A Bohal (près de Ploërmel), on trouve 802 habitants, environ 300 abonnés au téléphone Pages blanches)… et Jaqueline Mouraud, 51 ans, qui se fait appeler Jacline « par coquetterie ». Pour gagner sa vie, elle joue de l’accordéon et officie comme hypnothérapeute « pour aider les gens à arrêter de fumer ». Mais ce n’est pas la joie pour autant : « Je gagne moins de 1000 euros par mois et je ne possède rien à part une voiture. C’est mon outil de travail. Je fais 25 000 kilomètres par an. » (Le Figaro, mardi 13novembre 2018). Mais, d’après Pascal Canfin, directeur général du WWF, elle se déplace avec un 4×4 ; il lui conseille donc de le remplacer par une petite cylindrée (7/9 de France Inter, mardi 20 novembre 2018).
Ce sont les réseaux sociaux qui lui ont donné la célébrité et en ont fait une vedette médiatique. « La Bretonne saisit, ce 18 octobre, son téléphone et se filme : 4 minutes et 37 secondes d’indignation face aux mesures prises contre les automobilistes, entrecoupées d’apostrophes à Emmanuel Macron : « Qu’est-ce que vous faites du pognon ? », « Vous roulez dans le parc de voitures qu’on vous paie. ». Le coup de gueule est vu 5 millions de fois. » (Le Point, 8 novembre 2018).
« L’inconnue de Bohal fait trembler l’exécutif »
« L’inconnue de Bohal fait trembler l’exécutif ». Quant aux corps intermédiaires (syndicats, partis politiques, associations), ils sont complètement dépassés. « Plus besoin de doctrines idéologiques, plus besoin de discuter des modalités d’action. La colère populaire ne s’encombre plus de ces lourdeurs. Un clic et un dossard jaune fluo suffisent. » (Le Figaro, 17-18 novembre 2018). A tel point que la vidéo « coup de gueule » contre la hausse du prix des carburants a été visionnée plus de 6 millions de fois sur sa page Facebook » (Le Figaro, mardi 13 novembre 2018). Les médias parisiens et étrangers (RMC, Sunday Times…) se l’arrachent.
Seul Ouest-France a l’air de l’ignorer. Il est vrai que le quotidien de Chantepie avait d’autres chats à fouetter au lendemain de la mobilisation des Gilets jaunes. Un titre flamboyant occupait la Une sur quatre colonnes : « Les toilettes, un enjeu sanitaire mondial » (lundi 19 novembre 2018). Autrefois la presse locale traitait sérieusement les sujets qui intéressaient ses lecteurs. L’actualité chaude fait vendre ! Mais le directeur d’Ouest-France ignore cette règle élémentaire du journalisme. Pourtant le mouvement initié par Jacline ouraud bénéficie d’un incontestable soutien populaire, ce qui n’est plus le cas d’Emmanuel Macron. 74% des personnes interrogées trouvent le mouvement dit des « Gilets jaunes » justifié. Alors que pour son intervention à TF 1 (mercredi 14 novembre 2018), le Président a été jugé « plutôt pas convaincant » par 68% des personnes interrogées (Odoxa, Le Figaro, 17-18 novembre 2018).
Macron ? « dédaigneux », « beaucoup trop jeune pour le poste » et « juste bon à piquer de l’argent aux retraités »
Très sévère pour l’ancien banquier d’affaires, Mme Mouraud juge Macron « dédaigneux », « beaucoup trop jeune pour le poste » et « juste bon à piquer de l’argent aux retraités » (Le Figaro, mardi 13 novembre 2018). Il lui serait facile d’ajouter maintenant que seulement 27% des personnes interrogées disent lui faire « confiance pour affronter efficacement les principaux problèmes » (Elabe, Les Échos, 9-10 novembre 2018). Et ce n’est pas tout : 73% des Français sont mécontents « d’Emmanuel Macron comme président de la République » (Ifop, JDD, 18 novembre 2018).
A l’origine du mouvement des Gilets jaunes se trouve l’augmentation du prix du carburant, nous dit-on. La goutte qui a fait déborder le vase en octobre : les prix à la pompe ont affiché de fortes hausses sur un an (+ 23% pour le gazole et + 15% pour l’essence). Entre le 15 novembre 2017 et le 15 novembre 2018, les augmentations ont été ramenées à + 15% pour le gazole et + 3,4% pour l’essence (JDD, 18 novembre 2018).
En Bretagne, la fracture des territoires
Pour le géographe Christophe Guilluy, Bonnets rouges et Gilets jaunes forment des « révoltes spontanées, incontrôlables pour la simple raison que les partis politiques traditionnels ne représentent plus les catégories modestes qui ont pris leurs distances avec eux. Cela se lit dans les absentions, les votes populistes… » (Presse Océan, vendredi 16 novembre 2018). Mais cela n’explique pas tout. En Bretagne, il faut tenir compte de la fracture existant entre les métropoles (Brest, Nantes, Rennes) et les zones touristiques (La Baule, golfe du Morbihan, Saint-Malo…) d’une part qui tirent leur épingle du jeu et le périurbain qui souffre et le rural profond en perdition d’autre part. Mais la ruralité n’intéressait pas autrefois Sarkozy et Hollande, pas plus qu’elle n’intéresse aujourd’hui Macron.
Bernard Morvan
Crédit photo : Rémi Mathis/Wikipedia (cc)
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