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Les comtés anglo-français dans le Brexit ?

Ce dimanche 25 novembre 2018, les chefs d’État des vingt-sept pays de l’Union européenne ont entériné à Bruxelles un accord signant le divorce « tragique » entre le Continent et le Royaume-Uni. Au Cricket Club d’Eymet, à 25 kilomètres au sud-ouest de Bergerac (Dordogne), les battes de jeu sont restées au vestiaire.

Comme dans nombre de cantons français ou bretons accueillant des retraités anglais, les conversations tournèrent là-bas autour d’autres priorités, et du brouillard d’autres urgences. Que l’avenir se dise Brexit, ou not Brexit, dans les deux cas il reste encore pour les « Rosbifs » continentaux une terrible question sans réponse : que faire, maintenant ?

Eymet, place Arcades. Avec le Brexit, quel sort attend la population anglaise installée dans ce village périgourdin ? Photo Père Igor/Wikimedia (cc)

Située à quelque miles de Monbazillac et de ses vins blancs mordorés, Eymet, chef-lieu de canton de la Dordogne, est, avec Aubeterre, sa très touristique et britannique sœur charentaise située plus à l’ouest, l’un des centres culturels et sociologiques de ces comtés imaginaires et néanmoins réels que sont le Dordogneshire et le Charenteshire. Que faire, pour un Anglais continental, quand le Brexit menace la tranquillité de comtés aquitains, et de quelques autres cantons bretons très éloignés de Londres ? Nombre de retraités anglais réfugiés en Nouvelle Aquitaine ou en Bretagne se posent les mêmes questions, relatives à leurs lendemains.

L’aérodrome de Bergerac, sous-préfecture dordognotte riche de près de 25 000 habitants, a vu passer en 2017, à l’entour de sa Boutique des Délices, quelque 330 000 passagers aériens venus pour l’essentiel de l’archipel britannique, ou repartant vers lui. Les retombées économiques locales de ce trafic sont évaluées à quelque 145 millions d’euros par Roger Haigh, responsable de la très officieuse Chambre de commerce franco-britannique de Dordogne.

Voilà cinq ans, de haute lutte négociée, l’aéroport de Bergerac avait volé à celui d’Angoulême, charentais, situé plus au nord, la priorité d’atterrissage des compagnies low cost venues d’Albion. De quelque 15 000 passagers enregistrés en 2002, à 260 000 en 2010, et la suite l’an passé, l’augmentation du trafic bergeracois tient à l’installation en Nouvelle Aquitaine de quelque 30 000 foyers issus des terres de Sa Majesté. Tropisme ancien, qui remonte à Richard-Cœur-de-Lion et à Jean-Sans-Terre, au XIIe siècle, époque où, sous Aliénor d’Aquitaine, l’Anglois vendangeait le sud-ouest français.

Les demandes de naturalisation, et de cartes de séjour explosent

Mais à Eymet, l’urgence n’est pas l’histoire lointaine. Dans les préfectures de Périgueux et d’Angoulême, la législation française admettant le cumul de deux nationalités européennes, les demandes de naturalisation, et de cartes de séjour (‘au cas où’, car non obligatoires), explosent depuis quelques mois dans une proportion de un à dix. Avec ténacité – car les Rosbifs non résidents outre-Manche n’eurent pas eu de droit de vote chez eux, voilà deux ans – mais non sans hésitation, car changer de nationalité fait toujours un peu trembler.

Comment quitter Albion ? Affectivement, c’est difficile. Effectivement, c’est différent. Question de génération. Car si le Royaume-Uni prend le large, le cours de la Livre (£) va s’effondrer par rapport à l’euro (), et les pensions de retraite des plus âgés ne vaudront plus tripette. A la nuance près, pour les installés de longue date, de la Sécurité sociale française héritée d’avant le Brexit, intégrant la chirurgie (et donc les prothèses de hanche), dans les avantages résidentiels acquis.

A quoi s’ajoutent des problèmes monétaires majeurs. En 2008 déjà, la chute de la monnaie londonienne avait contraint quelques retraités des Dordogneshire et Charenteshire, mal pensionnés par la conversion des monnaies, à vendre leurs maisons continentales à… des Anglais payant à Londres. Mais demain, que va devenir le change de la Livre (£) en cas de Brexit dur ou mou ? Nul ne le sait.

Si les Communes ne ratifient pas l’accord en décembre, que vont devenir les British du continent en cas de Brexit non négocié ?

Au fond, même signé en présence du très fantasque et doucement éthanolisé Jean-Claude Junker, président de la Commission européenne, l’accord européen de ce dimanche ne dit rien de net quant au devenir : à supposer qu’au début de décembre prochain la Chambre des Communes londonienne ratifie cet accord – ce qui n’a rien d’acquis -, le Royaume-Uni restera deux ans au moins dans l’Union douanière continentale, jusqu’à ce que soit réglé le problème frontalier des deux Irlande. Et si les Communes ne ratifient pas l’accord en décembre, que vont devenir les British du continent en cas de Brexit non négocié ?

A Eymet, tranquille club de cricket continental, le brouillard s’épaissit plus que le fog londonien. Si l’accord européen est entériné dans les semaines à venir par les Communes, rien n’est clair pendant les deux ans (renouvelables) d’adaptation de la frontière irlandaise à l’Union douanière. S’il n’est pas entériné, qu’en sera-t-il d’un Brexit dur, et du sort conséquent des Britanniques continentaux ?

Toutes les histoires d’amour sont tragiques. Chacun sait ici, à Eymet (Dordogne) et ailleurs, que le vieux Shakespeare pour les Anglais, tout comme Rabelais pour les Français, n’est compréhensible qu’en traduction moderne. De leur amour impossible, Roméo disait à Juliette : I have more care to stay than will go, « J’ai plus le désir de rester que la volonté de partir ». Juliette ne sachant quoi répondre, Roméo en avait conclu : More dark and dark our woes, « Notre désolation est de plus en plus sombre ». Triste actualité des tragiques. L’avenir des Dordogneshire et Charenteshire est très incertain. Et tout autant celui des shire bretons pour leur ressortissants britanniques.

J.F. Gautier

Crédit photo : Père Igor/Wikimedia (CC)

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