Fourny : C’est pour tous les sportifs pareil. Je ne vais pas vous citer les déchéances de certains footballeurs ou rugbymen. Il n’y en a pas plus dans la boxe que dans les autres sports. Quand dans votre carrière vous avez des problèmes d’alcoolisme, ou de drogue, c’est certain que le jour où vous finissez votre carrière en ayant gardé ces problèmes, vous tournez mal.
Mais cela concerne une minorité de boxeurs. On parle tout le temps de ceux qui tournent mal. Vous savez bien que les journalistes parlent des trains qui n’arrivent pas à l’heure, mais la majorité des boxeurs finissent très bien.
Breizh-info.com : Y compris au niveau santé ?
André-Arnaud Fourny : C’est une petite minorité qui souffre des coups sur le cerveau, car le cerveau n’est pas fait pour prendre des coups. Certains souffrent de démence pugilistique, qu’on peut retrouver avec la maladie d’Alzheimer ou avec celle de Parkinson (on pense à Mohammed Ali).
Mais j’aime toujours citer l’exemple de Jack LaMotta, qui est un homme qui avait un style à prendre beaucoup de coups durant sa longue carrière, et qui est mort à 92 ans. Jusqu’à 90 ans, il gagnait sa vie, il continuait à travailler dans les cabarets.
De nombreux champions ont gardé toute leur tête. Mais c’est vrai qu’on va toujours chercher des exemples comme ceux de Mohammed Ali, terrible pour la boxe. Ray Robinson est mort relativement jeune (68 ans) sans avoir pris trop de coups…
Après leur carrière, on va toujours mettre en exergue les boxeurs qui finissent mal, ou bien parce qu’ils n’ont plus d’argent, ou bien parce qu’ils souffrent de maladies.
Attention : je ne dirai jamais que la boxe n’est pas dangereuse, qu’il n’y ait pas de malentendu. La boxe est un sport dangereux. Mais on prend le maximum de précautions, les règles évoluent au fil du temps. Oui, on peut en mourir. Cela représente peu par rapport à des sports comme le rugby, mais on ne peut le nier.
Breizh-info.com : Sur le plan sportif, durant votre carrière de journalistes, quels sont les boxeurs qui vous ont le plus marqué, plus ?
André-Arnaud Fourny : Il y’a des boxeurs qui m’ont fait avoir les larmes aux yeux. Nordine Mouchi par exemple (jamais champions d’Europe, juste champion de France des poids super-légers). Je me rappelle de ce championnat d’Europe où il est battu par le Belge Bonsu. Quand je le vois aller au tapis, se relever, repartir au combat, retomber, repartir. C’est un homme qui a un courage fabuleux.
Je pense également à Thierry Jacob, champions WBC des super-coqs. Quand il perd contre le Portoricain Vasquez, ils s’en mettent plein la tête, c’est impressionnant. Il y’a sûrement des boxeurs plus forts qu’eux, mais que j’admire un peu moins, car en combat ils avaient moins de courage.
https://www.youtube.com/watch?v=Jl7go4J17RM
Les boxeurs me plaisent pour différentes raisons : pour leur courage sur le ring, mais également pour leur attitude en dehors du ring, pour la sympathie qu’ils inspirent. Actuellement, un boxeur que je n’ai pas cité dans le livre, car c’est trop tôt, c’est Christian M’Billli, un poids moyen passé professionnel au Canada. 12 combats, 12 victoires avant la limite (boxe le 4 décembre au Zénith de Paris). Voici un garçon spectaculaire en combat, qui fait tout pour réussir, et qui en plus, qui est accessible. Il répond facilement, il est joignable.
J’ai connu certains boxeurs en culotte courte à contrario qui commencent à faire les vedettes une fois un cap passé, à ne parler qu’à travers leurs attachés de presse…
Mon métier, ce sont des coups de cœur. C’est s’attacher à des gens qui nous touchent. J’ai commencé à travailler à 16 ans, mais je suis bien décidé à partir à 70 ans et pas avant. Car c’est un métier fabuleux que je fais, j’adore la boxe. Je ne me vois pas, pour revenir à Christian M’Billi, ne pas le voir devenir champion du monde, ne pas suivre sa carrière. Je ne peux pas le laisser comme ça.
