L’un de nos très grands historiens nous a quittés il y a quelques jours. Bartolomé Bennassar est en effet l’un de ceux – avec, notamment Joseph Perez ou, plus récemment Adeline Rucquoi – qui ont largement renouvelé pour les lecteurs français, sur le plan académique mais aussi auprès du grand public cultivé, l’historiographie relative à l’Espagne.
Né à Nîmes en 1929, d’origine majorquine par son père, ce brillant étudiant passionné d’histoire est reçu à l’agrégation en 1952 et c’est sous l’influence de Fernand Braudel, qui préside alors le jury du concours, qu’il s’oriente vers l’histoire de la péninsule ibérique. Sa thèse consacrée à Valladolid au Siècle d’Or, soutenue en 1967, s’inscrit dans la liste des grandes synthèses qui illustrent alors – au moment où Pierre Chaunu vient de réaliser son monumental Séville et l’Atlantique – la vitalité de la recherche française en matière d’histoire moderne. Professeur à l’Université de Toulouse, qu’il présidera de 1978 à 1980, il porte sur l’Espagne un regard neuf, aux antipodes de la triste « légende noire » qui, sur fond d’anticléricalisme militant, s‘est imposée au XIXème siècle.
Il publie ainsi en 1975 L’homme espagnol. Attitudes et mentalités du XVIème au XIXème siècle (Hachette), un essai qui demeure la meilleure introduction à l’identité hispanique réalisée à ce jour, puis, en 1979, une Inquisition espagnole XVème-XIXème siècle qui balaie bien des idées reçues (Hachette).
Son Siècle d’Or espagnol (Robert Laffont, 1982) fait toujours référence, tout comme l’Histoire des Espagnols, ouvrage collectif qu’il dirige pour la collection Bouquins de Robert Laffont trois ans plus tard. C’est avec son épouse Lucile qu’il révèle en 1989, avec Les chrétiens d’Allah. L’histoire extraordinaire des renégats (Perrin) un pan largement méconnu de la confrontation hispano-musulmane en Méditerranée. Ils publient ensuite chez Perrin en 1991, pour le cinquième centenaire de la découverte de l’Amérique et de la prise de Grenade 1492, Un monde nouveau?, avant d’aborder en 1998, pour la collection Bouquins le Voyage en Espagne. Anthologie des voyageurs français et francophones du XVIème au XIXème siècle.
Une biographie de Franco (Perrin, 1995) ainsi qu’ une Guerre d’Espagne et ses lendemains (Perrin 2004) entraînent l’auteur vers l’Histoire du siècle dernier et, à l’opposé des préjugés ou des mensonges qui ont caractérisé le plus souvent la lecture de la Guerre civile de 1936-1939, il fait preuve d’une honnêteté intellectuelle et d’une impartialité qui font de son ouvrage un outil de travail indispensable pour aborder cette période. Passionné de corrida, il nous a également donné une Histoire de la tauromachie des plus précieuses (Desjonquières 1993) , avant de nous laisser en 2018, en guise de testament, des Pérégrinations ibériques : esquisse ed’ego –histoire (Casa velasquez ).
Auteur d’une Histoire de Madrid (Perrin 2013) il s’est également intéressé au monde de la Hispanidad sud-américaine, mais aussi au domaine lusophone, qu’il a abordé dans une remarquable Histoire du Brésil (Fayard,2000). Il faut ajouter une biographie de Velasquez (De Fallois 2010) qui témoigne d’une érudition parfaitement maîtrisée en même temps qu’elle apparaît comme un monument d’intelligence et de sensibilité.
C’est l’un de nos très grands historiens hispanisants qui est disparu le 8 novembre dernier. Tous ceux qui aiment l’Espagne pour sa prodigieuse aventure historique et pour sa manière si originale d’être au monde, qu’il a tant contribué à faire découvrir à des générations d’étudiants et de lecteurs, se sentent aujourd’hui orphelins.
Philippe Conrad
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