Breizh-info.com : Est-ce que le MMA, de plus en plus populaire en France malgré des règles pas très chevaleresques, ne fait pas de l’ombre à la boxe aujourd’hui ?
André-Arnaud Fourny : Non, c’est comme si vous compariez le football à la boxe. Cela n’a rien à voir. Aucun rapport.
Le MMA n’enlève pas de combattants à la boxe. La majorité des gens pratiquant le MMA sont issus du judo, de la lutte. Les boxeurs passés au MMA sont des champions de plus de 40 ans, qui en plus se sont fait battre.
Je m’occupe de la boxe depuis plus de 35 ans. Dans les années 80, on disait que la boxe thaï allait tuer la boxe anglaise. Vous croyez qu’aujourd’hui cela touche réellement le public en France ? Dans les années 90, on a vu apparaitre la boxe américaine, avec des grandes réunions à Bercy. Aujourd’hui, ça existe encore ? Cela concerne qui ?
Je reconnais une chose au MMA, c’est que les organisateurs sont jeunes et dynamiques, et excellents sur le lobbying, pour influencer les journalistes, pour influencer tout le monde. Malheureusement dans la boxe, les organisateurs sont souvent de vieux messieurs, qui n’ont pas compris que le monde avait changé.
Cela dit, dans la boxe il y a quand même de jeunes promoteurs, comme Eddy Hearn (qui figure dans le dictionnaire), qui a compris que la boxe avait changé, qui a rendu la boxe populaire (c’est lui qui fait les combats de 90 000 personnes à Wembley). Pourquoi le MMA concurrencerait la boxe ?
Breizh-info.com : On voit quand même beaucoup de jeunes qui se tournent vers le MMA plutôt que vers la boxe anglaise ou française non ?
André-Arnaud Fourny : Est-ce qu’ils vont persévérer dedans ? Pas certain. Cela ne retire aucun pratiquant à la boxe. C’est un sport différent. C’est un sport jeune, qui n’a pas beaucoup d’années derrière lui. On verra dans 30 ans s’il existe encore. Cela ne touche en aucun cas le grand public. Marchez dans la rue en France, et demandez à ce qu’on vous cite un nom de pratiquant de MMA. Personne ne vous le dira. Si vous leur demandez un boxeur, ils vous diront peut-être Tyson ou Yoka…
Le MMA, sa force c’est le lobbying. Aux USA, vous avez de grandes réunions, c’est exact, mais pas plus que celles de boxe. Vous avez surtout un maillage moins important (moins de pratiquants, de réunions). Regardez les vedettes du MMA, qui ont finalement peu de combats. Il y’a encore deux ans, ils avaient fait d’une d’une vedette Ronda Roussey, après à peine 12 combats. On nous annonçait la star du siècle. À son combat suivant, elle avait affronté la dénommée Holly Holm (mise KO en boxe par Anne-Sophie Mathis) et s’était faite détruire.
De cette façon, cela avait montré que le niveau des pratiquants du MMA est d’un petit niveau par rapport à celui des boxeurs. Quand vous voyez McGregor surclassé par un quadragénaire, Floyd Mayweather, qui a sans doute retenu ses coups pour que ça ne soit pas ridicule….
Je ne vous parle pas des contrôles antidopage inexistants…
Je n’ai rien contre le MMA, mais qu’on laisse les boxeurs tranquille, cela n’a aucun rapport.
Breizh-info.com : Quels sont les films sur la boxe que vous conseilleriez à nos lecteurs ?
André-Arnaud Fourny : Il y’en a deux trois indispensables. Marqué par la haine, avec Paul Newman, sur la vie de Rocky Graziano. Il y’a, Plus dur sera la chute, avec Humphrey Bogard dans le rôle du journaliste, sur la carrière truquée d’un poids lourds qu’on monte et qu’on escroque. Ils sont indispensables à voir. J’en ai mis d’autres dans mon dictionnaire.
Propos recueillis par Yann Vallerie